Lyco

Craignosse, les turlutosses !

  • Plan Filles et Maths : pour que les jeunes filles prennent toute leur place dans les métiers de l’ingénieur et du numérique
    https://www.education.gouv.fr/plan-filles-et-maths-pour-que-les-jeunes-filles-prennent-toute-leur-p
    Au programme :
    – formations des profs de la maternelle au bac sur les stéréotypes de genre en sciences ;
    – « objectifs ciblés » (à défaut de quotas) en nombre de filles/femmes sur le choix d’option maths en première et terminale, le nombre d’admises en prépa, les profs de maths en prépa et lycée ; expérimentation de classes à horaires renforcés « sciences » avec 50% de filles ;
    – rencontres avec des rôles modèles dès la 3e.

    Ce plan se base sur un rapport de l’IGF et l’IGÉSR :
    Filles et mathématiques : lutter contre les stéréotypes, ouvrir le champ des possibles
    https://www.education.gouv.fr/filles-et-mathematiques-lutter-contre-les-stereotypes-ouvrir-le-champ

    Il ne faudrait pas partir du principe que ce plan a pour objectif de lutter contre les inégalités hommes-femmes. Ce plan vise à amener des milliers de bonnes élèves dans les formations et les métiers des STEM (Sciences, Technology, Engineering and Mathematics), porteurs de croissance.

    certaines femmes non présentes dans les filières STEM, si elles avaient été formées aux sciences, auraient pu être des innovatrices et favoriser la croissance, de manière mesurable. […] La modélisation montre que l’effet sur la croissance de telles politiques favorisant l’accès des femmes les plus talentueuses aux métiers de l’innovation est très fort, à environ 10 Md€ par an dans un scénario médian.

    On manque de Xmille ingénieurs et de Ymille techniciens et c’est déjà blindé de garçons, donc il nous faut des filles. La lutte contre les inégalités présentée dans le plan est le moyen de récupérer Zmille filles pour alimenter la machine.

    C’est parce que les inégalités sont secondaires que le plan comme le rapport se focalisent sur le lycée général, les CPGE et les écoles d’ingénieur, les « femmes les plus talentueuses » et des classes « sciences » qui seront vraisemblablement des classes de très bon.nes élèves. Aucune importance, par exemple, que la voie professionnelle soit découpée en filières genrées ou que les garçons délaissent massivement certaines filières. Ce sont les filières d’élite traditionnelles qui intéressent, pour les renforcer.

    Pour faire bonne figure, la rhétorique du ministère est la suivante : ces formations mènent aux positions les plus valorisées ; or les filles y vont peu ; donc cela génère des inégalités entre femmes et hommes. Conséquence : il faut amener les filles dans ces filières pour résorber les inégalités.

    D’un point de vue général, les écarts de salaire s’expliquent aux trois quarts par des différences de diplôme et de caractéristiques de l’emploi occupé : les femmes et les hommes sont inégalement répartis dans les différents secteurs, avec une plus grande concentration des femmes dans des secteurs peu rémunérateurs, par exemple le secteur public ou le domaine des services à la personne.

    Si la lutte contre les inégalités était première, on remettrait justement en cause cette hiérarchisation des activités et on valoriserait des professions qui sont au moins aussi socialement utiles qu’informaticien, ingénieur et technicien (par exemple professeure des écoles ou aesh)… et dans lesquelles se trouvent les femmes. On valoriserait aussi du même coup leurs choix positifs plutôt que de leur reprocher continuellement de ne pas avoir fait les bons choix, les choix masculins.

    La persévérance des filles à éviter les filières STEM fait sourire.

    les travaux de la mission montrent que les écarts de niveau [par ailleurs jugés faibles par la mission, ndL] jouent un rôle secondaire pour expliquer les décisions d’orientation différentes des filles et des garçons. […] à niveau égal voire supérieur, les filles renoncent à s’orienter vers les STEM. Ainsi, en 2023, près de 11 000 filles ne s’orientaient pas dans des formations en STEM après le lycée général, alors qu’elles avaient été admises dans une de ces formations via Parcoursup et obtenaient une moyenne supérieure à 15/20 en spécialité mathématiques en terminale

    Comment mieux dire que ces filières ne leur plaisent pas ? On comprend assez bien... Et même plus : quand elles sont dedans, elles veulent partir.

    En outre, même lorsque les filles choisissent les filières de formation des domaines STEM, elles s’engagent moins que les hommes, par la suite, dans les carrières scientifiques : des études concordantes décrivent une fuite de cerveaux féminins hors des carrières académiques en mathématiques ou sciences physiques, ou des carrières d’ingénierie, essentiellement pour des motifs d’insatisfaction des femmes scientifiques vis-à-vis de leur rémunération et de leurs perspectives de promotion, et non pour des facteurs liés à la vie personnelle ou à la famille (grossesse, maternité).

    C’est qu’en plus d’avoir une utilité sociale globalement négative, ces formations sont des repères sexistes. Deux tiers des filles en école d’ingénieur ont subi ou été témoins de VSS sur leur campus, sans parler du « sexisme d’ambiance ». Le rapport insiste sur la nécessité de lutter contre ces violences – c’est absent du plan.

    Tout cela étant dit, lutter contre les stéréotypes de genre en sciences est une bonne chose, et je serai très heureux d’être formé 2h sur le sujet. On se souvient que Borne voulait qu’on réfléchisse à son orientation dès la maternelle. On voit maintenant ce qui sera attendu : cette sensibilisation aux biais de genre en sciences vise, en bout de chaîne, à aller faire travailler des femmes dans l’intelligence artificielle.

    Enfin, quand on parle d’orientation, on devrait avoir en tête un facteur essentiel : la classe sociale. Habituellement, la classe est utilisée pour expliquer les différences de performance dans les matières littéraires ; pour les sciences, c’est le genre. Or la classe joue à plein dans les orientations scientifiques : 5% des enfants d’ouvriers non qualifiés faisaient un bac S ; un enfant de 6e d’une classe sociale parmi le plus favorisées a 6 fois plus de chance de finir en terminale S qu’un camarade de classe populaire (seulement 1.1 fois plus qu’une fille du même milieu que lui). Ignorer ça permet de ne pas se poser la question de l’efficacité du système éducatif à lutter contre les inégalités.

    Pour les filles plus spécifiquement, il est amusant que le titre du rapport appelle à « ouvrir le champ des possibles », alors que ce qui les caractérise au contraire c’est que leur champ des possibles est plus vaste que celui des garçons, dont les orientations sont plus contraintes. Est-ce qu’on pourrait ouvrir le champ des possibles de l’action publique à l’égard des femmes et revaloriser le secteur public et les formations universitaires où elles sont présentes ?
    #filles #mathématiques #ingénieurs #inégalités #sexisme

    • Ça y est, c’est la guerre des disciplines scientifiques :
      « Les mathématiques semblent être le seul repère pour les sciences dans notre pays » | Tribune de David Boudeau, Président de l’Association des professeurs de biologie et de géologie
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/05/13/les-mathematiques-semblent-etre-le-seul-repere-pour-les-sciences-dans-notre-

      les sciences de la vie et de la Terre représentent des centaines de milliers d’emplois par an en France, avec une progression de 100 000 sur dix ans. C’est le premier pôle industriel de France avec l’agroalimentaire, qui émarge à 180 milliards d’euros de chiffre d’affaires. C’est l’agro-industrie, la médecine, la santé animale, la biochimie (plus fort taux de progression en France avec 17 % par an !), les industries du luxe (cosmétique, parfumerie), les biomédicaments, l’environnement, les énergies renouvelables, les ressources, la gestion des risques, etc.

      Les sciences du vivant et de la Terre sont des sciences intégratrices des mathématiques et de la physique-chimie qu’il ne faut pas mettre en concurrence, au contraire : ces trois disciplines doivent travailler en synergie pour appréhender la complexité du fonctionnement de notre système Terre. Cette condition permettra également de réduire l’écart entre les garçons et les filles.

    • Les écarts filles-garçons en mathématiques à l’école élémentaire, un enjeu pour les équipes pédagogiques, Le Regard du CEE, n° 25.01 [janvier 2025]
      https://www.education.gouv.fr/conseil-d-evaluation-de-l-ecole-305080

      Lorsque l’on étudie les résultats des élèves de CE1 sur les trois années considérées [2021, 2022, 2023], on observe des écarts fluctuants dans 81 % des écoles, tantôt en faveur des garçons, tantôt en faveur des filles, tantôt peu significatifs. [...] Dans la suite, l’expression école « stable » signifie que les écarts sont de même nature pour les trois années considérées : systématiquement en faveur des garçons, systématiquement en faveur des filles ou systématiquement nuls ou quasiment nuls. L’expression école « fluctuante » désigne toutes les autres situations.

      [...]

      La majorité des écoles aux écarts « fluctuants » peut donc alternativement présenter un fort avantage en faveur des filles ou des garçons. Ce résultat montre la difficulté, pour les enseignants de ces écoles, de s’approprier le sujet des inégalités filles-garçons en mathématiques. Le diagnostic doit en effet être redéfini chaque année.

      [...] Parmi les 19 % d’écoles « stables » (...), près de 16 % – soit une large majorité – connaissent une situation systématiquement en faveur des garçons, 3 % en faveur des filles et moins de 1 % des écoles sont en situation d’égalité.

      [...] En se restreignant aux seules écoles où les écarts sont persistants en faveur des garçons, le constat est plus marqué encore : ces écoles ne représentent que 16 % de l’ensemble des écoles françaises, mais plus de la moitié des écarts entre filles et garçons observés au niveau national en résolution de problèmes. Il conviendrait d’étudier prioritairement la situation de ces écoles.

      [...] On trouve moins souvent les situations stables en faveur des garçons dans les écoles dont le public d’élèves est socialement défavorisé, en éducation prioritaire renforcée notamment. Le focus sur les différents secteurs et l’éducation prioritaire pour les écoles « stables » montre que la stabilité en faveur des garçons apparaît plus souvent dans les écoles les plus favorisées. C’est en effet dans le secteur privé sous contrat que l’on voit le plus souvent une stabilité en faveur des garçons et en REP+ le moins souvent. Il convient cependant de relativiser ce constat : les 80 % d’écoles en situation d’écarts « fluctuants » se retrouvent tout autant dans les secteurs public et privé sous contrat ainsi qu’en éducation prioritaire renforcée.

      Une étude qualitative complémentaire permettrait de rechercher les causes de la persistance des écarts, dans un sens ou dans l’autre. Par exemple on pourrait étudier plus précisément l’impact du milieu socioculturel des familles de l’école.

    • Dès le CP...

      « C’est la durée d’exposition à l’école qui est associée à une augmentation de ces écarts », insiste la chercheuse [Pauline Martinot]. A l’appui de cette thèse, le résultat d’une « expérience naturelle » involontaire : en 2020, en raison de la pandémie de Covid-19, les enfants ont fait l’école à la maison deux mois et demi de plus. Résultat, les auteurs ont observé « une diminution des écarts de genre. »

      Pour Stanislas Dehaene, « nous avions tous l’idée que les enfants accumulaient des biais sociétaux implicites avant leur entrée à l’école, ce qui expliquait ces écarts de genre en faveur des garçons. Mais notre étude montre que ces écarts naissent au moment où les maths deviennent un enjeu compétitif, et qu’ils sont enseignés de manière formelle à l’école. »

      Mathématiques : le décrochage des filles, dès quatre mois d’école, éclairé par une étude française sur plus de 2,6 millions d’écoliers de CP et CE1
      https://archive.ph/mDey4

    • L’article dans Nature fait état de 2 « variations mineures » au cours des années étudiées : (i) l’effet confinement mentionné ci-dessus ; (ii) le fait qu’à l’entrée en CP, l’écart de genre est nul en 2018 (voire même un chouïa favorable aux filles) mais non nul (et favorable aux garçons) à partir de 2019. Pour expliquer succinctement ce changement, le papier mentionne les recommandations pédagogiques à destination de la maternelle publiées en mai 2019 par Blanquer pour préparer aux évaluations CP de la rentrée 2019 (intitulées Un apprentissage fondamental à l’école maternelle : découvrir les nombres et leurs utilisations, on y trouve des formulations du type « En fin de grande section , les élèves doivent avoir appris à... »). D’après l’article, ces recommandations visent à introduire un enseignement des maths plus formel et tendraient à rapprocher la maternelle de l’élémentaire.

      C’est assez frappant que dans les différentes mentions de cette étude on dise des trucs du genre « les biais apparaissent après quelques mois d’école »... alors que tous ces enfants sortent de 3 ans d’école. Comme si on n’apprenait rien en maternelle et qu’il n’y avait rien d’intéressant à tirer de cette école qui semble ne pas produire de biais de genre en maths (d’ici qu’on y généralise des évaluations nationales).

    • Nous sommes en guerre pour les mathématiques.
      « Créons une réserve citoyenne des mathématiques, à l’image de la réserve opérationnelle de la défense » Tribune - Laura Chaubard, Directrice générale de l’Ecole polytechnique
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/06/24/creons-une-reserve-citoyenne-des-mathematiques-a-l-image-de-la-reserve-opera

      Plus profondément encore, notre démocratie a besoin de mathématiques. La République française s’est bâtie sur les Lumières, avec la science comme moteur de progrès et d’émancipation. Donner à tous les enfants le goût des mathématiques est, à ce titre, une exigence profondément républicaine.