Errances paramédicales - Une perspective féministe sur la naturopathie
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Les brochures des naturopathes et praticien·nes des #médecines_non_conventionnelles racontent en creux la solitude, les symptômes mal identifiés ou psychologisés, l’#errance_médicale. Elles racontent les stress particuliers qui touchent au médicament : les traitements aux résultats décevants, la crainte des effets secondaires, le manque de transparence, d’information, de reconnaissance des affects et des compétences des personnes soignées. La confiance a aussi été entamée par les scandales sanitaires comme celui du Médiator, l’escroquerie du Spasfon, où les industries pharmaceutiques et les pouvoirs publics ont sciemment mis en danger des gens pour engranger des bénéfices à court terme. Ces brochures disent enfin les vulnérabilités historiquement produites par le milieu médical, autant de « zones d’expérience dévastées », pour reprendre l’expression utilisée par Isabelle Stengers dans son Sorcellerie capitaliste.
Au regard du coût des formations (12 995 euros pour la formation de quinze mois à l’Institut supérieur de #naturopathie), des consultations (entre 60 et 110 euros), des probiotiques et des compléments alimentaires, de l’acquisition ou de la location de machines (osmoseur, physioscan), la surreprésentation des femmes et minorités de genre parmi les usager·es de ces médecines se traduit par une saisie directe de leurs ressources. L’enjeu est économique, mais aussi clinique. Selon la morale vitaliste dix-neuviémiste que diffusent les médecines naturelles, il ne s’agit pas exactement de prévenir ou de guérir la maladie mais de produire plus de vie. Le programme thérapeutique associé à cette idée est assez opaque : évacuer des toxines (mais que sont-elles exactement ?), dynamiser l’organisme, régénérer les cellules (qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?). Dans ce rapport métaphorisé au corps, la matérialité des maladies s’estompe. Connaître précisément leur fonctionnement biologique perd de l’intérêt ; la guérissabilité n’est pas nécessairement à l’agenda. #Femmes et minorités de genre font ainsi l’expérience d’une autre errance médicale, tout aussi fragilisante, prenant les chemins de traverse enherbés des médecines douces et naturelles, ce qui retarde souvent leur prise en charge médicale.
L’enjeu de genre autour de l’alimentation est par ailleurs exacerbé. Les médecines naturelles diffusent implicitement ou explicitement une critique de la modernité alimentaire, et avec elle, l’idée selon laquelle on s’intoxiquerait en mangeant mal, que des aliments comme le sucre seraient « meurtriers » quand d’autres prolongeraient la vie. Le rapport à soi encouragé par ce programme thérapeutique pousse à une amélioration constante de son #alimentation et de son #hygiène, gage d’une aptitude à la #santé et à la vitalité. Chez une population féminine historiquement sujette aux privations et à un contrôle social permanent exercé sur ce qu’elle mange, la discipline de la bonne alimentation est un pipeline menant droit à des conduites à risque, comme l’orthorexie. C’est également majoritairement aux femmes qu’incombe la responsabilité de l’alimentation des enfants, et pour elles les injonctions sophistiquées à parfaire son alimentation peuvent déboucher sur des préoccupations sans fin. L’essor de thérapeutiques onéreuses et incertaines dans leurs effets cliniques capture ainsi les multiples vulnérabilités féminines.