marielle 🐢🚩

« vivere vuol dire essere partigiani » Antonio Gramsci

  • Capitalisme sans règles et extrême droite libertarienne
    https://www.contretemps.eu/capitalisme-sans-regles-populisme-droite

    Dans cet article, Norbert Holcblat revient sur le dernier livre de l’historien du néolibéralisme Quinn Slobodian qui vient d’être traduit en français, Le capitalisme de l’apocalypse (éditions du Seuil), dans lequel il analyse notamment certaines stratégies du capital et des possédants pour s’affranchir de toute forme – même très limitée – de contrôle démocratique.

    Ceux qui se sont intéressé au personnage savent que l’homme à la tronçonneuse (celui qui a précédé Elon Musk), le président argentin Javier Milei, a quatre chiens dont les noms renvoient à trois économistes américains : Milton (Milton Friedman), Robert et Lucas (d’après Robert Lucas) et Rothbard (d’après Murray Rothbard). Tous les trois ont été des néo-libéraux et globalement des réactionnaires ce qui ne signifie pas que leurs vues théoriques économiques et politiques et leurs trajectoires aient été identiques.

    Friedman, prix Nobel d’économie (plus exactement détenteur du « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel »), ne dédaigna pas de se mêler des affaires publiques, fut conseiller des présidents Nixon et Reagan et rencontra Pinochet dont il salua le coup d’État. Robert Lucas, détenteur du même prix, eut une forte influence sur la théorie économique dominante mais ne se soucia guère de politique active tout en prônant l’économie de l’offre. Quant à Murray Rothbard, son « anarcho-capitalisme » et donc son hostilité de principe à l’action de l’Etat, le tint plus éloigné des cénacles officiels, ce qui n’empêcha pas une activité politique multiforme pour l’essentiel orientée vers la droite extrême et une influence intellectuelle non-négligeable.

    Le titre français Le capitalisme de l’apocalypse tord un peu l’original : Crack-up capitalism qui correspondrait plus à effondrement ou fracture ou encore « fragmentation » (cf. page 14). Quoiqu’il en soit, ce livre s’inscrit dans une suite de trois ouvrages que Quinn Slobodian a consacré au néolibéralisme ainsi qu’il l’explique dans un entretien récent reproduit dans Contretemps. Il y dit notamment :

    « j’ai choisi de me concentrer sur un petit noyau de penseurs situés au cœur du réseau néolibéral, afin d’éclairer à travers eux des dynamiques plus vastes ».

    En l’occurrence, deux des chiens de Milei, Friedman et Rothbart ainsi que l’homme d’affaires lié aux milieux de la tech, Peter Thiel. Certes, Friedman et, de manière extrémiste Rothbard, considéraient comme le déclara Ronald Reagan dans son discours d’investiture présidentielle de janvier 1981 que « l’État n’est pas la solution à nos problèmes ; l’État est le problème ». Quant à Thiel, il se proclame libertarien et convaincu que la liberté n’est pas compatible avec la démocratie ; il a joué un rôle non-négligeable dans la radicalisation à droite de dirigeants de la Silicon Valley.

    Cependant, il convient de ne pas oublier que le néolibéralisme « réellement existant » se caractérise par sa plasticité et ne répugne pas, bien au contraire, à investir et utiliser l’appareil étatique tout en démantelant sa « main gauche » pour citer Pierre Bourdieu :

    « ce que j’appelle la main gauche de l’État, l’ensemble des agents des ministères dits dépensiers gardant la trace, au sein de l’État, des luttes sociales du passé » .

    Nous y reviendrons plus loin.

    Dans « Le capitalisme de l’apocalypse », Slobodian adopte souvent une démarche journalistique pour décrire ce qu’il qualifie de « zones », une zone étant « une enclave au sein d’une nation qui échappe aux formes ordinaires de réglementation » (page 13). « Le monde contemporain, explique l’auteur, « est constellé de trous, plein d’aspérités et de zones grises » et de citer pêlemêle : « cités-Etats, paradis fiscaux, enclaves, ports-francs, technopoles, zones hors taxes ou pôles d’innovation ». Plus loin, il y ajoute les « gated communities », c’est-à-dire les quartiers fermés regroupant des familles riches (et, aux Etats-Unis, essentiellement blanches). Slobodian dénombre au total plus de 5400 zones à travers le monde dont la moitié écrit-il se trouve en Chine. Tout cela renvoie à une réalité évidente mais peut être jugé fragile sur le plan conceptuel...