• « Licence infinie » – Aurdip
    https://aurdip.org/licence-infinie
    Posted on avril 12, 2025 | Omer Bartov | The New York Review of Books | Traduction CG pour l’AURDIP| Traduction SM pour l’AURDIP
    source : https://www.nybooks.com/articles/2025/04/24/infinite-license-the-world-after-gaza

    La mémoire de l’Holocauste a été enrôlée de manière perverse pour justifier à la fois l’éradication de Gaza et le silence extraordinaire qui a accueilli cette violence.

    Par Omer Bartov, numéro du 24 avril 2025

    (...) Dès que les militants du Hamas sont vus comme des nazis actuels, Israël peut être imaginé comme un ange vengeur, déracinant ses ennemis par le feu et par l’épée. Pendant mon enfance et ma jeunesse en Israël, l’Holocauste était un symbole de honte et de déni, un événement au cours duquel les juifs sont allés à l’abattoir comme des moutons. Au fil des ans, alors que je grandissais, il est devenu quelque chose de tout autre : une histoire de solidarité, de fierté et d’héroïsme juifs. C’est ce sentiment de « jamais plus » qui permet à la plupart des citoyens israéliens juifs de se percevoir dans une position morale élevée alors qu’eux-mêmes, leur armée, leurs fils et leurs filles et leurs petits-enfants pulvérisent chaque centimètre de la Bande de Gaza. La mémoire de l’Holocauste a, de manière perverse, été enrôlée pour justifier à la fois l’éradication de Gaza et le silence extraordinaire dans lequel cette violence a été accueillie.

    Si nous prenons en compte les tués, les blessés, les milliers de personnes enterrées sous les décombres, les milliers de morts « indirectes » dues à la destruction de la plupart des établissements médicaux, les milliers d’enfants qui ne récupéreront jamais totalement des effets à long-terme de la famine et du traumatisme, nous pouvons sans aucun doute conclure qu’Israël a délibérément soumis le peuple palestinien de Gaza, dont la plupart des résidents sont des réfugiés de la partition de la Palestine de 1948 ou leurs descendants, à « des conditions de vie calculées pour amener la destruction physique en totalité ou en partie », comme énoncé dans l’Article II(c) de la Convention sur le génocide de 1948 des Nations Unies.

    Le reste du monde, particulièrement les alliés occidentaux d’Israël et les communautés juives en Europe et aux États-Unis, auront à se battre avec cette réalité pendant de nombreuses années. Comment cela a-t-il été possible, au vingt-et-unième siècle, quatre-vingts ans après la fin de l’Holocauste et la création d’un régime juridique international conçu pour empêcher à jamais de tels crimes de se reproduire, que l’État d’Israël — vu et auto-décrit comme la réponse au génocide des juifs — ait pu exécuter un génocide des Palestiniens dans une impunité presque totale ? Comment faisons-nous face au fait qu’Israël a invoqué l’Holocauste pour ébranler l’ordre juridique mis en place pour empêcher une répétition de ce « crime des crimes » ?

    2.

    Le génocide à Gaza est la toile de fond, mais pas nécessairement le point focal, d’une série de débats qui ont commencé avant le 7 octobre et se sont beaucoup intensifiés depuis. Quelques-uns se fixent sur le génocide-qui-n’existe-pas plutôt que sur celui qui a lieu sous nos yeux. La dispute interne des juifs sur Gaza a déchiré des communautés, des familles et des amitiés. Après l’attaque du Hamas, beaucoup de juifs — pas seulement en Israël, mais aussi dans la diaspora — ont le sentiment de vivre sous une menace génocidaire et ils perçoivent comme la pire forme de trahison quiconque — sans parler de leurs propres co-religionnaires— dit que c’est Israël, plutôt que les Palestiniens, qui commet un génocide. Comprendre la véhémence, la rage et le sentiment de vulnérabilité engendrés par ces disputes exige de faire face à la totalité de l’histoire israélienne et palestinienne — un défi que plusieurs livres récents, de différentes façons, ont essayé de relever.(...)