Débat et proposition sur l’usage académique de la langue anglaise
La stratégie du Sauna finlandais | Blogo Numericus
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Au-delà du domaine académique dont parle ici Marin Dacos, les Digital Humanities, ses constats sur les inégalités dans le domaine académique et notamment celles liées à l’usage de l’anglais, et plus encore ses propositions, me paraissent importants à mettre en circulation. Peut-on contraindre les anglophones à simplifier leur expression scientifique dans leur langue maternelle (bref, simplifier, standardiser, « esperantiser » l’anglais) ?
Sur le même sujet, cf. notamment le fil de discussion ouvert par @reka au sujet de l’usage de l’anglais comme langue de communication par les géographes français (▻http://seenthis.net/messages/124895), et plus largement, le débat sur l’anglais à l’université suite à l’article controversé de la loi Fioraso sur la recherche (par exemple ici : ►http://seenthis.net/messages/141079)
L’anglais comme plafond de verre
En effet, la maîtrise de la langue anglaise fonctionne comme un plafond de verre. Si nous adoptions une métaphore sportive, nous pourrions dire que l’Europe continentale, l’Amérique du Sud, l’Asie et l’Afrique jouent en permanence à l’extérieur, alors que le monde anglo-américain joue à domicile, même à 1000 km de ses bases… Dans les négociations diplomatiques entre la Finlande et la Russie, les diplomates avaient pris l’habitude d’utiliser l’avantage de « jouer » à domicile pour imposer des règles culturelles leur donnant un avantage. Les Russes imposant le partage de bouteilles de Vodka au cours de négociations, étant certains de leur supériorité dans la résistance à cet alcool national, et les Finlandais poussant à des négociations à l’intérieur de saunas, pratique correspondant à un usage familial profondément ancré et leur donnant un avantage certain. Je propose donc, non sans esprit de provocation, que nos collègues anglophones rédigent leurs propositions de papiers dans un sauna à 80°C pour compenser leur avantage linguistique… On peut, en effet, se demander s’il faut favoriser les plus exclus du système, ou s’il faut handicaper ceux qui le dominent sans partage, comme on le fait dans les courses hippiques. Ce principe du handicap[29] est-il transposable, du sport hippique à la compétition scientifique en Digital Humanities ? Pourquoi pas. Mais il faudrait déterminer comment marquer ce handicap sans être contre-productifs, c’est-à-dire sans altérer de façon stupide le processus scientifique. A l’inverse, on peut imaginer des dispositifs s’appuyant sur la discrimination positive, les quotas de contributions, l’interdiction de cumul des mandats, le soutien financier aux déplacements pour les pays et les laboratoires les moins bien dotés, le travail collectif pour mettre au point une bourse des traductions collaboratives, afin de faire progresser le niveau d’anglais des propositions avant leur évaluation, etc. Cet article souhaite ouvrir le débat sur la base d’informations cartographiques structurées, et non donner des réponses définitives. Je propose cependant quelques lignes de force.
De l’anglais au globish[30]
Allons jusqu’au bout du raisonnement. La communauté des Digital Humanities est anglophone en raison de la large diffusion de l’enseignement de l’anglais dans le monde, et non parce que les anglophones de naissance sont numériquement dominants dans cette communauté. Acceptons donc l’anglais comme seconde langue. En tant que seconde langue, il sera le Globish, et non l’English. Ce Globlish, mécaniquement plus rustique et rudimentaire que l’Anglais d’Angleterre, sera un véhicule de communication entre égaux.
Fonder une étiquette globish
Ceux qui maîtriseront mieux cette langue prendront garde à ne pas parsemer leurs interventions orales d’allusions complexes ou de traits d’humour nécessitant une fine compréhension de la langue. Ils s’excuseront d’être nativement anglophones, alors que c’est actuellement le non nativement anglophone qui s’excuse, en introduction de son intervention, de l’imperfection de son anglais. L’ensemble de la communauté adoptera un code de courtoisie, une étiquette globish, dans laquelle l’ensemble des participants s’obligeront à s’exprimer lentement et clairement, sans macher leurs mots. Si nécessaire, ils prendront des cours de diction. Pour introduire une interaction avec une audience globish, les organisateurs choisiront des salles dont l’acoustique est bonne, au détriment de salles peut-être parfois plus prestigieuse mais à l’acoustique désastreuse. Ils distribueront un carton blanc à chaque auditeur, qui pourra être levé quand l’orateur s’égare et oublie qu’il parle à une audience globish, afin de l’inviter à revenir en arrière, à ar-ti-cu-ler, à reformuler, si besoin est. Ils mettront en place un système de parrainage dans lequel des anglophones natifs aideront les proposants à améliorer la qualité de leur anglais. Les anglo-américains sont en général beaucoup trop polis pour nous aider à corriger notre anglais, lors d’échanges par email ou par oral. Dès lors, nous ne pouvons pas progresser, ne sachant même pas si ce que nous disons est compris. Je propose donc une modification de cette pratique, en intégrant à l’étiquette globish une intervention forte et régulière des anglophones à destination des globophones, pour les aider à améliorer leur anglais.
Construire une confiance globophone
L’anglais est un instrument pratique et indispensable, auquel nous devons former plus fortement nos étudiants, à l’oral comme à l’écrit. Nous devons inciter nos étudiants à se jeter dans le bain de l’échange international, dans le meilleur anglais possible, en leur apportant un accompagnement de qualité, sur la longue durée. Au-delà de la maîtrise technique, c’est de confiance en soi, de confiance globish, que nous devons doter notre communauté. Sinon, comment expliquer que nous ayons si peu de candidats globophones dans les élections de nos organisations ? C’est bien d’une refondation globale du rapport à l’autre qu’il s’agit.
Une autre référence utile à propos à nouveau du cas de la géographie :
Geography after Babel – a view from the French province, par M. Houssay-Holzschuch, et O. Milhaud, Geogr. Helv., 68, 51-55, 2013
www.geogr-helv.net/68/51/2013/ (version postprint, ►http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00828320)
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