Encore ado et 30 000 euros à payer : la police harcèle des jeunes des classes populaires
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Basta ! : Votre rapport pour la Défenseure des droits montre l’existence, en région parisienne, d’une catégorie de la population vue comme n’ayant pas le même droit à être présent dans l’espace public que les autres. Qui sont-ils ?
Magda Boutros : Le rapport montre qu’il existe une politique, mise en œuvre principalement par la police mais aussi par certaines municipalités, de gestion de l’espace public par le biais de ce que les policiers appellent des « évictions des indésirables ». Nous avons essayé de comprendre du point de vue de l’institution policière, qui sont ces personnes cataloguées de manière officielle dans les logiciels de mains courantes comme « indésirables » par la police.
Ce qui ressort très clairement de nos terrains d’enquête, dans différents quartiers du nord et de l’est de Paris et de petite couronne, c’est que ce sont des personnes qui ont pour point commun d’être plutôt jeunes (entre environ 14 ans et le début de la vingtaine), uniquement des hommes, et issues de l’immigration postcoloniale (de familles originaires d’Afrique subsaharienne ou d’Afrique du Nord). Ce sont donc des adolescents qui habitent là, qui se retrouvent généralement après l’école, en groupe, en bas de chez eux, et qui se font évincer. C’est une des catégories considérées comme « indésirables », il peut y en avoir d’autres.
Pourquoi des policiers les considèrent-ils comme « indésirables » ?
M. B. : La police essaie de les faire « dégager » de l’espace public. Que ce soit par ce qu’ils appellent des « contrôles-éviction », c’est-à-dire un contrôle d’identité, palpation, fouille, qui se termine par un « rentrez chez vous », ou alors par une vérification d’identité au commissariat, voire une détention au commissariat pour quelques heures sans même de procédure de vérification identité. Puis, ce qu’on voit à partir de la moitié des années 2010, c’est l’utilisation d’amendes multiples données pour des incivilités aux mêmes personnes de manière très régulière.
La raison que donnent les policiers pour ces pratiques-là, c’est que « les riverains se plaignent ». Les policiers disent que la présence en groupe de ces catégories-là de la population créerait une gêne ou une nuisance pour les riverains. Mais il y a aussi une autre partie de la population qui peut au contraire dire « Non, mais les jeunes n’ont rien fait, pourquoi la police vient intervenir très régulièrement ? » On voit pourtant que certaines municipalités et la police ont tendance à prendre en compte les doléances des riverains qui se plaignent de la présence de ces personnes-là, et à ignorer, minimiser, rediriger les doléances soit de ces jeunes qui disent qu’ils se font harceler par la police de manière quotidienne, ou d’autres riverains, qui défendent les droits de ces jeunes à l’espace public. Donc, la police interprète la volonté des riverains de manière à filtrer les doléances qu’elle reçoit pour prendre en compte principalement celles qui se plaignent de présences jugées nuisibles, insécurisantes dans l’espace public.
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Là, on a réussi à démontrer que, par rapport à la moyenne de verbalisation de la population française entre 2020 et 2022 (toute la période pendant laquelle ces infractions ont été sanctionnées), les jeunes concernées par notre enquête ont été 140 fois plus verbalisés.
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Ils se cachent du Trésor public, ils se cachent des impôts, pour ne pas être prélevés. Ils n’ont pas d’autres moyens de s’opposer à ces amendes. Les professionnels de la jeunesse, dont les éducateurs spécialisés, sont inquiets sur ce que ça peut provoquer pour eux et leur insertion professionnelle. Cela les dissuade complètement de s’engager dans une démarche d’emploi.
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Les policiers de terrain sont très frustrés parce ce que ce que leurs chefs leur demandent de faire n’aboutira jamais : on leur demande de dégager des gens de l’espace public des quartiers dans lesquels ils habitent. Les habitants qui se plaignent sont frustrés, parce que de toute façon les présences continuent. Ça renforce donc les tensions existantes.