Elon Musk accusé d’avoir fait un salut nazi, ou comment la culture 4chan entre à la Maison Blanche , Damien Leloup, Martin Untersinger
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Musk n’est pas un idéologue ordinaire. C’est avant tout un troll. Et pour le troll, issu de 4chan, du Gamergate et de toute cette culture de la provoc’ et de l’ironie trash où la souffrance de l’autre est toujours plus ou moins réductible à une blague, la seule question est celle des limites. Plus les modérateurs sont coulants, plus il se permet de choses. Via @parpaing, là
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Le geste du patron de X lors de la cérémonie d’investiture de Donald Trump est le prolongement de ses appels du pied à l’#antisémitisme et au #suprémacisme_blanc. Imprégné de la culture du forum 4chan, il en reprend les techniques de provocation : choquer, tout en semant le doute sur la nature réelle de ses intentions.
« C’est usant, ce truc de comparer tout le monde à Hitler. » C’est en ces termes, et donc sans aucunement chercher à rassurer sur la nature de son geste, qu’Elon Musk a choisi de réagir aux critiques qui lui sont adressées depuis qu’il a exécuté ce qui s’apparente à un double #salut_fasciste, lundi 20 janvier, à l’occasion de son discours dans une enceinte sportive de Washington, au soir de la cérémonie d’investiture de Donald Trump.
« Un salut hitlérien est un salut hitlérien », a tranché mardi l’hebdomadaire allemand Die Zeit, alors qu’une partie de la presse continue de débattre sur la manière d’interpréter la scène. Mais chez les militants d’#extrême_droite du monde entier, en tout cas, la question fait consensus. Patrick Casey, le fondateur du groupuscule néonazi Identity Evropa, en a, par exemple, publié un extrait assorti d’une plaisanterie sur le fait qu’il n’en croyait pas ses yeux. Les mêmes images ont été diffusées par Andrew Torba, le fondateur de la plateforme d’extrême droite Gab, avec la mention « des choses incroyables se produisent déjà ». Sur un groupe Telegram néonazi américain, les images de la gestuelle d’Elon Musk sont accompagnées d’un enthousiaste « ON EST DE RETOUR PUTAIN », a constaté le mensuel américain Wired.
Le geste du multimilliardaire ne sort pas de nulle part. Cela fait des mois que le propriétaire du réseau social X multiplie les références à l’antisémitisme et l’idéologie nazie. En plus de plusieurs plaisanteries douteuses, il remet en question en mai 2023 le caractère antisémite d’une fusillade perpétrée par un homme arborant des tatouages en forme de croix gammée. Quelques jours plus tard, c’est le milliardaire juif George Soros qu’il accuse, dans un sous-entendu antisémite clair, de « détester l’humanité » et d’« éroder le tissu même de la civilisation ».
En novembre 2023, il tweete son approbation à un message accusant les juifs de « haine contre les Blancs », une obsession antisémite largement documentée. En septembre 2024, il recommande le visionnage d’un documentaire réalisé par un historien autoproclamé aux théories révisionnistes sur la Shoah. En prenant les manettes du réseau social, il a aussi rétabli le compte du plus célèbre néonazi d’Amérique, le fondateur du site The Daily Stormer Andrew Anglin, ainsi que celui du rappeur Kanye West, suspendu de X après des messages antisémites, ou encore celui de Patrick Casey.
Provocation absolue et sans limite
Cette symbolique nazie est aussi très ancrée dans la culture d’un espace en ligne bien particulier et qu’Elon Musk admire : 4chan. Ce gigantesque forum, anonyme et à la modération quasi inexistante, est depuis plus de quinze ans l’un des viviers en ligne des discours les plus extrémistes, racistes, antisémites ou masculinistes, notamment dans son sous-forum « 4chan/pol », consacré aux discussions « politiquement incorrectes ». Au début du mois de janvier, l’homme d’affaires avait changé son profil sur le réseau social X pour y devenir brièvement « Kekius Maximus », une référence à plusieurs mèmes emblématiques de #4chan.
Cet espace communautaire a ses propres règles : il se pense comme celui de la provocation absolue et sans limite, où l’on peut trouver, dans un même fil de discussion, des images à la gloire du nazisme, des blagues sur les Pokémon et de la pornographie « hardcore ». Sa règle cardinale est la transgression. Mais force est de constater que dans cet espace où tout est permis, où « jouer au nazi » est normalisé, on trouve aussi beaucoup d’authentiques nazis. C’est là une tactique bien connue des militants extrémistes : la normalisation par la provocation, sous couvert d’humour, de références et d’idées que l’on cherche à insérer dans le débat public, tout en se ménageant une porte de sortie rhétorique, une possibilité de nier, pour introduire davantage de confusion.
Elon Musk a déjà eu recours à ce procédé. Le 27 octobre 2024, à l’occasion d’un meeting du candidat Donald Trump au Madison Square Garden de New York, il arborait une casquette noire sur laquelle le slogan « Make America Great Again » était écrit en lettres gothiques. [Voir ici : ▻https://www.livemint.com/news/us-news/us-election-2024-dark-gothic-donald-trump-elon-musk-wears-hat-with-fraktur Un débat s’en est suivi : s’agissait-il d’une police de caractères utilisée par les nazis ? Pendant que certains s’échinaient à des comparaisons pixel par pixel, le message, pas si subtil, était déjà passé.
Une culture politique forgée en ligne
L’homme le plus riche du monde ne s’en cache guère : il admire 4chan, incarnation à ses yeux d’une liberté d’expression absolue, et se considère comme faisant partie de cette communauté. Il répond ainsi parfois à des comptes X consacrés au forum et plaisantait, en mai 2024, sur le fait que son outil d’intelligence artificielle Grok allait désormais s’entraîner sur le contenu de la plateforme. Fin 2024, il promouvait aussi sur X une théorie masculiniste née sur 4chan, selon laquelle la meilleure forme de gouvernement est celle qui donne le pouvoir aux « hommes ayant un taux de testostérone élevé ».
Sur 4chan, le sens de la provocation du milliardaire est parfois salué. Mais son besoin compulsif de plaire à cette communauté, ou la manière dont il met en scène ses performances exagérées sur plusieurs jeux vidéo, le placent aussi souvent dans la position, honnie sur le forum, de « tryhard » : celui qui veut tellement plaire qu’il en fait trop. Un péché mortel sur 4chan, où l’on se doit d’être indifférent à tout.
Sans compter que cet espace en ligne abrite aussi les franges les plus radicales des mouvements Incels ou doomer, des communautés construites entre autres sur la haine des femmes, le pessimisme, la solitude, la pauvreté et le nihilisme. Quelle place peut vraiment y avoir l’homme le plus riche du monde, qui a été en couple avec la star Grimes et qui est désormais le bras droit du président de la première puissance mondiale ?
Les saluts de M. Musk ne sont donc ni un accident ni un moment isolé. Ils sont à l’image de sa culture politique, forgée bien davantage dans des recoins peu recommandables d’Internet que dans les livres. Des espaces qui influencent désormais directement le paysage politique américain, maintenant que 4chan a trouvé son émissaire à la Maison Blanche.