Un avis du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (#CNLE), publié mardi, met en garde contre la suspension « sans discernement » de l’allocation et propose un « revenu plancher ».
Par Thibaud Métais
Les critiques s’accumulent contre la réforme du revenu de solidarité active (RSA). Mardi 18 mars, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), instance rattachée au premier ministre, publie un avis sur les risques d’exclusion induits par la mise en œuvre de la loi « pour le plein-emploi » de décembre 2023.
Celle-ci instaure notamment un « accompagnement rénové » pour les bénéficiaires du RSA, qui doivent désormais s’acquitter « d’au moins quinze heures d’activité par semaine ». La loi prévoit certaines exemptions − problèmes de santé, situation de handicap, parent isolé sans situation de garde pour un enfant de moins de 12 ans. Les #allocataires sont aussi automatiquement inscrits à France Travail. Expérimentée dans plusieurs bassins d’emploi dès le printemps 2023, la réforme a été généralisée en janvier à tout le territoire.
La disposition est combattue depuis le début par la gauche, les syndicats et les associations de lutte contre la pauvreté. En décembre 2024, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a adopté un avis considérant que cette obligation « porte atteinte aux droits humains ». ATD Quart Monde s’apprête également à lancer une pétition contre les #sanctions qu’encourent les allocataires du RSA. L’avis du CNLE, que Le Monde s’est procuré, insiste sur les risques liés à l’instauration d’un nouveau régime de sanction, appelé « suspension-remobilisation », qui permet de suspendre son allocation au bénéficiaire du RSA s’il ne respecte pas son contrat d’engagement, en prévoyant un versement rétroactif – dans la limite de trois mois – s’il se conforme à ses obligations.
« Je n’ai eu aucun rendez-vous pour ça »
Un flou entoure encore cette nouvelle sanction, la publication du décret en précisant les contours n’étant prévue qu’au cours du printemps. Lors de la dernière réunion plénière du CNLE, le 11 mars, la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, s’est engagée à le consulter à propos de ce décret. En attendant, le Conseil demande au gouvernement d’adopter un moratoire sur l’application du décret, mettant en avant le risque trop important de perte de ressources.
Pour l’instance, la sanction risque d’inciter les allocataires à effectuer des heures d’activité quelles qu’elles soient, sans qu’elles n’aient un effet concret sur un éventuel retour à l’emploi. Ils pourraient aussi être contraints d’accepter des emplois précaires ne répondant pas nécessairement à leurs aspirations et à leurs capacités. « On demande ce moratoire car, à nos yeux, les conditions ne sont pas réunies pour que ça ne produise pas des radiations et une fragilisation des droits et des ressources des personnes », assure le président du CNLE, #Nicolas_Duvoux.
En s’appuyant sur plusieurs remontées de terrain de personnes sanctionnées et plongées dans des situations catastrophiques, le CNLE craint que la suspension du RSA puisse être appliquée « sans discernement quant aux conditions matérielles d’existence » des allocataires et fragilise « leurs situations au lieu de renforcer la dynamique de l’accompagnement et d’insertion souhaitable ». Lors de la dernière réunion plénière du CNLE, Mike (il n’a pas souhaité donner son nom, comme toutes les personnes citées par leur prénom) est venu témoigner de sa situation. Au RSA depuis juin 2024, il a expliqué avoir été radié début janvier, faute d’avoir accompli ses heures d’activités. « On m’a dit que je ne justifiais pas mes quinze heures, sauf que je n’ai eu aucun rendez-vous pour ça et France Travail m’a dit que je devais me débrouiller », explique-t-il au Monde. Sans aucune ressource, il affirme avoir perdu son logement courant janvier. « Aujourd’hui, je suis bénévole dans une association mais seulement cinq heures, donc la CAF me dit de voir avec France Travail, qui me renvoie vers la CAF car je n’ai plus de conseillère », ajoute-t-il.
« Droit à un revenu plancher »
D’autres profils voient leur situation fragilisée par la mise en place de ce nouveau dispositif. A Toulouse, Sophia, réfugiée arménienne, est au RSA depuis mai 2020. Elle a plusieurs fois travaillé depuis, en usine ou comme femme de ménage dans le métro. Des emplois qu’elle ne peut jamais conserver à cause de problèmes physiques. « Je voudrais travailler de mon métier, comptable », avance-t-elle. Pour cela, elle est inscrite à l’université Toulouse-Jean-Jaurès afin d’apprendre le français. Son statut de réfugié lui permet de cumuler un statut d’étudiante avec le RSA. « Mais France Travail ne prend pas en compte mes soixante-dix heures par mois à l’université comme des heures d’activité », précise Sophia, qui craint d’être l’objet de sanctions. Dans l’association qui l’aide pour ses démarches, on regrette que France Travail décide à sa place, plutôt que de l’accompagner vers la comptabilité comme elle le souhaite.
Parmi ses autres recommandations, le CNLE propose une « redéfinition des termes de l’accompagnement » afin de trouver un équilibre entre les engagements de la collectivité et ceux des allocataires. Surtout, l’organisme demande « l’inscription d’un droit à un revenu plancher », afin d’éviter que les sanctions ne privent totalement les ménages de ressources. L’avis estime qu’un tel droit pourrait être fondé sur le préambule de la Constitution. « Dans le contexte budgétaire compliqué actuel, pour éviter vraiment des risques de perte de droits et de ressources, l’idée c’est d’équilibrer le dispositif par la sanctuarisation d’un revenu plancher qui permettrait d’assurer la continuité des droits », souligne Nicolas Duvoux.