François Isabel

Ni dieu, ni maître, nirvana

  • Les agences de l’Etat : une substantielle source d’économies ? - Revue Politique et Parlementaire
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    Les agences sont apparues dans les années 1960, à l’initiative du ministre de l’Economie Wilfrid Baumgartner, avec la mise en place des « administrations de mission », c’est-à-dire des administrations spécialisés et limitées dans le temps. Le but était de créer des structures capables de répondre à des besoins spécifiques : Agence nationale pour l’emploi (ANPE) en 1967 à l’initiative de J. Chirac (secrétaire d’Etat à l’Emploi) ou Agence nationale de valorisation de la recherche (Anvar), créée en 1967 sous l’impulsion du professeur Ponte par exemple.

    Certaines agences correspondaient à l’émergence de nouvelles politiques publiques : Agence pour les économies d’énergie (1974), après le premier choc pétrolier. C’est VGE qui en est à l’origine. Agence nationale pour la rénovation urbaine (2004), à l’initiative de JL Borloo, ministre en charge de la Ville, pour la réhabilitation des quartiers difficiles.

    Par la suite d’autres sont créées dans le but de :

    Soit de répondre à des crises : Agence française de lutte contre le SIDA (1989 à l’initiative de Claude Evin alors ministre de la Santé) par exemple ;
    Soit de coordonner des politiques décentralisées : Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé), créée en 2006 (à l’initiative de D. de Villepin alors à Matignon) et dissoute en janvier 2015 ;
    Soit de moderniser l’administration : Agence de Mutualisation des Universités et des Établissements d’enseignement supérieur ou de recherche (AMUE) créée en 1992 sous l’impulsion de L. Jospin.

    Qu’est-ce qu’une Agence ? C’est une forme d’organisation administrative. Elle est une structure autonome et opérationnelle qui met en place une politique publique pour le compte de l’État.

    Créée par une loi ou un décret (notamment du Premier Ministre), une agence assure notamment des missions administrative, d’expertise, de financement, de prestation de services. C’est, en substance, ce qu’a dit le Conseil d’État qui a élaboré une définition dans une étude de 2012 (Les agences : une nouvelle gestion publique ?).

    Une agence a trois principales caractéristiques :

    – autonome et assure une « responsabilité structurante » dans la mise en œuvre d’une politique publique ;

    – unique dans son domaine d’intervention ;

    – soumise aux instructions et au contrôle financier de l’État.

    Les agences se distinguent d’autres organismes :

    – des autorités administratives indépendantes AAI (Défenseur des droits, Commission nationale de l’informatique et des libertés, par exemple) qui sont indépendantes ;

    – des opérateurs (universités, musées, par exemple) qui proposent un service mais n’ont pas une « responsabilité structurante » et exclusive (ils sont « duplicables »).

    Il n’existe pas de statut unique pour les agences. Elles peuvent prendre trois principales formes :

    – établissement public administratif (EPA) ou établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) ;

    – groupements d’intérêt public (GIP) ;

    – associations ou sociétés.

    En 2019 une étude de l’IFRAP a montré qu’il existait 1 200 agences d’État pour quelques 80 milliards de dépenses. Cela représente 470.000 agents et une masse salariale a tendance exponentielle (25 milliards en 2012 qui monte à 30 milliards en 2017). Au début de l’été 2019, à l’initiative d’E. Philippe, alors à Matignon, une circulaire a été émise pour « faire le tri » notamment les agences de moins de 100 salariés. Economiquement cela entraine un faible impact (une soixantaine d’agences pour 2500 agents). Cette circulaire Philippe permet, certes, un pas en avant mais il faudrait aller plus loin pour réaliser de vraies économies en matière d’agences. Sur plus de 470 000 agents de l’Etat travaillant dans les opérateurs de l’Etat, le bon objectif serait une baisse d’environ 88 000 équivalents temps plein pour atteindre moins de 400 000 agents et une économie d’environ 3 milliards d’euros. Si l’on divisait par deux, ce serait des économies supplémentaires mais aussi se mettre au niveau moyen des autres pays de l’UE.

    En plus de cette circulaire Philippe (au pouvoir contraignant secondaire), l’étude de l’IFRAP estime qu’on peut légitimement attendre que les parlementaires demandent un document annexé annuellement à la loi de Finances présentant au Parlement l’ensemble des agences et leur budget consolidé. Car en l’état actuel, il est amené aujourd’hui à voter presque à l’aveugle les crédits d’une bonne partie de ces entités. Pourquoi ne pas créer par ailleurs un numérus clausus des agences, avec des cibles budgétaires à la clé ?

    Toujours selon l’IFRAP, en 2021, à la demande de l’Assemblée nationale, la Cour des comptes s’était penchée sur les budgets et le pilotage des opérateurs de l’Etat. Mais depuis le rapport de l’IGF (inspection générale des finances) sur l’Etat ses agences (2012), le suivi conjoint des opérateurs de l’Etat (au sens de la comptabilité budgétaire) et des organismes divers d’administration centrale (ODAC) au sens de la comptabilité nationale semble au point mort. Rien n’éclaire véritablement les travaux des parlementaires (jaunes budgétaires). Pourtant selon l’art. 24 C la représentation nationale est, rappelons-le, en charge d’« évaluer les politiques publiques ». Lorsqu’elles ne sont pas efficientes, il revient à ladite représentation d’être saisie et d’enquêter. Le contraire relève d’une sorte d’entrave.

    Mais des parlementaires agissent tout de même. Ainsi Véronique Louwagie, députée LR de l’Orne, a rédigé plusieurs amendements à l’occasion du Projet de loi de Finances pour 2023 et du Projet de loi de Programmation des Finances Publiques. Mais elle déplore que ses propositions n’aient pas été entendues. Dans un entretien à Touscontribuables.fr (2023) elle pense qu’il faut diminuer le nombre d’agences de l’État et rationaliser leur fonctionnement. Elle déplore qu’« en l’absence de cibles chiffrées, aussi ambitieux le discours puisse être, les objectifs ne sont en réalité pas réellement contraignants pour les ministères. Et ce d’autant que les agences de l’État doublonnent souvent avec d’autres entités locales ou nationales ». Et de citer : l’établissement public du Marais poitevin, opérateur de l’État créé en 2010, doublonne avec le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, les directions départementales des territoires des Deux-Sèvres, de Charente-Maritime et de Vendée, les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement ou encore de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne. Elle avait un projet pour aller plus loin mais la dissolution de Juin dernier l’a interrompu. Sa réélection permettra, espérons-le, d’y revenir.

    Et elle s’interroge, comme de plus en plus d’observateurs, sur l’utilité des Agences régionales de santé. Créées en 2009 à l’initiative de Roselyne Bachelot alors ministre de la Santé. Leur rôle est d’organiser la politique de santé dans les régions, de piloter et réguler l’offre de soins. Déjà en 2014, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) dresse un premier bilan des ARS « une innovation majeure, un déficit de confiance ». Les parlementaires pointent des dysfonctionnements dans le pilotage national des politiques sanitaire et médico-sociale ainsi qu’une coordination insuffisante des différentes administrations (fonctionnement en « tuyaux d’orgues »). Si elles ont permis une certaine « décentralisation » des soins, les ARS sont souvent perçues comme des « mastodontes technocratiques » éloignés du terrain, constate un rapport parlementaire en juin 2021. Le bilan que les rapporteurs tirent de l’action des ARS est en demi-teinte. Les agences disposent d’un vaste périmètre de compétences mais la question qui se pose désormais est celle de leur capacité à mener à bien l’ensemble de leurs missions. Les rapporteurs estiment aussi que les agences s’éloignent trop souvent de leurs missions de santé publique, dont la crise sanitaire est pourtant venue rappeler combien elles sont essentielles.

    D’ailleurs de nombreux acteurs de terrain que nous avons pu voir (notamment les élus locaux) ont remarqué en le déplorant que, durant la crise Covid, les ARS ont beaucoup plus ralenti les décisions et les opérations qu’autre chose.

    Depuis une décennie au moins, l’Inspection Générale des Finances, le Conseil d’État et la Cour des comptes prônent un meilleur contrôle des agences. Selon Mme Louwagie pour ce qui est des raisons d’une telle unanimité, j’imagine que s’il n’y a pas de missions claires, d’objectifs et de devoirs de résultats, il est difficile de savoir quoi contrôler et sur quels critères…

    Il s’avère que selon les jaunes budgétaires la moyenne des 10 plus hauts revenus qu’emploient les agences est très élevé. Certains sont même mieux rémunérés que ceux qui les nomment… Il y a là un abus assez manifeste.

    La Cour des Comptes a démontré récemment que la plupart des agences n’avaient pas de contrat d’objectifs. La LOLF a pourtant généralisé ceux-ci. A l’heure où notre déficit avoisine les 3500 milliards d’euros, où il faut faire des économies drastiques, où la confection du budget est plus que problématique pour le gouvernement Barnier, il faut faire des choix nets et précis. Sans concession dans certains secteurs. Seule la performance publique nous permettra de restaurer l’autorité régalienne, de redresser les comptes publics, de retrouver une société prospère, donc du pouvoir d’achat, et une nation unie. En Angleterre il existe à peine 300 agences. La France doit au moins diviser par deux les siennes.

    D’autant que le développement des agences s’est effectué sans plan d’ensemble, en fonction de besoins ponctuels, pour renvoyer un ascenseur ou enterrer un problème politique, sans le pilotage et les procédures de contrôle qui auraient permis de vérifier l’efficacité de structures. On s’interroge encore sur le contrôle parlementaire sur les politiqués publiques que constituent les agences.

    Aujourd’hui, malgré une diminution impulsée par E. Philippe, on compte encore 438 opérateurs, 314 commissions diverses et des centaines de structures aux statuts juridiques divers rattachées à l’État. Les opérateurs emploient 480000 agents en 2023, un tiers des effectifs de la fonction publique d’État. C’est assez ahurissant. Notamment à l’heure du sauve qui peut budgétaire qui est le nôtre !

    De l’aménagement des transports à la gestion des déchets quotidiens, des normes d’habitat à la transition écologique, de la météo à la politique sanitaire régionale… Combien de ces organismes ont une emprise non négligeable sur notre vie quotidienne (Revue Contribuables et Associés, N° 44, 2023). Puisque d’emprise il s’agit, la pire est financière puisqu’ils sont alimentés par l’impôt. Et nous finançons combien de doublons, de triplons même parfois. Il se trouve que ces agences sont créées par le gouvernement (personne publique) et qu’ils fonctionnent avec des agents et des fonds publics. Dès lors sur la base de l’art 15 de la Déclaration de 1789, nous sommes en droit de demander compte à tout agent public de son administration.

    Comme nous le confiait voici quelques temps un ancien député auvergnat, « une agence sur deux sert à recaser des élus voire d’anciens ministres, et même caser des amis en mal d’emploi. C’est très politique parfois. J’en sais quelque chose, j’en fus ! Je m’interroge encore sur la pertinence et l’efficience de ce que j’ai accompli… »

    Au fond ces agences nous font penser à cette phrase célèbre du général de Gaulle prononcée en 1963 :

    « L’essentiel pour lui (ndlr : le général), ce n’est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte (…..) »

    Raphael Piastra, Maitre de Conférences en droit public des Universités