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  • La circulaire Retailleau sur les immigrés sans papiers accentue les craintes : « On leur met encore plus de bâtons dans les roues »
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    La circulaire Retailleau sur les immigrés sans papiers accentue les craintes : « On leur met encore plus de bâtons dans les roues »
    Par Julia Pascual (envoyée spéciale à Rouen)
    A Rouen, immigrés sans papiers et bénévoles de la Cimade, patrons et avocats s’inquiètent des répercussions du texte du ministre de l’intérieur du 23 janvier. Il vise à durcir les critères de régularisation en demandant aux préfets de privilégier les travailleurs dans les métiers en tension et d’exiger sept années de présence en France pour tous les autres.
    « C’est de pire en pire pour les immigrés. » Sarah (toutes les personnes citées par un prénom ont requis l’anonymat) aimerait que « le gouvernement change d’avis », mais, en attendant, cette Algérienne sans papiers mesure la difficulté du parcours dans lequel elle s’est engagée. Dans les locaux de la Cimade, une association d’aide aux migrants, de Rouen, ils sont quelques immigrés à défiler, jeudi 30 janvier, pour se faire aider à constituer un dossier de régularisation ou à obtenir un rendez-vous à la préfecture. Ou simplement être épaulés. Et personne n’est enthousiaste après que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a diffusé, le 23 janvier, une nouvelle circulaire visant à durcir les critères de régularisation.
    Ce texte remplace la circulaire Valls de 2012 qui permettait à environ 30 000 personnes d’être régularisées chaque année, au titre du travail qu’elles exercent ou, plus souvent, de leur vie privée et familiale en France. Désormais, en dehors de certains travailleurs dans des métiers en tension, la régularisation n’interviendra qu’au terme de sept années de présence, contre cinq jusque-là, sous réserve d’une certification du niveau de français, en l’absence de comportement troublant l’ordre public et d’obligation de quitter le territoire français (OQTF) de moins de trois ans.
    S’il est encore trop tôt pour mesurer la façon dont les préfectures se saisissent du texte, son écho parvient aux principaux intéressés comme une menace sourde. Arrivée il y a un an et demi en France, Sarah vit à Rouen avec son mari et ses deux enfants. Si son époux, sans papiers également, réussit à glaner quelques petits boulots au noir sur les marchés ou des chantiers, Sarah bute contre son statut administratif. « Les patrons ont peur, ils ne veulent pas m’embaucher, dit-elle. Mais pour demander une régularisation, il faut des bulletins de paie. Je ne comprends pas, il y a une contradiction. »
    Cette contradiction, Ahmed, un Franco-Algérien à la tête d’une entreprise de peinture, dans la Seine-Maritime, y est aussi confronté. Avant même la circulaire Retailleau, il a vu les pratiques de l’administration se raidir. « Je ne comprends pas pourquoi on freine cette main-d’œuvre qui fait du bien à tout le monde, aux caisses de l’Etat comme aux entreprises », s’interroge ce patron. Il a voulu accompagner, il y a deux mois, un de ses ouvriers sans papiers dans sa demande de régularisation par le travail, en lui fournissant des documents à l’appui de son dossier, mais il redoute un retour de manivelle. Ces derniers mois, Ahmed a appris que deux dirigeants de société dans son entourage, l’un turc, l’autre marocain, s’étaient vu retirer leur carte de résident par la préfecture. Leur faute ? « Ils avaient embauché des sans-papiers et fourni une attestation pour qu’ils soient régularisés », dit-il. « En procédant de la sorte, on incite au travail au noir », dénonce l’avocate rouennaise en droit des étrangers Cécile Madeline.
    Emé a beau être déclarée pour les trois heures de ménage qu’elle effectue au quotidien dans des appartements loués sur Airbnb, elle a toutefois remarqué que ses collègues en règle gagnent plus qu’elle. Elle ne peut pas s’en plaindre. Elle n’a pas encore déposé sa demande de titre de séjour auprès de la préfecture de Rouen. Alors elle prend son mal en patience. Viviane Hue, la bénévole de 70 ans qui l’accompagne, assistante sociale à la retraite, explique qu’elle attendait « la fin de l’année et qu’elle soit prête à prendre le risque ». Celui d’essuyer un refus et une OQTF. Maintenant que la circulaire Retailleau exige sept ans de présence sur le territoire, elle doit attendre encore deux ans, car ça ne fait « que » cinq ans qu’Emé est « coincée », vit à la rue, qu’elle a laissé ses quatre enfants en Angola. En son absence, sa fille de 15 ans est devenue mère, à la suite d’un viol. « Comme je ne suis pas là-bas, je ne sais pas ce qu’il s’y passe vraiment », bredouille-t-elle, inquiète.
    Cet entrelacs de règles mouvantes et d’impasses administratives, Fadila le trouve « énervant ». Auxiliaire de vie de 47 ans, arrivée du Maroc à l’âge de 11 ans et naturalisée française, elle est venue à la permanence de la Cimade pour faire avancer la demande de régularisation de sa mère de 84 ans. Cette dernière avait un titre de séjour auparavant mais, confinée au Maroc pendant la crise liée au Covid-19, elle n’a pas pu le renouveler. Revenue en France avec un visa en 2024, elle a depuis basculé en situation irrégulière. « J’ai déposé une demande de titre en mars 2024, je n’ai pas de nouvelles depuis. J’ai écrit trois fois à la préfecture, envoyé des mails. Je ne peux pas y aller sans rendez-vous, ni prendre de rendez-vous », souffle Fadila. Elle est d’accord pourtant, pour que l’on réduise l’immigration ; d’accord pour que la France n’accepte pas « tout le monde » et exige un niveau de français aux immigrés. Mais pas à sa mère.
    Elle ne trouve en revanche « pas normal » que les demandeurs d’asile aient, selon elle, « des aides et des logements faciles ». Elle se souvient aussi de cette réfugiée ukrainienne à côté de qui elle avait pris place dans le bus et qui s’était fait contrôler sans titre de transport. « Elle a montré son récépissé et le contrôleur ne lui a pas mis d’amende. Si ça avait été moi, je suis sûre que j’aurais été verbalisée. C’est pas normal », répète-t-elle.Installé dans un autre bureau de la permanence associative, Alexandre n’est, pour sa part, pas opposé à ce que « les étrangers qui font n’importe quoi soient expulsés ». Mais « on n’est pas tous des voleurs », insiste ce Brésilien de 38 ans qui voudrait des papiers. Père de deux enfants, il cumule dix années de présence sur le territoire. Néanmoins, son dossier de demande de régularisation comporte des fragilités. En particulier ce bracelet électronique qu’il a porté six mois en 2016 pour avoir, dit-il, « rendu service à [son] patron » qui lui a demandé de l’aider à passer à tabac l’amant de sa femme. Et puis il a écopé d’une OQTF à la même époque.
    Mais, depuis, « je vis comme un Français, assure-t-il. Ce qui me manque, c’est d’aller en vacances au Brésil et de faire un crédit pour acheter une maison ». Viviane Hue essaie de « gonfler » son dossier, pourtant déjà épais comme deux bottins. « On n’a pas le diplôme de français, mais on a des certificats de formation, au désamiantage ou au travail dans des espaces confinés. Et il est professeur de ju-jitsu dans un club », énumère la bénévole. Comme la circulaire Retailleau exige un niveau de langue certifié, Alexandre s’est aussi renseigné auprès de l’Alliance française de Rouen et, pour 500 euros, il pourrait décrocher une preuve de son niveau B1. Alexandre reconnaît qu’il a pris du retard dans l’acquisition du français, en évoluant longtemps au seul contact de collègues lusophones sur des chantiers de décontamination au plomb et à l’amiante.
    « On demande aux gens des parcours invraisemblables en leur mettant encore plus de bâtons dans les roues », regrette Mme Hue. En matière d’intégration, sous le régime de la circulaire Valls, les certificats de scolarisation des enfants étaient des pièces maîtresses. Mais la circulaire Retailleau ne les mentionne plus. Les bénévoles devront redoubler d’imagination pour étayer auprès des préfectures l’insertion de gens pourtant contraints à des existences discrètes. « On fournit déjà des attestations de visite de musées, illustre Viviane Hue. On fournit aussi des lettres de voisins pour prouver qu’ils se conduisent bien et ne font pas de bruit. »
    Atanda n’a pas de voisin. Cette Nigériane de 30 ans, mère de trois enfants, est à la rue, comme d’autres. La famille est tantôt hébergée par le SAMU social, « une semaine ici, trois jours là ». « Je suis si fatiguée », confie-t-elle. Ballottée entre ces hébergements, sa fille aînée arrive souvent en retard à l’école. Atanda a déposé un dossier de régularisation en décembre 2023. Elle est sans nouvelles depuis. « Je veux commencer une nouvelle vie, payer mes impôts, faire de mon mieux », promet-elle. Voilà huit ans qu’Atanda est en France. De ce point de vue, elle remplit le nouveau critère de la circulaire Retailleau, assimilé, selon le texte, à un « indice d’intégration pertinent ». Atanda peut dire ce que huit années d’errance lui ont apporté : des migraines ophtalmiques chroniques. « Je pense trop, justifie-t-elle. Je me demande si Dieu va m’aider. » Faire davantage attendre les gens est « une folie », tranche Jacqueline Madeline. A 84 ans, cette médecin retraitée engagée à la Cimade de Rouen questionne : « On veut des gens qui arrivent avec un espoir ou qui font la queue aux Restos du cœur ? Qui supporterait ça ? »

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