« Nous sommes en présence d’un trop grand nombre de personnes en difficulté » : l’alerte lancée par le président des Restos du cœur
▻https://www.midilibre.fr/2025/01/13/nous-sommes-en-presence-dun-trop-grand-nombre-de-personnes-en-difficulte-l.
Les Restos du cœur font toujours face à une hausse des demandes. Entretien avec le président de l’association, Patrice Douret.
Les Restos du cœur se sont retrouvés dans une situation critique l’an dernier, rencontrez-vous toujours les mêmes difficultés ?
Nous connaissons toujours le même niveau d’activité, nous sommes en présence d’un trop grand nombre de personnes en difficulté. Nos équipes sont donc extrêmement mobilisées actuellement sur cette 40e campagne des Restos du cœur.
Le nombre de demandes est-il toujours en augmentation ?
Oui, malheureusement, et nous avons du refuser 110 000 personnes l’a dernier, mais nous avons accueilli 1 300 000 personnes, c’est un chiffre très élevé.
On n’a pas encore de tendances suffisamment consolidées cette année, en pleine période d’hiver, mais je suis à Montpellier aussi pour écouter nos équipes et les besoins sont importants. Les personnes qui viennent chez nous ont besoin d’une aide alimentaire vitale, mais souvent aussi d’un accompagnement (budgétaire, scolaire, accès aux droits…).
Le profil des personnes qui poussent la porte des Restos du cœur évolue-t-il ?
À l’époque de la création des Restos par Coluche, on parlait des nouveaux pauvres, on était en pleine crise économique avec le chômage de masse. Ces nouveaux pauvres sont toujours là, mais ils sont plus nombreux.
On a beaucoup plus de familles désormais, des personnes qui travaillent et qui le 10 du mois, n’ont plus un seul euro. Ce qui nous frappe, c’est cette jeunesse, la moitié des personnes qu’on accueille ont moins de 25 ans, 39 % sont des mineurs et ce qui nous révolte, c’est que les bébés sont en constante augmentation.
Comment l’expliquez-vous ?
On a de plus en plus de familles monoparentales avec souvent des mamans seules, qui s’occupent de leurs bébés, elles sont obligées de s’arrêter de travailler parce qu’elles n’ont pas de solution de garde, ou c’est beaucoup trop cher, et l’arbitrage est de plus en plus difficile entre nourrir son enfant, lui acheter des produits d’hygiène, des couches, tout ça coûte très cher pour des familles en situation de précarité.
C’est pour ça qu’on a décidé cette année de mettre la priorité sur la petite enfance, pour le dire modestement, parce qu’on ne sauvera pas le monde, on va essayer de lutter contre cette reproduction de la précarité pour qu’on arrête de constater que c’est une fatalité d’année en année. Il y a de plus en plus d’enfants qui naissent pauvres et ils mettront ensuite six générations avant de s’en sortir, comme le montrent les données de l’OCDE.
Si on ne veut pas constater que les enfants qu’on reçoit aujourd’hui deviennent les adultes accueillis demain aux Restos du cœur, il faut essayer de tout faire pour les aider dès les trois premières années, c’est là que se construit le reste de la vie de cet enfant.
Avec cet afflux de demandes, de plus en plus de personnes restent-elles à la porte des Restos
du cœur ?
Il y a de plus en plus de personnes en difficulté, en 2022 l’Insee estimait qu’il y avait un peu plus de 9 millions de personnes en situation de pauvreté monétaire en France et, parmi elles, beaucoup passent en dessous des radars, notamment les personnes qui vivent à la rue.
Il y a toujours des publics aujourd’hui qui n’ont pas accès aux aides, c’est ce qu’on a constaté après la crise sanitaire avec beaucoup de personnes isolées en ruralité. Mais les associations ne peuvent pas remplacer les pouvoirs publics pour couvrir tous les besoins,
Recensez-vous des difficultés particulières dans la région Occitanie ?
Oui, dans cette région, où nous avons un peu plus de près de 9 000 bénévoles, on a constaté une augmentation de près de 30 % de la fréquentation des Restos l’année dernière, avec de fortes variations selon les départements, c’est un chiffre considérable.
Dans l’Hérault, un peu plus de 3,6 millions de repas ont été distribués pendant la précédente campagne, c’est énorme pour un seul département. En Occitanie, ne serait-ce que sur les personnes que l’on rencontre à la rue, sur nos maraudes, sur nos camions du cœur, plus de 220 000 contacts ont été établis l’an dernier. Ce sont des chiffres importants et qui sont en évolution, avec une fréquentation qui ne cesse d’augmenter
Quelles sont les perspectives ? Craignez-vous une aggravation de la situation ?
Nous sommes inquiets, parce que le climat politique est instable. Lorsque nous avons lancé notre cri d’alarme en 2023, nous espérions des mesures réellement structurantes pour lutter contre la précarité à la racine. Nous restons très attentifs aussi à l’évolution de la situation économique et il n’y a rien qui nous rassure aujourd’hui.
Vous ne bénéficiez pas, de plus, du même élan de solidarité que l’an dernier.
Oui, très clairement. Les Français sont obligés déjà de faire des arbitrages dans leur propre vie personnelle pour se nourrir, se chauffer, se déplacer, s’habiller, il est clair que le choix d’aider les associations est plus difficile.