• Sénac s’étonne bientôt que la pensée de Camus, supposément subversive, puisse bénéficier d’une telle réception honorifique : « La Révolte décorée, les puissances de ce monde unanimes autour d’une œuvre, tu ne trouves pas que ça pue, toi 152 ? » demande-t-il à un ami. Deux ou trois mois plus tard, Sénac écrit à Camus pour lui reprocher de ne pas être intervenu afin de sauver la tête d’Abderrahmane Taleb, l’un des confectionneurs de bombes du FLN. Il ironise également sur le « Prix Nobel de la Pacification 153 » (ailleurs, il fait de lui le « Prix Nobel de la Défense de l’Europe et de l’Algérie française 154 »). Leur amitié s’achève ainsi, définitivement lacérée sous les lames amères de l’Histoire. Mais Sénac avait manqué une occasion de se taire : il ne savait pas que Camus était intervenu, en vain, auprès des autorités pour obtenir la grâce de Taleb. L’écrivain était coutumier de pareille démarche : il s’est investi sur environ cent cinquante affaires, et ce dans la plus grande discrétion (voilà qui devrait forcer le respect, sinon l’admiration, de ses pires ennemis).

    Tiré du prochain livre de Max Leroy sur le poète algérien Jean Sénac. À paraître début mai 2013