Comment expliquer le succès du discours anti-immigrés, thème qui domine la politique suisse depuis des décennies et qui s’impose aujourd’hui partout en Europe ? En théorie, la réponse semble évidente : les électeurs réagissent à des craintes culturelles, économiques et sécuritaires suscitées par l’arrivée de migrants. Une étude publiée fin novembre dans l’American Political Science Review par deux chercheurs l’EPFZ et un chercheur de l’Université Bocconi, en Italie, questionne toutefois cette doxa. Sur la base de l’expérience suisse.
Les chercheurs se sont intéressés aux effets de l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes à partir du début des années 2000 dans le canton du Tessin en comparant les zones frontières directement impactées par l’augmentation des travailleurs italiens et celles qui étaient moins exposées. Dans leurs conclusions, ils constatent que la montée en flèche du vote anti-immigrés est sans commune mesure avec l’augmentation de ces travailleurs frontaliers ou migrants, en particulier dans les zones éloignées de la frontière.
Selon leur enquête, les populations frontalières n’ont aucune raison objective à devoir protéger leurs traditions (les immigrés étant de même culture) ni de craindre des menaces économiques (l’emploi et les salaires augmentent). « Nous n’avons trouvé aucune preuve que l’ouverture des frontières augmente la perception d’un risque de chômage accru, d’augmentation des loyers ou d’une dégradation financière. » C’est même parfois le contraire qui s’est produit. Pourquoi cette peur alors ? Les auteurs suggèrent qu’il faut en trouver l’aiguillon dans le discours des élites politiques. Ce rejet s’expliquerait non pas par des craintes objectives de la population auxquelles répondraient les partis politiques, mais, à l’inverse, par un discours alarmiste distillé par de nouveaux « entrepreneurs politiques » pour bousculer les grands partis traditionnels en imposant de nouveaux thèmes.
Pour y parvenir, il fallait toutefois renouveler l’ancien discours raciste ou xénophobe pour convaincre notamment les secteurs les moins politisés de la population. On a ainsi créé un « nouveau narratif » permettant de renforcer les peurs et d’encourager l’hostilité envers les migrants sans être taxé d’extrémiste. Pour ce faire, on a emprunté à la biologie le terme de « stress de densité », une notion qui, appliquée à la société, permet d’expliquer la pression sur les villes, les transports publics, les routes, les campagnes, les supermarchés et jusqu’aux cinémas, par l’immigration.
« Le narratif du stress de la densité (Dichtestress) est attractif dans la mesure où il peut exprimer un malaise face à l’immigration sans être encombré par la connotation xénophobe des termes antérieurs comme l’Überfremdung », explique Dominik Hangartner, l’un des auteurs. Une innovation que l’on doit à l’UDC, premier parti à l’avoir introduit dans ses campagnes pour stopper l’« immigration de masse » au nom d’une protection quasi biologique du territoire. L’argumentaire de la surpopulation a ensuite été repris par les Brexiter en 2016 et plus récemment par Donald Trump qui déclarait l’an dernier que son « pays [était] plein ».
Face à ce nouveau discours, les avocats de l’immigration – pour des raisons économiques et démographiques – n’étaient pas préparés à lui opposer un « contre-discours », constate l’étude. Vingt ans plus tard, personne n’a trouvé la parade. Déconstruire le langage de ces nouvelles élites politiques est un premier pas pour réduire les peurs et s’engager dans une approche plus rationnelle de l’immigration.