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  • La dangereuse route migratoire des Ethiopiens vers l’Afrique du Sud : « Certains n’y survivent pas »
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    La dangereuse route migratoire des Ethiopiens vers l’Afrique du Sud : « Certains n’y survivent pas »
    Par Marlène Panara (Addis-Abeba, correspondance)
    Ce sont leurs cris et leurs appels à l’aide qui ont permis de les repérer. Début mai, 44 Ethiopiens retenus dans une maison de la banlieue de Johannesburg ont été découverts par la police sud-africaine. Très amaigris et, pour certains, seulement vêtus d’une couverture autour de la taille, ces jeunes hommes ont déclaré que leurs passeurs les avaient conduits là à leur arrivée en Afrique du Sud. Parti il y a plusieurs mois d’Ethiopie, le groupe avait traversé par la route plusieurs pays avant d’arriver à Johannesburg.
    Cette route dite « du sud » est une voie d’exil de plus en plus empruntée par les Ethiopiens à la recherche d’une vie meilleure. Entre janvier et mars 2025, 15 000 mouvements y ont été détectés, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Entre 2023 et 2024, ils avaient déjà augmenté de 26 %, passant de 11 613 à 14 568.
    La plupart des Ethiopiens qui effectuent ce voyage sont originaires du sud et du centre du pays. « Le Sud est l’une des régions les plus densément peuplées, où la propriété foncière par habitant est l’une des plus faibles. La concurrence est donc rude pour accéder à des terres, explique Yordanos Estifanos, chercheur sur les migrations à l’université du Sussex. Les perspectives économiques étant minces, cette population considère l’Afrique du Sud comme une bonne alternative pour réussir. »
    Teshale, originaire de la ville de Hosaena (centre), est parti pour ce pays il y a douze ans après avoir vendu ses terres. « Il n’avait pas eu le concours pour entrer à l’université et il disait qu’il pouvait gagner plus d’argent là-bas, raconte son cousin à Addis-Abeba. Et puis son grand frère était déjà installé en Afrique du Sud, ça l’a rassuré. »
    Première escale sur cette route pour les migrants éthiopiens : Moyale, à la frontière kényane. Ils empruntent ensuite des itinéraires secondaires plus confidentiels. Pour éviter les contrôles, ils s’entassent dans des véhicules réservés par des passeurs ou dans des camions de marchandises, parfois mélangés au bétail. Une fois passée la Tanzanie, les itinéraires se divisent entre le Malawi, le Mozambique et la Zambie. Restent ensuite plusieurs milliers de kilomètres supplémentaires jusqu’en Afrique du Sud. Le périple coûte en moyenne 4 800 dollars dans un pays où le revenu moyen est de 94 dollars par mois selon la Banque mondiale.
    Sur ce parcours qui peut durer de deux mois à un an et qui fait intervenir de multiples intermédiaires, les dangers sont nombreux. « On marchait beaucoup la nuit pour ne pas être repérés, raconte Tibebu, originaire de la région Oromia (centre) et aujourd’hui installé dans un township du Cap. Je me souviens surtout d’avoir eu très faim, on n’avait rien. On demandait de la nourriture à des fermiers. Il y avait le manque d’eau aussi. Certains n’y survivent pas. Sur cette route, on perd des amEntre 2012 et 2019, au moins 5 972 migrants éthiopiens sont morts ou ont disparu en tentant ce voyage, selon le Bureau éthiopien du travail et des affaires sociales. L’OIM, elle, a recensé 340 décès le long de cette route depuis 2015. Cette divergence des chiffres s’explique par le manque de documentation sur cette voie migratoire. « De nombreuses disparitions ne sont pas signalées, ni par les autorités, ni par la presse. Ce qui conduit à une sous-estimation du nombre réel de décès », reconnaît le bureau régional de l’OIM en Afrique de l’Est. Les accidents de la route, les asphyxies dans des camions insuffisamment ventilés », sont les principales causes de décès, d’après le projet Missing Migrants de l’OIM. En octobre 2023, 29 Ethiopiens âgés de 25 à 40 ans ont été retrouvés morts étouffés dans un camion au Malawi. Trois ans plus tôt, 64 jeunes Ethiopiens avaient péri dans les mêmes circonstances dans le conteneur d’un camion à un poste de contrôle au Mozambique.
    Pour ceux qui finissent par arriver, exténués, en Afrique du Sud, commence alors la difficile étape de l’installation. Pour les personnes souhaitant demander l’asile, il faudra attendre entre huit et quinze mois pour obtenir un rendez-vous avec l’administration. Les chances d’obtenir le statut de réfugié sont minces. En 2023, le taux d’acceptation des demandes d’asile de ressortissants venus d’Ethiopie – premier pays demandeur en Afrique du Sud – était de 4,7 %, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
    Pour les Ethiopiens qui ne demandent pas la protection internationale, obtenir un titre de séjour est « quasiment impossible », affirme Rodolphe Demeestère, doctorant en sciences politiques à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et auteur de plusieurs articles sur la xénophobie en Afrique du Sud. « Le ministère de l’intérieur est en lutte ouverte contre les candidats à l’exil, dit-il. Intégrer légalement ces Ethiopiens n’est absolument pas au programme des responsables politiques, dont le discours à l’égard de la diaspora africaine s’est fait de plus en plus hostile et ouvertement xénophobe depuis le début des années 2000. »
    Le secteur informel reste la première solution qui s’offre aux exilés pour survivre. Depuis une quinzaine d’années, les « spaza », ces épiceries tenues par des migrants éthiopiens, fleurissent dans les townships des grands centres urbains sud-africains. Si le business est rentable, la xénophobie latente complique le quotidien des commerçants. Par peur des attaques, ceux-ci passent leurs journées à l’intérieur de leur local aux fenêtres grillagées, délivrant leurs produits aux clients par une petite trappe.
    Les commerçants subissent aussi le racket des gangs du quartier. « Tous les mois, on me demande de payer, confirme Tibebu, propriétaire d’une épicerie au Cap. Je n’ai pas le choix, je donne. Parfois, je dois même verser des commissions à plusieurs gangs à la fois. J’ai peur, mais à qui demander de l’aide ? La police n’ouvre jamais d’enquête pour les étrangers. » Le commerçant éthiopien confie être « épuisé » par la peur d’être assassiné : « J’y pense tous les jours, car c’est arrivé à beaucoup d’épiciers que je connaissais. »
    Teshale a lui aussi possédé, durant plusieurs années, une boutique prospère à Johannesburg. « Il s’était acheté une voiture et avait même fait construire une maison à Hoseana, raconte son cousin. Il est mort il y a deux mois, tué par trois braqueurs. » D’après lui, les tireurs « savaient qu’il avait de l’argent car il avait reçu l’equb », un système d’épargne collective équivalent des tontines en Afrique de l’Ouest. Bras croisés et regard fixe, le cousin de Teshale soupire : « Il n’y a pas eu d’enquête. On a juste récupéré son corps, comme ça, un matin. »

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