BigGrizzly

Groumpf

  • Les cousinades, ça permet de discuter des sujets d’actualité.

    On a discuté IA. Évidemment. Je n’ai pas eu à amener le sujet moi-même. Mais j’ai eu à expliquer en long et en large pourquoi ça me faisait braire. Les argumentaires n’ont pas forcément porté. Parce que le responsable financier qui rédige son bilan annuel avec ChatGPT, puis le corrige pour l’emmener là où il pense qu’il vaut mieux aller, ça lui convient tout à fait. Il a donné à manger des données réputées plus ou moins confidentielles, mais comme j’ai pu le dire, apparemment, l’intelligence économique n’est plus un sujet.

    Puis il y a cette croyance magique que l’IA sait ce qu’elle doit faire ex-nihilo. Nécessité d’expliquer que l’entraînement et la correction, c’est ce qui fait la supériorité relative d’une IA sur les autres (deepseek et ses usines remplies d’êtres humains plutôt que de cartes graphiques), et qu’il ne sera jamais possible d’arrêter l’entraînement et la correction, et que ceux qui prétendent qu’il va être possible de virer les humains ont torts et font des calculs court-termistes.

    Pendant un des repas, le jeu a été de prendre des photos des uns et des autres, parfois avec des mises en scène, puis de demander de les transformer en tel style (celui du dessinateur japonais, évidemment), ou tels autres styles. Les datacenters ont chauffé. Et si toutes les cousinades sont représentatives de la notre, je suis désolé de devoir vous annoncer cela maintenant, mais les centrales nucléaires, il va effectivement falloir les allumer, et plus vite que prévu.

    On m’a demandé, dans la voiture, à l’aller, si je ne trouvais pas qu’on était envahi et remplacé. Oui, j’ai covoituré. J’ai aussi eu droit à la question « est-ce qu’il y a des rats chez toi ? ». C’était posé avec malice, comme question. Par des cousins du 3ème âge. Qui faute de vivre dans la petite couronne, doivent vivre plus loin, là où se concentre les rejetés de la grande ville, là où les loyers sont presque normaux. Alors forcément, les petits blancs se rebiffent et régurgitent les poncifs sur l’invasion, le grand remplacement, etc. J’ai répondu que je ne partageais pas ces avis. J’avais beau être le conducteur, c’était leur voiture... et les virer de leur voiture... hein. Et en fait, j’ai une indulgence infinie pour ces gens particuliers. Ils sont malheureux, et avec de telles idées, je le conçois tout à fait. Heureusement, ils peuvent parfois descendre en ville, malgré les écolos qui font des travaux, et empêchent les voitures de circuler et imposent les vélos partout. J’ai pris le temps de leur dire que dans l’équipe, j’ai un bon tiers de prénoms pas de chez nous. Et que désormais je prends mon vélo pour me déplacer et que j’adore ces nouvelles pistes cyclables partout. Et que je me souviens très nettement de l’époque où je mettais 1h30, à 16h30 le vendredi, pour remonter chez moi, depuis le centre ville, il y a 10 ans, à l’époque où toutes les voies automobiles étaient doubles de ce qu’elles sont aujourd’hui... et qu’en fait, désormais, ce n’est pas pire, et c’est même plutôt mieux, d’après mes derniers essais en voiture, quand il m’arrive d’être maso.

    Bref, les cousinades, ça permet de savoir ce qu’il se passe dans la vraie vie des vrais gens qui s’en foutent de tout.

    • Dans la vraie vie avec les vrais gens, le vulgus pecum ne se fout pas de tout. Il a juste des horizons très limités et sa seule ligne de conduite c’est « not in my backyard ». C’est aussi LE problème de nos démocraties dites représentatives : ces gens-là, tu peux, en ratissant large, les manipuler à l’envi en leur promettant tout ce dont ils n’ont pas envie de voir dans leurs arrière-cours. Leur faire ouvrir un tant soit peu les yeux est une gageure.

    • Tu touches à quelque chose de très subtil, et oui, très courant : cette forme de condescendance bienveillante qui se cache derrière des airs de tolérance ou de compréhension. Voyons ça un peu plus en profondeur.

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      Profil psychologique esquissé

      La personne qui écrit ce texte semble réunir plusieurs traits intéressants :

      1. Sentiment de lucidité supérieure

      Il/elle se place en observateur lucide, qui voit « au-delà » des opinions exprimées par les autres. Il y a cette idée de :

      > « Eux, ils sont pris dans leurs peurs ou leur ignorance, mais moi je comprends pourquoi ils pensent comme ça. »

      C’est typique d’un complexe de l’initié : l’idée que l’on fait partie de ceux qui ont compris, qui savent lire entre les lignes, là où les autres se contentent de subir ou de répéter des poncifs.

      2. Dissonance entre empathie affichée et jugement implicite

      L’auteur dit avoir de « l’indulgence infinie » pour ces cousins. Il parle de leur malheur avec une forme de compassion… mais en réalité, le regard est dur :

      Ils sont décrits comme « rejetés ».

      Leurs idées sont des « poncifs ».

      Ils « régurgitent » des discours.

      L’empathie ici n’efface pas le jugement, elle le recouvre d’un vernis poli. Ce n’est pas tant de la compréhension que du paternalisme.

      3. Volonté de se positionner moralement

      Il tient à signaler ses valeurs :

      Il travaille avec des gens aux prénoms « pas de chez nous ».

      Il aime les pistes cyclables.

      Il ne partage pas les idées identitaires.

      Ce sont des marqueurs d’appartenance à une classe urbaine éduquée, souvent à gauche (ou écolo-centriste), qui veut montrer qu’elle fait partie du « bon camp », sans en faire trop. C’est de la vertu signalée sobrement.

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      Pourquoi ce comportement est courant ?

      Parce que c’est une stratégie psychologique de conciliation entre deux tensions internes :

      1. Je veux continuer à me sentir supérieur intellectuellement ou moralement.

      2. Mais je ne veux pas être perçu comme méprisant ou fermé au dialogue.

      Du coup, on adopte cette posture :

      Mi-détachée, mi-complice.

      Mi-critiquante, mi-compréhensive.

      C’est une forme de gestion du malaise social : on tolère les différences sans vraiment les embrasser, et on garde une forme de distance affective rassurante.

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      Ce que ça révèle souvent

      Ce genre de discours est révélateur de personnes :

      intelligentes et sensibles aux enjeux sociaux, mais parfois peu capables de remettre en question leur propre point de vue.

      Qui veulent éviter les conflits frontaux, tout en gardant le contrôle symbolique de la conversation.

      Qui ont parfois une vision idéalisée d’eux-mêmes comme médiateurs ou rationalisateurs dans un monde d’excès.

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      Tu as mis le doigt sur un phénomène très répandu, notamment dans les milieux diplômés ou urbains. C’est un travers humain assez universel, mais il peut vite virer à une forme d’arrogance involontaire, surtout quand il est perçu par ceux qui sont l’objet de ce « regard compréhensif ».

    • Et j’assume complètement, à la fois ma lâcheté et ma condescendance. :-)

      En vrai, ça me gâche les retrouvailles. Je suis triste, je ne fais pas la fête comme les autres, en buvant beaucoup et en partageant des portraits Ghibli, mais je me maîtrise, je ne fais pas la morale, j’échange les points de vue et je retourne dans ma chambre, pour me reposer du bruit... Et surtout, je prends des nouvelles de tout le monde.

      Mais je confirme, je suis chiant.