• Alerte au #CVM, le composé qui empoisonne l’eau des campagnes

    Le #chlorure_de_vinyle_monomère, un #plastique, est un cancérogène connu de longue date. Et que l’on retrouve dans des kilomètres de canalisations d’eau, desservant près de 600.000 personnes en #France : une eau dangereuse pour la santé. Enquête sur un péril silencieux.

    La petite route serpente entre vergers et prairies, jusqu’en lisière de forêt. Là, quatre bâtisses en tuffeau dressent leur silhouette claire à travers les arbres. Un petit hameau « du bout du bout », comme le dit Bernadette Hubert, qui vit ici depuis une vingtaine d’années. Un pâté de maisons au bout du village de Parçay-les-Pins, lui-même situé dans un coin du Baugeois, une région reculée de l’Anjou, dans l’extrême nord-est du Maine-et-Loire.

    L’isolement et la tranquillité, voilà ce qui a attiré la famille Coullouette dans cette campagne paisible en 2013. Atteinte d’un carcinome neuro-endocrinien — une tumeur maligne rare —, Anne vient alors de subir sa deuxième transplantation hépatique. Elle, son compagnon et leur fils ne cherchent qu’une chose : un havre de paix. Mais après un an de bonheur tranquille à planter des tomates et à récolter les pommes, une lettre de l’Agence régionale de santé (ARS) vient mettre fin à leur sérénité. L’eau qui coule par leurs robinets est contaminée et impropre à la consommation. Le nom du coupable ? Un certain chlorure de vinyle monomère.

    Appelons-le CVM. Ce produit chimique de synthèse, très volatile, intervient dans la fabrication du PVC, un plastique très courant. « À partir des années 1950, les canalisations d’eau en plomb ont progressivement été remplacées par des canalisations en polychlorure de vinyle, ou PVC, explique Michel Joyeux, chercheur pour Eau de Paris et coauteur d’un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur le CVM. Or, jusqu’en 1980, le procédé de fabrication était tel que des molécules de chlorure de vinyle étaient retenues en quantité importante dans les canalisations, et pouvaient ensuite migrer dans l’eau potable. » Problème, ajoute M. Joyeux : « Le CVM est un toxique connu depuis longtemps. » Il est notamment classé dans le groupe 1, « cancérogène certain pour l’homme », par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), depuis 1987. « C’est un facteur de risque avéré pour l’angiosarcome hépatique, un cancer du foie rare et de très mauvais pronostic », précise l’Institut de veille sanitaire dans sa note de position de 2010. Une dizaine de cas par an en France. En 2005, l’Agence nationale de santé (Afsa) estimait que pour 100.000 personnes exposées durant leur vie au chlorure de vinyle à des doses supérieures ou égales à 0,5 μg/l, on pourrait craindre 4 à 5 cancers du foie directement liés. Quant au lien entre le CVM et les autres tumeurs hépatiques plus répandues (7.600 cas par an pour le carcinome hépatocellulaire), rien n’est avéré, mais « il pourrait être un facteur de risque ». C’est peu, mais suffisant pour inquiéter le gouvernement, qui demande des contrôles de présence du CVM dans l’eau potable dès 2007.

    Car, si le risque paraît mince, le nombre de personnes potentiellement exposé pourrait être élevé. « Les canalisations posées avant 1980 représentent environ 50.000 km de conduite, soit 5% du linéaire national », indique l’Institut de veille sanitaire, qui chiffre à « moins de 600.000 » le nombre d’habitants concernés par la pollution. Donc, plusieurs centaines de milliers de Français boiraient depuis plus de cinquante ans une eau présentée comme potable, mais qui contient en fait une substance cancérogène. Gloups.

    « Attention, relativise Michel Joyeux. Cette pollution touche surtout les zones rurales, les maisons isolées, plutôt dans l’Ouest et dans le Nord. » Grosso modo, il y a plus de CVM en bout de réseau, là où le débit est faible et où l’eau peut stagner dans les tuyaux pendant plusieurs jours. Mais combien de foyers cela représente-t-il ?

    Flairant le scandale, le ministère de la Santé a fait passer en 2012 une circulaire sur les modalités de repérage des canalisations et de gestion du risque sanitaire lié au CVM. Il a demandé aux Agences régionales de santé de procéder à des contrôles dans les zones à risque. Car les données manquent cruellement : la présence du CVM n’était pas du tout évaluée avant 2007, et les tests effectués depuis « ne permettent pas de détecter les non-conformités », comme le précise la circulaire gouvernementale. « Les analyses peuvent sensiblement varier en fonction de l’utilisation du réseau, observe Michel Joyeux. En journée ou de nuit, en été ou en hiver, d’une maison à celle d’à côté, le taux de CVM n’est pas le même. »
    « Un problème de santé publique national »

    Ce coup de fouet ministériel a tout de même permis de dresser un premier tableau. « Au niveau régional, la population concernée par une eau contenant des teneurs supérieures à la valeur limite en CVM (de 0,5 μg/l) est estimée à 2 %. Pour le Maine-et-Loire, cette population est estimée à moins de 1 %», indique à Reporterre, par courriel, l’ARS des Pays de la Loire. Soit près de 74.000 personnes dans la région ligérienne, dont 8.000 dans le département où vit Anne Coullouette. En France, d’après la synthèse effectuée en janvier 2017 par l’UFC-Que Choisir, 350 communes seraient concernées, particulièrement dans le Centre, les Pays de la Loire, le Massif central et les Charentes.

    Parmi ces 350 villages, il y a Douchy-Montcorbon, dans le Loiret. Habitant le hameau des Desvignes, Philippe Simond-Côte reçoit en février dernier un courrier de la mairie lui demandant « de ne plus utiliser l’eau du robinet pour l’usage alimentaire, sauf si elle est portée à ébullition » (le CVM étant très volatile, il s’évapore). Joint par Reporterre, il se dit scandalisé : « En 2017, en France, dans un des pays les plus riches et développés de la planète, des centaines de milliers de personnes ne peuvent plus boire leur eau ! » Pour lui, cette histoire de CVM est, ni plus ni moins, « un problème national de santé publique ».

    Retour à Parcay-les-Pins. Le soleil est à son zénith, il n’a pas plu depuis plusieurs jours. Pourtant, la petite route qui mène chez les Coullouette paraît mouillée et ravinée, comme après une grosse averse. Anne et Frédéric suivent les traces humides, jusqu’à une plaque en bordure du bitume. Sous la trappe, un système électronique ouvre les vannes à intervalles réguliers pour « purger » le réseau et rejeter le CVM présent dans l’eau. « Chaque nuit, 8,5 m3, soit 8.500 litres, sont déversés dans le fossé et sur la route, soupire Anne Coullouette. C’est plus de 30 fois notre consommation quotidienne… et ce gaspillage est considéré comme dérisoire par les pouvoirs publics, ça me rend malade ! » Installée fin 2015, cette purge automatique a en effet permis de repasser sous le seuil fatidique des 0,5 μg/l… mais à quel prix ?

    « Une purge coûte 20 euros, c’est très peu en comparaison avec les autres solutions qui s’offrent à nous, note Jean-Jacques Fallourd, élu à la communauté de communes de Baugeois-Vallée, dont dépend Parçay. Ce n’est pas satisfaisant d’un point de vue environnemental, mais c’est la meilleure mesure provisoire. » Pour la famille Coullouette, cette « mesure provisoire » dure depuis deux ans, et même plus, si l’on compte les purges manuelles effectuées entre décembre 2014 et décembre 2015 par un technicien de Veolia. Dans le Maine-et-Loire, il reste environ 78 purges en service soit environ 700 m3 par jour (700.000 litres). « Ces purges représentent à peine 0,5 % de l’eau prélevée pour l’eau potable, tempère l’ARS dans un courriel adressé à Mme Coullouette, que celle-ci nous a lu. On peut comparer ce chiffre aux pertes liées aux fuites estimées entre 5 % et 25 % de l’eau produite. Ces purges sont nécessaires d’un point de vue sanitaire dans l’immédiat. »

    « Si elle n’avait pas secoué le cocotier, on n’aurait jamais rien su »

    Depuis trois ans qu’elle enquête à sa manière sur le sujet et tente d’alerter ses concitoyens, Anne Coullouette s’est souvent vu reprocher d’être « une parano » : « On me fait régulièrement remarquer que j’affole mes voisins pour rien », observe-t-elle, amère. À ses côtés, Bernadette Hubert voit Anne comme une lanceuse d’alerte : « Si elle n’avait pas secoué le cocotier, on n’aurait jamais rien su. L’eau n’a aucun goût ni aucune odeur particulière, pourtant, elle n’est pas bonne à boire. Et les contrôles ne sont pas faits dans chaque maison, alors comment savoir si on est concerné quand on vit en zone rurale ? »

    À Douchy, la mairie a opté pour une autre solution : après avoir distribué un litre d’eau par personne sous forme de bouteille plastique, elle a préféré installer une fontaine publique sur une des places du village. La centaine d’habitants concernés par la contamination au CVM est invitée à venir remplir ses bidons, « comme au bon vieux temps ». « C’est la promenade quotidienne à la claire fontaine », plaisante Philippe Simond-Côte, qui regrette cependant la frilosité des élus : « Chacun semble penser que ce n’est pas si grave, puisqu’on vit avec cette pollution depuis plusieurs décennies et que personne n’en est mort. » Sauf qu’entre l’exposition au CVM et l’apparition d’une tumeur hépatique, 50 ans peuvent s’écouler.

    La seule solution pérenne semble être le changement de canalisation… mais c’est aussi la plus coûteuse. Entre 75 et 200 euros par mètre linéaire selon les besoins en réfection de chaussée, d’après le ministère de la Santé. Or, il resterait près de 50.000 km de canalisations en PVC datant d’avant 1980. À Parçay-les-Pins, M. Fallourd assure que « toutes les options sont sur la table ». En attendant, les Coullouette vont encore voir de l’eau couler sur la chaussée.

    https://reporterre.net/Alerte-au-CVM-le-compose-qui-empoisonne-l-eau-des-campagnes
    #contamination #CVM #pollution #PVC #vétusté #potabilité #eau_potable #canalisation #cancer #santé_publique #santé

    signalé par @monolecte ici :
    https://seenthis.net/messages/641425

    • Du 16/01/2025
      https://reporterre.net/Dans-la-Sarthe-une-eau-du-robinet-cancerigene

      Et vous, comment lavez-vous vos fruits et légumes ? Marie [*], habitante de Pruillé-l’Éguillé (814 habitants), a une technique bien particulière : elle n’utilise que de l’eau préalablement bouillie. « C’est super chiant, mais dans le doute, je préfère procéder ainsi », soupire-t-elle. Assise devant une tasse de thé fumante, Marie, rencontrée chez elle en décembre 2024, raconte un quotidien fait d’hypervigilance : ne pas avaler d’eau quand elle se brosse les dents, ne boire que de l’eau en bouteille…

      La raison d’une telle prudence tient en trois lettres : CVM, pour chlorure de vinyle de monomère. Dès 2013, des analyses ont détecté, dans l’eau potable de nombreux secteurs de la Sarthe, la présence de ce gaz organique et incolore s’évaporant une fois porté à ébullition.

    • CVM (chlorure de vinyle monomère), on en connait la toxicité depuis un bon bout de temps :

      https://www.occitanie.ars.sante.fr/le-chlorure-de-vinyle-monomere-cvm-0

      Les risques et seuils sanitaires associés sont déterminés par les instances nationales. Pour en savoir plus consultez le site du Ministère de la santé et de la Prévention et l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

      Les progrès des techniques analytiques ont permis d’inclure systématiquement l’analyse de CVM dans le contrôle sanitaire de l’eau potable à partir de 2007. Les directives européennes successives sur l’eau destinée à la consommation humaine ont fixé à 0,5 µg/litre la limite de qualité dans l’eau du robinet à ne pas dépasser pour la concentration en CVM.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Chlorure_de_vinyle

      Des années 1960 aux années 1980, des dizaines de milliers de kilomètres de canalisations en PVC ont été installées (dont en France) pour transporter l’eau potable. À cause des procédés de fabrication retenus dans ces deux décennies par l’Industrie du plastique ces tuyaux ont relargué, de manière chronique, dans l’eau, des résidus de chlorure de vinyle connus pour leur caractère cancérogène. Là et quand il est recherché, ce polluant est encore retrouvés par les analyses d’eau, à des taux dépassant en France la limite réglementaire de 0,5 μg/L dans plusieurs milliers de communes ; des centaines de milliers de Français ingèrent donc, sans le savoir et depuis des années ou décennies, cette molécule. En dépit d’obligations légales, la première campagne systématique de recherche du CVM dans l’eau n’a débuté qu’en 2011 ; et en 2025, la cartographie de cette pollution est encore lacunaire. Selon le ministère de la santé, environ 140 000 km de canalisations seraient concernés par une contamination au CVM20.

      Une étude a montré qu’en conditions d’écoulement maîtrisées, en 48 h de contact entre une eau à 10°C et une eau à 20°C, le taux de CVM dissous dans l’eau double ;

      à une température donnée, la teneur en CVM dans l’eau d’une canalisation en PVC augmente pratiquement linéairement avec le temps de contact ; la concentration double entre 24 heures et 48 heures de temps de contact ;
      le transfert de CVM depuis une telle canalisation en PVC vers l’eau est important au début de l’exploitation de la canalisation, puis décroît au fil des années. Toutefois, au vu des concentrations en CVM dans les canalisations et dans l’eau, il est estimé que le relargage de CVM peut encore théoriquement durer plusieurs siècles.

      En Janvier 2025, le journal Le Monde relaye un article scientifique qui critique « le discours mensonger des industriels chargés de sa fabrication » et l’inaction de l’État français en matière de prévention et de traitement de ce problème sanitaires, et qui rappelle que les industriels connaissaient la toxicité de cette molécule dès les années 1960 ; une molécule pour laquelle l’Union européenne n’a pas fait de focus, et qui a fait l’objet de déclarations trompeuses des autorités françaises (qui ont systématiquement minimisé les risques associés à l’ingestion de monomère de plastique « en occultant des informations décisives dans ses communications publiques », alors que la dangerosité du CVM, même à faible dose était connue des insustriels et confirmée par les agences sanitaires du pays). Le chercheur, en s’appuyant sur des arguments scientifiques, sur des rapports publics et les données d’Agences Régionales de Santé (ARS), il montre que l’Etat français n’a en outre pas respecté son obligation européenne de mettre en place des mesures visant à éviter les dépassements de normes de potabilité de l’eau, ce qui fait selon lui de ce problème un « scandale sanitaire majeur » et une « négligence fautive ».

    • #Eau_potable cancérigène : 50 ans de « scandale sanitaire »

      Des milliers de km de tuyaux d’eau potable sont contaminés par un agent cancérigène, le CVM. Un problème connu depuis les années 1970. Des analyses inédites révèlent l’ampleur du scandale sanitaire et de l’inaction de l’État.

      Pour des centaines de milliers de Françaises et de Français, l’eau du robinet n’est plus potable. En cause, le CVM, ou chlorure de vinyle monomère, un gaz reconnu comme cancérigène. Cinquante ans après les premières alertes, Reporterre livre des analyses inédites dévoilant une pollution d’ampleur... et l’inertie de l’État.

      Des révélations permises grâce à un lanceur d’alerte, le chercheur en sciences politiques Gaspard Lemaire. Il a obtenu — non sans mal — des milliers d’analyses d’eau auprès des autorités sanitaires. Les résultats, que Reporterre a pu consulter, montrent une pollution significative. Au total, 6 410 prélèvements d’eau potable sont contaminés par ce composé toxique, dans neuf régions [1]. De quoi parler d’un « scandale sanitaire majeur », selon le doctorant.
      Un scandale sanitaire minimisé

      Afin de bien saisir l’affaire, remontons quelques décennies en arrière. Le CVM est employé dans la fabrication d’objets en plastique PVC, en particulier les tuyaux. Or depuis les années 1930, les preuves de sa toxicité se sont accumulées. Jusqu’en 1987, quand le Centre international pour le cancer l’a classé comme cancérigène certain pour l’humain.

      Malgré les alertes, « les producteurs de PVC se sont efforcés de dissimuler durant des années la toxicité du CVM et les dangers encourus par les travailleurs comme par les consommateurs », note Gaspard Lemaire dans un article. À partir des années 1960, ce plastique a inondé le marché des canalisations, en plein boum. En France, « l’adduction d’eau dans la partie ouest du pays n’est survenue que dans les années 1960-1970 », raconte Frédéric Blanchet, de l’Association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement (Astee). Beaucoup de hameaux, de fermes isolées ont été raccordés à cette époque-là.

      Dans les années 1980, de nouveaux procédés de fabrication ont permis d’éliminer la majeure partie du CVM dans le PVC. Mais le mal était déjà fait. Le ministère de la Santé estime à environ 140 000 km le linéaire de canalisations en PVC posé avant 1980 ou dont la date de pose est inconnue [2]. « C’est considérable », remarque Franco Novelli, de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).

      « Les législateurs ont gravement
      manqué de diligence »

      Pourtant, il a fallu attendre plusieurs décennies avant que les pouvoirs publics ne prennent la mesure du problème. « Informés des risques liés à la contamination des réseaux d’eau par cette substance, les législateurs ont gravement manqué de diligence », observe Gaspard Lemaire dans son article. Ce n’est qu’en 1998 que l’Union européenne a fixé un seuil à ne pas dépasser pour le CVM dans l’eau potable : 0,5 microgramme par litre (µg/L).

      Puis, « alors que l’État français aurait dû mettre en place des mesures visant à éviter ces dépassements, la première campagne systématique visant à détecter la présence de [cette substance] dans l’eau ne date que de 2011 », indique le chercheur. Interrogé par Reporterre, le ministère de la Santé livre une version différente : « L’analyse du chlorure de vinyle monomère (CVM) dans l’eau du robinet est systématique depuis 2007 », nous a-t-il indiqué par courriel.

      Une vision enjolivée de l’histoire : en 2007, le gouvernement a pris un arrêté qui prévoit enfin la mise en place d’analyses des eaux potables. Mais la première mission de détection du composé toxique dans les réseaux n’a été menée qu’en 2011, nous a affirmé l’Astee, qui a participé à ce programme. Des recherches tardives, qui ont confirmé les craintes des autorités.

      Depuis une dizaine d’années, les signaux rouges se sont ainsi multipliés. Des habitants ont découvert du jour au lendemain qu’ils ne pouvaient plus consommer l’eau du robinet, comme Reporterre le racontait en 2017. Des communes se sont retrouvées à devoir distribuer de l’eau en bouteille. En urgence, des syndicats des eaux ont ouvert les vannes de leurs canalisations et mis en place des purges pour vider les réseaux des eaux contaminées [3]. Bref, c’est le branle-bas.
      Des petites communes laissées-pour-compte

      Mais pas question de laisser s’ébruiter le scandale ! Comme Reporterre l’a raconté, les habitants sont souvent peu ou pas informés de la pollution. Et les autorités sanitaires renâclent à livrer leurs analyses. Après plusieurs réclamations et un passage par la Commission d’accès aux documents administratifs, Gaspard Lemaire a cependant obtenu de neuf agences régionales de santé (ARS) les résultats des prélèvements effectués.

      D’après ces résultats, transmis à Reporterre et aux médias Le Monde, Politis, France culture et « Envoyé spécial », 6 410 non-conformités ont été identifiées entre 2014 et 2024 dans neuf régions. Les dépassements de limites de qualité atteignent jusqu’à 1 400 fois le seuil fixé par la réglementation européenne. Avec des disparités fortes entre territoires : en Normandie, 11 % des prélèvements d’eau se sont révélés non conformes, alors que ce taux tombe à 0,5 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

      Globalement, les petites communes en bout de réseau sont les plus affectées, car l’eau ayant tendance à stagner dans les canalisations se charge en CVM [4]. Au total, d’après une instruction du ministère de la Santé publiée en 2020, « plus de 120 000 analyses de CVM ont été réalisées sur le réseau de distribution d’eau depuis octobre 2012 avec un taux de conformité proche de 97 % ».

      Pas très rassurant, estime Gaspard Lemaire : « Un taux de non-conformité de 3 % laisse penser qu’un nombre important de Français sont manifestement exposés au CVM. » Aucune estimation précise du nombre de communes et de personnes affectées n’a été diffusée. Mais selon une note de position de l’Institut de veille sanitaire publiée en 2010, 600 000 personnes seraient concernées par des niveaux de CVM non conformes. Le chercheur dénonce ainsi une « dissimulation du problème de la part de l’État [...] qui a systématiquement minimisé les risques ».
      Des solutions trop coûteuses

      Comment expliquer une telle attitude des pouvoirs publics ? Nous avons posé la question au ministère, qui estime — comme nous l’avons écrit plus haut — avoir réagi dès 2007. Soit neuf ans après l’adoption de la directive européenne sur ce sujet. Dans son courriel, l’exécutif indique aussi être allé « plus loin que la réglementation européenne », qui ne requiert pas de prélèvements ni d’analyses poussées de l’eau potable. Pour le reste, il nous renvoie vers les collectivités propriétaires des réseaux, « en charge des travaux nécessaires en cas de présence de CVM ». En clair : circulez, il n’y a rien à voir.

      Pour Frédéric Blanchet, de l’Astee, la prise de conscience (tardive) des autorités s’explique par un manque d’expertise : « Dans le domaine de l’eau, il existe une barrière analytique : on ne peut évaluer que ce qu’on sait analyser, indique-t-il. Pendant longtemps, on ne savait pas quantifier du CVM à 0,5 µg/L. » Autant chercher une aiguille dans une botte de foin sans bonnes lunettes.

      L’expert se souvient aussi du « flou total » à la fin des années 2000, quand il est apparu urgent de traiter cette contamination. « On voyait apparaître de plus en plus de non-conformités [d’eau potable avec trop de CVM], et on ne savait pas quoi faire, se souvient-il. On avait très peu d’exemples d’autres pays et de référentiels réglementaires pour gérer ces situations. »

      Un argument nuancé par Gaspard Lemaire : « Aux États-Unis, dès 1975, l’Agence de l’environnement avait été en mesure de détecter la présence de CVM dans l’eau avec un seuil de détection de 0,03 µg/L », note-t-il dans son article. Pour le chercheur, la raison de l’inaction étatique tient plutôt à la complexité du sujet : une fois que le problème est connu et reconnu, il faut agir. Or les solutions sont coûteuses et difficiles à mettre en place.

      « C’est vraiment un casse-tête »

      « Quand on constate des dépassements répétés de la limite de 0,5 µg/L, l’eau est déclarée non conforme, et on a trois ans pour gérer le problème, détaille Franco Novelli. On peut diluer l’eau contaminée, distribuer de l’eau en bouteille, purger les canalisations… Mais à terme, la seule solution, c’est de remplacer les tuyaux. »

      Or cette dernière — et unique — solution prend du temps, beaucoup de temps. Il faut d’abord déterminer les canalisations à risque à l’aide de modèles informatiques complexes, puis effectuer une série de prélèvements. Dans les Côtes-d’Armor, il a ainsi fallu plus de deux ans pour juste identifier précisément les 77 km problématiques, sur les 4 500 km de tuyauterie départementale. « Si l’on veut faire les choses bien, avec précision, il faut prendre du temps », indique Joël Rivallan, ancien directeur de syndicat départemental des eaux.

      Mais même une fois les tronçons incriminés bien identifiés, encore faut-il pouvoir les changer ! Le changement d’un kilomètre de canalisation coûte entre 50 000 et 200 000 euros selon la configuration des lieux, d’après les chiffres transmis par le ministère.

      Une somme colossale, que les petites communes rurales — principalement concernées — n’ont généralement pas. « C’est vraiment un casse-tête, soupire Bertrand Hauchecorne, premier élu de la commune de Mareau-aux-Prés dans le Loiret et membre de l’Association des maires ruraux de France. Comme on n’a pas les moyens de renouveler les réseaux, on fait des emprunts, mais cela augmente le prix de l’eau, parfois à des montants difficilement acceptables par les usagers. »

      Car malgré les promesses du président Macron, les aides ne sont pas à la hauteur. « Le plan eau n’a pas eu d’effet sur le terrain, constate l’édile. Les Agences de l’eau ont des moyens en baisse, le Fonds vert se réduit peu à peu et les dotations des départements ne sont pas systématiques. » Face à ce mur d’investissement, les pouvoirs publics semblent tentés par la stratégie de l’autruche.

      « C’est difficile d’informer le public sur le fait que les canalisations sont cancérogènes, et que pendant des années on n’a rien fait », résume Gaspard Lemaire. Pour le chercheur, « la gestion de cette affaire ne relève nullement d’un cas isolé, mais témoigne d’une incapacité généralisée de l’État à protéger les citoyens contre les menaces sanitaires croissantes ».

      https://reporterre.net/Eau-potable-cancerigene-50-ans-de-scandale-sanitaire

    • À #Strasbourg et en #Alsace, une eau contaminée aux polluants éternels

      Une étude d’UFC-Que Choisir du Bas-Rhin publiée jeudi 23 janvier 2025 confirme la contamination de l’eau de Strasbourg aux polluants éternels ou PFAS. Retour sur un problème sanitaire régional.

      Dans un communiqué publié jeudi 23 janvier, l’association de consommateurs UFC-Que Choisir et l’association écologiste Génération futures ont révélé les résultats de leurs analyses sur la qualité de l’eau à Strasbourg et à Mulhouse. Huit polluants éternels – des per- et polyfluoroalkylées plus connus sous le nom de PFAS – ont été retrouvés dans l’eau du robinet analysée. Les mesures ont été effectuées entre juin et novembre 2024 par un laboratoire indépendant. Ce dernier a détecté l’un de ces polluants éternels, le perfluorooctane sulfonate (PFOS), à hauteur de 1,9 nanogramme par litre (ng/l). Utilisés dans la fabrication de produits anti-adhésifs et de mousses anti-incendie, les PFOS sont toxiques. Ils sont interdits à la production et d’utilisation depuis 2019 en Europe.

      Des normes qui ne rassurent pas

      Cette étude fait écho à une enquête d’Ici Alsace (anciennement France Bleu Alsace). Des mesures avaient révélé que les eaux du robinet de Strasbourg et d’Ammerschwir près de Colmar sont contaminées aux polluants éternels. Au micro d’Ici Alsace, Thierry Schaal, vice-président de l’Eurométropole en charge de la gestion de l’eau potable, a assuré que les PFAS présents dans l’eau de l’agglomération ne contiennent que des concentrations inférieures aux valeurs limites. Selon la norme européenne appliquée en France à partir de 2026, la somme des 20 principaux PFAS ne doit pas excéder les 100 ng/l.

      Mais l’UFC-Que Choisir estime que ces normes sont obsolètes et qu’elles ne permettent pas de garantir l’innocuité des eaux testées :

      « Cette valeur de 100 ng/l ne se base sur aucune donnée toxicologique. C’est simplement le niveau de détection qu’atteignaient les méthodes d’analyse il y a quelques années. (...) Si l’on prenait la norme bien plus protectrice pour les consommateurs que le Danemark appliquera en 2026 (2 ng/l pour la somme de quatre PFAS), alors le prélèvement de Strasbourg serait non-conforme. »

      Une contamination régionale

      En 2023, un consortium de médias intitulé le Forever Pollution Project avait révélé l’étendue de la pollution aux PFAS en Europe. En Alsace, les bords du Rhin sont particulièrement touchés. L’enquête, republiée par Rue89 Strasbourg, révélait la contamination de 200 sites en Alsace, avec un pic à 941 ng/l dans la commune du Vieux-Thann dans le Haut-Rhin.

      Rue89 Strasbourg a aussi cartographié les résultats d’une étude de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) sur les prélèvements d’eaux rejetées par des entreprises alsaciennes pouvant « présenter des dangers (incendie, explosion, etc.) pour l’environnement, la santé et la sécurité publique » Cette étude a révélé la présence de PFAS dans 99 des 116 sites analysés en Alsace. Parmi eux, des entreprises de l’Eurométropole de Strasbourg comme la papeterie Blue Paper à Strasbourg, le complexe Alsachimie et Butachimie de Chalampé (Haut-Rhin) ou encore le cimentier Holcim à Altkirch.
      Toute la nappe alsacienne polluée

      Cette pollution de l’eau se retrouve aussi au niveau de la nappe phréatique d’Alsace. En 2024, Rue89 Strasbourg a détaillé les résultats d’une étude réalisée par l’Observatoire de la nappe d’Alsace (Aprona). Cette dernière a révélé que 97,5% des 200 points de mesure en Alsace sont contaminés par l’acide trifluoroacétique, appelé TFA. Cette molécule, de la famille des PFAS, est très peu connue. Aucune étude n’a encore été réalisée pour documenter sa toxicité. De ce fait, elle continue à être utilisée.

      Ce que l’on sait, en revanche, c’est que le TFA est issue de la dégradation d’un pesticide fluoré, le flufénacet. Ce pesticide, utilisé dans les grandes cultures céréalières (blé et orge principalement), est vendu par les entreprises Bayer et BASF. La commercialisation de ce produit, officiellement reconnu comme perturbateur endocrinien l’année dernière, devait cesser en 2013. Mais le pesticide a fait l’objet de neuf dérogations émanant de la Commission Européenne, permettant à Bayer et BASF de continuer réaliser à vendre cette molécule toxique.
      Une recherche de solutions en cours

      Face à l’urgence de la situation, des chercheurs de l’Université de Strasbourg se sont fixé comme objectif de trouver une solution contre l’accumulation de cette pollution (lire notre article). Stéphane Vuilleumier et Michaël Ryckelynck cherchent ainsi le micro-organisme qui sera capable de dégrader les milliers de PFAS existants pour lutter contre leur accumulation dans les milieux naturels. Un projet audacieux et complexe, toujours en cours au moment de publier cet article.

      D’autres solutions sont envisagées pour dépolluer les environnements. D’abord par une interconnexion des réseaux d’eau pour diluer les polluants. D’autres communes préfèrent installer des filtres au charbon actif (en projet à Mommenheim). Selon une enquête publiée par Le Monde, « la facture vertigineuse que les Européens devront payer pour éliminer les PFAS de leur environnement » se situe « entre 95 et 2 000 milliards d’euros sur vingt ans ».

      https://www.rue89strasbourg.com/strasbourg-alsace-eau-polluants-eternels-331148