Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Pourquoi nos ados ne répondent plus au téléphone ?
    https://www.msn.com/fr-fr/familles-et-relations/%C3%A9ducation-des-enfants/pourquoi-nos-ados-ne-r%C3%A9pondent-plus-au-t%C3%A9l%C3%A9phone/ar-AA1Ex1Mb
    https://img-s-msn-com.akamaized.net/tenant/amp/entityid/AA1Ex1M9.img?w=652&h=438&m=4&q=79

    Enzo, 15 ans, regarde son portable qui vibre : « Ma daronne ? Sûrement, je suis en retard… J’envoie un texto (« J’arrive »), c’est moins prise de tête ! » De son côté, Stéphanie, 55 ans, mère de Théa, 14 ans, ne comprend pas : « Impossible de la joindre. Et si je laisse un message sur son répondeur, elle ne l’écoutera pas. Alors, j’écris un SMS. Ou, plus efficace, je passe par Instagram. C’est même ce qui m’a motivée pour créer un compte. »

    Bon réflexe ! Car aujourd’hui, pour communiquer, les 12-18 ans privilégient les messageries privées des réseaux sociaux ou les notes vocales sur WhatsApp. A travers une étude sur les pratiques de l’écriture des 14-18 ans*, Anne Cordier, professeure des universités en sciences de l’information et de la communication** , le confirme : « Les jeunes ont une sainte horreur de l’appel téléphonique. » On avait remarqué !

    A découvrir également : 20% des Français ne répondent pas aux appels téléphoniques… volontairement

    L’amour du son

    Certes, la hausse du démarchage commercial, des arnaques et l’inflation des numéros masqués les rebutent (comme les plus âgés) : 62,5% des Français de 15 ans et plus filtrent les appels*** . La quasi-totalité en ce qui concerne la génération Alpha (née après 2010), qui ignore notamment les coups de téléphone parentaux. Anne Cordier rassure : « Ce n’est pas la personne qui est visée, mais le mode de communication qui a évolué. Ils ne répondent pas plus à leur meilleur ami qu’à un parent. » Parent qui, par ailleurs, fait parfois mal la différence entre un message audio laissé sur le répondeur et ce qu’Emma, 17 ans, appelle un « son ». « J’adore ça, s’enthousiasme-t-elle. On peut parler en marchant, tout en communiquant de l’émotion. »

    Comme Emma, près d’une personne sur cinq de la génération Z envoie ou reçoit plus de dix notes vocales par jour, indique un sondage publié en février 2025 mené sur la plateforme d’apprentissage de langues en ligne Preply. « Laisser un message sur un répondeur, c’est risquer que la personne rappelle !, fait remarquer Anne Cordier. Alors qu’avec la note vocale, on « calcule », on incarne sa parole. Les bruits de fond donnent du réel au propos, ainsi que du partage d’intime (« Déso, j’espère que tu m’entends, j’suis dans la rue, attends, je sors du métro… »). Le vocal participe d’une dynamique conversationnelle ludique et spontanée, même avec un décalage temporel. » Et quand c’est trop long, on peut écouter le message en accéléré. Comme on zappe les scènes qui nous ennuient dans une série !

    Le stress du direct

    Pour Marie Danet, maîtresse de conférences en psychologie du développement à l’université de Lille**** , ces nouvelles pratiques découleraient d’un rapport différent au temps. La jeune génération, habituée aux services à la carte avec les plateformes de streaming, « dispose d’alternatives favorisant la désynchronisation des échanges et l’activité multitâche », dixit la psychologue. Tous les canaux de communication existants sont également plus attractifs parce que plus créatifs (possibilité d’envoyer des photos, des vidéos, des liens), quand, avant, c’était le téléphone ou rien. Cela entraînait un effet d’apprentissage et de familiarisation que n’ont plus les adolescents.

    « La galère quand je dois répondre à des parents qui me proposent du baby-sitting ou prendre rendez-vous avec un médecin qui n’est pas sur Doctolib !, s’exclame Inès, 14 ans. J’ai peur de ne pas savoir quoi dire et d’être prise pour une teubé ! » Idem pour Louise, 13 ans, pour qui parler au téléphone vire au calvaire : « Je perds mes moyens, surtout quand l’autre me coupe ou s’impatiente », confie-t-elle. Vu ainsi, il y a moins de pression avec les notes vocales. « On peut effacer et recommencer », confirme Louise. Anne Cordier l’a observé : « Le coup de fil est presque toujours associé à une prise de risque pour les adolescents. Parler en direct revient à se mettre à nu. Choisir le différé, c’est prendre le temps de réfléchir à ce que l’on va dire, se réécouter, peaufiner l’idée ou l’image que l’on veut renvoyer. Une façon de garder le contrôle dans un monde menaçant et incertain. »

    Des modalités à inventer

    Car, à la vérité, il n’y a pas de réel refus d’échanger. « Parents et enfants n’ont jamais autant communiqué, estime Anne Cordier. Mais, en se raréfiant, le coup de fil est devenu un « événement » à forte pression émotionnelle. Il annonce une nouvelle potentiellement importante. » Léonard, 16 ans, ajoute : « Ça tombe toujours mal. Soit je suis avec mes potes, soit en train d’écouter de la musique ou de scroller, je n’ai pas envie d’être dérangé. » Emile, 18 ans, pense que s’il répond, « ça va durer des plombes ».

    « Et l’appel spontané, ils en font quoi ? s’agace Nathalie, 58 ans. Il faut prendre rendez-vous pour se parler, un comble ! » Anne Cordier et Marie Danet sont formelles : mieux vaut passer un contrat avec l’ado pour préciser les règles conversationnelles. Par exemple, pour une information factuelle, on privilégiera les textos ; pour un message plus sensible, la note vocale. Avec son fils, Laurence a banni des SMS les points d’exclamation ou de suspension, trop sujets à interprétation, et réclame au minimum un émoji en accusé de réception. Des modalités à inventer qui, parfois, peuvent inverser les situations, comme le raconte Stéphanie : « L’autre jour, j’ai juste écrit « ok. » à ma fille, et elle a cru que j’étais fâchée ! »

    «  T’es où  ?  »

    Autre constat qui n’incite pas les ados à répondre au téléphone : ils sont supposés être joignables tout le temps. « A force de fluidifier la communication, les outils numériques l’ont rendue envahissante », souligne Anne Cordier. Avec des parents facilement inquiets ou très contrôlants, l’ado est prié de rendre des comptes toute la journée. « Ma mère ne se rend pas compte à quel point elle est relou avec tous ses appels, s’énerve Arthur, 17 ans. A la sortie des cours, devant les potes, comme si j’étais un gamin ! » C’est alors qu’une non-réponse en dit long : indifférence, agacement ou juste le besoin de se préserver… « Les outils numériques peuvent même ralentir le processus d’autonomisation d’un jeune qui a besoin de se tester et de trouver ses propres solutions en notre absence », met en garde Marie Danet.

    Avec le recul, Anne, 64 ans, en convient : « J’appelais Lily pour savoir où elle était, ce qu’elle faisait, avec qui. Résultat, ce que je craignais le plus est arrivé : elle s’est mise à faire le mur la nuit, pour vivre sa vie ! » D’où l’importance de respecter une distance de sécurité : ni trop loin, ni trop près. « Et cela marche dans les deux sens », remarque Marie Danet. Qu’ils ne nous utilisent pas comme un couteau suisse en nous sommant de répondre dès que, eux, en ont besoin !

    Donnez-leur un coup de pouce pour leur coup de fil

    « La peur de prendre la parole en public, soit l’importance accordée au regard des autres, est le propre de l’adolescence, souligne Marie Danet. Et cela s’accentue. Si 90% de mes étudiants de première année participent à des quiz sur leur téléphone, seuls un ou deux lèvent la main quand je pose une question en cours. » Cette anxiété sociale pousserait des parents à passer certains appels importants à leur place, renforçant les stratégies d’évitement. « Il est plus éducatif de les aider à préparer leur coup de fil, poursuit-elle. Car, dans leur vie professionnelle, ils auront peut-être encore à téléphoner… »

    Mongenot C., Cordier A., Les adolescents et leurs pratiques de l’écriture au XXIe siècle : nouveaux pouvoirs de l’écriture ?, Injep, novembre 2023

    **Auteure de Grandir informés. Les pratiques informationnelles des enfants, adolescents et jeunes adultes (C&F).

    **« 94% des 15-29 ans ont un smartphone en 2021 », Insee Focus, no 259, 24 janvier 2022

    ****Auteure d’Ecrans et familles (UGA).

    #Anne_Cordier #Téléphone #Adolescents

    • Le fait d’hésiter à se téléphoner, ça a plusieurs conséquences négatives qu’on constate ici à la maison :

      – récupérer un devoir ou un cours qu’on n’a pas, c’est devenu quasiment impossible, parce qu’on n’ose pas téléphoner à un·e copain·e pour demander à se faire expédier fissa le truc ;

      – organiser une sortie du week-end, ça passe assez systématiquement par un débat interminable sur un groupe Whatsapp, et forcément c’est quasiment impossible d’organiser quoi que ce soit avec un groupe Whatsapp (discussions noyées dans les private jokes, multiplication des messages vocaux qui ne permettent jamais de synthétiser, timidité à proposer un horaire, mais facilité à dire que tel horaire ça va pas être possible…)

      – et de manière plus personnelle, quand l’ado a un coup de déprime, ne pas oser téléphoner à un·e copain·e pour discuter en direct, ça n’aide pas.

    • J’avais pas repéré :

      La quasi-totalité en ce qui concerne la génération Alpha (née après 2010), qui ignore notamment les coups de téléphone parentaux.

      Des mouflets qu’ont pas encore 14 ans et c’en est déjà à snober ses darons au téléphone ? (Les gens s’inventent des problèmes, là, parce que c’est pas super-compliqué, en général, de poser des limites à un·e pisseu·se de 12-13 ans.)

    • Vous me rassurez. J’expliquerai le phénomène à l’arrière grand mère de 90 ans qui s’inquiète toujours lors ce qu’elle n’arrive pas à joinde les petits.


      Cadran Téléphonique Modèle Administratif 1927

      Pour quelqu’un qui a grandi à l’époque des téléphone à cadran c’est toujours une obligation morale de répondre aux appels parce qu’autrement on ne pouvait ni savoir qui avait appellé ni pourquoi.

      Quand quelqu’un ne répondait pas c’était parce qu’il ne se trouvait pas à proximité du combiné ou parce qu’il était en train de parler avec une personne sur place. Préférer la communication avec la personne présente était une obligation morale car faire attendre quelqu’un à cause d’un appel téléphonique était l’expression (et l’est toujours) de la supériorité hierarchique de celui qui ignorait l’autre au profit de l’appareil.

      L’introduction à grande échelle du répondeur automatique dans les années 1980 ouvrait la possibilité d’ignorer les appels afin de choisir les personnes qu’on rappellait et de sélectionner les victimes de la prétendue panne du répondeur. Il y avait un prix à payer pour l’excuse facile car on se montrait comme personne qui violait l’obligation de respecter le correspondamt téléphonique potentiel.

      Avec la généralisation des téléphones portables à partir de 1995 ce devoir s’est transformé en obligation culturelle générale car être joignable partout et à toute heure de la journée était considéré comme caractéristique des hommes d’affaires à succès.

      A partir de ce moment les numéros des appels manqués étaient visibles et le refus de prendre les appels exprimait de plus en plus souvent le refus de se plier aux contraintes du job voire à l’autorité parentale .

      Depuis les voies de communication se sont multipliées à cause des frénétiques efforts des entreprises « startup » de réinventer la roue de la communication et de se démarquer des concurrents. Cette course à vitesse folle a produit un nombre illimité de manières de ne plus s’entendre. J’ai l’impression qu’il y a un équilibre précaire entre innovation acharnée et besoin de repos qui forment un couple d’antagonistes irréconciliables.

      Le dernier cri sont forcément, je le suppose, les bots IA personnalisés qui remplacent le répondeur automatique en se faisant passer pour la personne qu’on appelle. Plus jamais tu ne seras laissé sur ta faim de communication car il n’y aura plus d’appel manqué. Le bot ne dort jamais. Il aura toujours un message positif pour calmer les parents inquiets.

      Je m’en accomode et me demande quel effet cet « overkill » en armes de la communication a pour les jeunes qui sont nés dans l’écosystème actuel marqué par le chaos technologique et moral..

      #communication #kafka #technologie #capitalisme #néolibéralisme

    • Je connais un paquet de monde, pas forcément jeune, qui déteste le téléphone (enfin au moins les appels vocaux, quoique certain⋅e⋅s ont bien du mal avec les textos aussi :)). Et effectivement comme le dit @arno les textos/whatsapp/signal/etc. ont largement leurs limites, dès que la conversation demande un peu plus de complexité que de savoir « où t’es » ou ce genre de trucs. Idem au taf, y a des spécialistes des messages sur chat qui n’en finissent pas, pour expliquer des trucs compliqués (je finis par appeler assez rapidement...).
      Mais alors ce qui me tue, c’est effectivement de voir les plus jeunes (mais pas que, ça contamine des gens plus vieux) communiquer à coup de « vocaux », quel enfer ! La « conversation » prend des plombes pour rien. On se retrouve avec les défauts des 2 modes de communication (impossible de rechercher dans les vocaux ce qui a été dit, contrairement à l’écrit, et c’est ultra compliqué de parler de choses complexes).

    • s’il y a un truc qui me dépasse totalement dans l’usage des RS, c’est bien l’usage des « vocaux » !
      (full disclosure : ma fille commence à m’envoyer des vocaux…-

      et merci @klaus, pour le rappel du mode d’emploi du téléphone incorporé dans le cadran !
      Annoncez : ici, le ABC 12 34 , j’écoute.
      (version parisienne)
      ou
      Annoncez : ici, le 22 à Asnières , j’écoute.
      (partout ailleurs)

    • – Il y a la génération de mes parents, le téléphone était facturé à la minute, alors ma mère est toujours aussi pressée de raccrocher.

      – Ensuite il y a ma génération, baisse des prix. Je passais un temps fou le soir debout dans l’entrée, ou assis aussi loin que le câble torsadé de l’appareil le permettait, pour se dicter les niveaux d’Ultima III. (Dans l’entrée de mes parents, il y avait un minuteur pour la lumière, alors en téléphonant je devais régulièrement rallumer la lumière. Et au bout d’un moment, un peu moins trouille-cul, j’ai pris l’habitude de rester assis dans le noir.)

      – Et puis il y a mes enfants, forfait illimité, le téléphone c’est considéré comme gratuit, on peut même téléphoner allongé dans son lit, qui ont peur de déranger et font tout, comme leur grand-mère, pour raccrocher le plus vite possible.

    • Mes enfants, plutôt génération Y (donc plus vraiment des ados, quoique...), sont injoignables sur leurs téléphones. Je leur envoie (tous les dix jours environ) des SMS pour savoir s’iels vont bien. Parfois, iels me répondent et souvent je leur demande dans le SMS si on pourrait éventuellement discuter au téléphone. Iels ont l’air d’être surbooké·e·s H24 7/7 ...

      Avant, je lançais des bouteilles à la mer grâce à Facebook Messenger mais alors là, que nib.

      On a tâté de la visio (toujours avec Messenger) pendant la panique Covid mais on a vite laissé tomber. Ça permettait de voir les petits enfants grandir mais souvent ces derniers en profitaient pour faire les clowns et la conversation se diluait dans un brouhaha pénible. Et puis la qualité du réseau perturbait aussi la liaison.

      A propos des « vocaux » (media que je viens de découvrir) ...
      https://www.blogdumoderateur.com/panorama-reseaux-sociaux-vocaux-applications-chat-audio

      Finalement, je me dis que le silence est d’or. Et de toute façon, quand il y a une tuile, iels retrouvent comme par magie mon numéro de tél.

    • Je le répète : vous me rassurez, je ne vis donc pas une exception . Mais c’est un mensonge ce que je dis. Au contraire vous m’inquiétez davantage car je constate des problèmes énormes quand on essaie de rassembler des gens ne serait-ce que pour défendre nos intérêts communs.

      La manière asynchrone de vivre et pratiquer la communication moderne ne facilte pas les choses, alors pas du tout.


      Je finirais peut-être comme l’autre avec sa pancarte devant la chancellerie à Berlin qui essaye de se faire entendre par Merkel/Lindner/Scholz/Merz/etc. - mois ça sera pour m’adresser aux enfants par caméras de télé intersposées ;-)