• Jacques Lacan, donna une conférence à l’université catholique de Louvain, le 13 octobre 1973. Il va s’ensuivre un événement politique, comme seul l’époque en connaissait. Un jeune étudiant va intervenir pour interrompre la conférence pour se substituer, au discours de Lacan et le retourner contre son propre langage en lui démontrant qu’il incarne et représente, le symbole d’une société bourgeoise, qui finalement ne s’intéresse qu’à une chose : établir l’ordre du discours qui maintient « les pères au pouvoir » ce à quoi répond Lacan : « c’est l’amour qui vous prêche ! » La messe est dite.

    https://www.youtube.com/watch?v=GTT8rpS8jhM

    Retranscription complète de l’échange entre le « non-dupe-ére » et le « maître »
    http://www.valas.fr/Jacques-Lacan-Conference-a-Louvain-le-13-octobre-1972,013

    X – Vous allez me brutaliser, mais je m’exprime à ma façon comme ce monsieur. Est-ce que vous me comprenez ?

    LACAN – Oui, je vous comprends.

    X – Voulez-vous jouer avec moi ?

    LACAN – Oui, tout à l’heure, vous voulez ?

    X – Mais n’avez-vous pas encore assez de ce monologue, non ?

    LACAN – Oui, ça c’est vrai !

    X – Est-ce que vous ne vous rendez pas compte que le public auquel vous vous adressez est par définition même le plus médiocre et le plus méprisable auquel on peut s’adresser, le public étudiant ?

    LACAN – Vous croyez ?

    X – Oui. Vous n’avez pas encore compris que historiquement il est temps maintenant de se rassembler pour autre chose que pour écouter quelqu’un qui parle de quelque chose qui l’intéresse. Au fond, moi, je viens parler maintenant de quelque chose qui m’intéresse, c’est-à-dire les gâteaux.

    PUBLIC – Laissez-le parler.

    X – Pardon. Qui m’invite ? Je m’invite au fond. La petite lubie de ce monsieur est de s’interroger sur le langage, et la mienne est de construire des petits châteaux avec de la pâtisserie (rires). Alors je voudrais encore ajouter que j’interviens au moment où j’ai envie d’intervenir, et que, disons que l’ensemble, ce qui jusqu’il y a environ 50 ans pouvait être appelé culture, c’est-à-dire, expression de gens qui dans un canal parcellaire, exprimaient ce qu’ils pouvaient ressentir, ne peut plus et est maintenant un mensonge, et ne peut plus être appelé que spectacle, et est au fond la toile de fond qui relie au fond, et qui sert de liaison entre toutes les activités personnelles aliénées. Au fond, si maintenant les gens qui sont (17a)ici se rassemblent à partir d’eux-mêmes, et authentiquement veulent communiquer, ce sera une toute autre base et avec une toute autre perspective ; il est évident que ce n’est pas une chose qu’il faut attendre des étudiants qui sont par définition, ceux qui d’un côté s’apprêtent à devenir le cadre du système avec toutes leurs justifications, et qui sont précisément le public qui, avec sa mauvaise conscience, va se repaître précisément des résidus des avant-gardes et du spectacle en décomposition. C’est pour ça que je choisis précisément ce moment pour m’amuser, quoi, parce que si je vois par exemple, des types qui s’expriment authentiquement quelque part, je vais précisément venir les ennuyer, mais j’ai choisi précisément ce moment-ci quoi !

    LACAN – Oui, vous ne voulez pas que j’essaye d’expliquer la suite ?

    X – Quelle suite ? Par rapport à ce que je viens de dire ? J’aimerais bien que vous me répondiez.

    LACAN – Mais oui, bien cher, mais je vais vous répondre. Mettez-vous là, je m’en vais vous répondre. Restez tranquille là où vous étiez. Peut-être que j’ai quelque chose à vous raconter pourquoi pas ?

    X – Vous voulez que je m’assieds ?

    LACAN – Oui c’est ça c’est une très bonne idée… Bon alors, nous en étions arrivés au langage, si vous vous êtes là comme ça exprimé devant ce public, qui en effet est tout prêt à entendre des déclarations insurrectionnelles, mais qu’est-ce que vous voulez faire ?

    X – Où je veux en venir ?

    LACAN – Oui voilà.

    X – C’est la question au fond que les parents, les curés, les idéologues, les bureaucrates et les flics, posent généralement aux gens comme moi, qui se multiplient quoi !, je peux vous répondre, je peux faire une chose, c’est la révolution.

    LACAN – Oui.

    X – Vous voyez et, bon il est clair, au moment où nous en sommes pour le moment, une de nos cibles préférées, ce sont ces moments précis où des gens comme vous, qui sont en train de venir, au fond, apporter à tous ces gens qui sont là, la justification de la misère quotidienne, au fond, c’est ça que vous faites vous !

    LACAN – Oh pas du tout ! (rires).

    X – Oui.

    LACAN – Il faut d’abord la leur montrer, leur misère quotidienne.

    X – Mais c’est justement ce que je voudrais ajouter, c’est qu’on est justement au moment où on n’a plus besoin de spécialistes qui doivent le montrer. Il est clair, que suffisamment de gens, et ça se manifeste pour le moment, la décomposition se manifeste à l’échelle planétaire avec suffisamment de force, pour qu’on voie qu’il règne pour le moment, un malaise, je veux bien concéder cette parenthèse…

    LACAN – Un malaise…

    X – Le public estudiantin est probablement à l’arrière-garde, bien que ce soit probablement de ce côté-là qu’il y ait le plus de troubles spectaculaires et superficiels. Bon, mais il est clair que le malaise et la conscience de son aliénation et de son refus, la familiarité de son aliénation grandit de plus en plus. Il reste maintenant à faire le pas décisif, de voir l’alternative possible. Vous n’êtes certainement pas là pour ça, quoique je ne méprise absolument pas ce que vous venez de faire mais euh… (rires applaudissements). Bon mais maintenant, au fond, je n’ai pas grand-chose à dire ; si tous ces gens ici, se rendent compte qu’au fond, la vie que nous sommes en train de mener en général, doit être changée, au fond, si ces gens là s’organisent entre eux, je voudrais dire encore quelque chose, parce que après, je m’en vais très vite, parce que…

    (17b)LACAN – Non non, pas du tout, il faut rester.

    X – Mais si ces gens-là s’organisent, parce qu’au fond, la seule chose qui est à l’heure actuelle nécessaire, c’est qu’il y ait une organisation, il feront autre chose que de venir écouter quelqu’un qui parle, et même qui puisse parler de politique, ou de n’importe quoi, et euh…

    LACAN – Et vous voyez, vous voilà dans l’organisation !

    X – Oui, oui.

    LACAN – Parce que le propre d’une organisation, c’est d’avoir des membres, et les membres, pour qu’ils tiennent ensemble, qu’est-ce qu’il faut ?

    X – de la cohésion.

    LACAN – Je ne vous le fais pas dire ! (rires). C’est là que j’en étais, parce que, figurez-vous que ce que vous êtes en train de raconter là, ça a comme ça un petit air de logique. Vous êtes un logicien.

    X – Vous faites là un grave saut, enfin, parce que ce n’est pas parce qu’on a de la logique, qu’on en fait, c’est un discours de spécialiste.

    LACAN – Pas du tout, votre organisation, qu’est-ce que c’est ? Vous venez de le dire, c’est de la cohésion, c’est de la logique.

    X – Non, ce n’est pas de la cohésion, ce n’est pas de la logique, je m’en fous de ce niveau-là. En partie de la volonté subjective de chacun, de moi, comme d’autres, et comme j’en suis sûr, tout plein dans cette salle probablement, malgré qu’ils soient ici, et qu’ils soient venus euh, vous écouter, mais j’en suis sûr que c’est de la volonté subjective de chacun qui a envie.

    LACAN – Pourquoi parlez-vous de subjective ?

    X – De subjective, c’est au fond, une chose que tout le monde comprend.

    LACAN – Ah, je ne vous le fais pas dire, tout le monde comprend ! (rires).

    X – Bon mais attendez, cette subjective qui, c’est ça le sens, au fond, de l’histoire maintenant, qui veut se lier avec les autres, pour euh…, ce n’est que là que l’alternative sociale, au fond, dans l’intersubjectivité, et c’est là au fond, la cohésion de, ce n’est même pas besoin d’être un logicien, comme vous dites.

    LACAN – Vous n’avez pas remarqué que les révolutions ont pour principe, comme le nom l’indique, de revenir au point de départ, c’est-à-dire de restaurer ce qui justement clochait.

    X – Oui, mais ça c’est un mythe journalistico-sociologique (rires), qu’au fond, il ne faut pas venir spécialement après les heures de cours, pour venir l’entendre dire, mais je suis sûr que tous les professeurs doivent le dire, et au fond, tous les journaux… Je vous dis que c’est une erreur, et que probablement que dans les années à venir, vous verrez l’erreur à vos dépens, probablement, comme aux dépens de tous les spécialistes, qui sont pour le moment comme vous, ici, en train de lécher les dernières miettes du spectacle et je vous en prie, profitez-en ! (rires).

    LACAN – Ça m’étonnerait, ça m’étonnerait que ça soit comme vous dites, la fin du spectacle.

    X – Mais écoutez, sur ce plan là je ne discute pas avec vous, on verra hein ! vous verrez !

    LACAN – Oui on verra, mais c’est pas couru, vous savez !

    X – Enfin oui, à la base, c’est une sale discussion parce que à la base, vous n’avez pas les mêmes intérêts que moi.

    LACAN – Vous ne savez pas. Vous avoueriez vos véritables intérêts ?

    X – Pardon ?

    LACAN – Quels sont vos véritables intérêts ?

    X – Non mais ça au fond, j’ai dit ce que j’avais à dire, je l’ai d’ailleurs dit…

    LACAN – Vous voyez comme vous aimez dire quelque chose !

    X – C’est la première chose que j’ai dite au fond.

    (18a)LACAN – Oui c’est aussi la dernière, parce que vous ne pouvez pas aller plus loin, vous ne pouvez pas aller plus loin que cette idée de volonté subjective, qui est une idée justement, qu’on trouvait, je viens de faire remarquer justement que le sujet n’est jamais pleinement d’accord avec lui-même, même vous qui… la preuve c’est que vous avez tout de suite commencé à parler d’organisation, au moment où…

    X – Là je peux dire quelque chose, peut-être que vous ne voyez pas très clair ?

    LACAN – Juste après le moment où vous avez fait la pagaille, vous voulez l’organisation ; avouez que quand même !

    X – Bon mais monsieur, est-ce que je pourrais vous répondre quelque chose ?

    LACAN – Je n’attends que ça !

    X – Il est aisé de voir que dans une certaine situation donnée, il faut à un moment donné, disons, capter ou plutôt casser ce qui est existant pour qu’à un moment donné, c’est au fond ça la dialectique, au fond.

    LACAN – Car vous en êtes encore là, vous en êtes encore à la dialectique ?

    X – Mais quand vous parliez de, quand vous parliez d’un semblant de contradictions entre la volonté subjective et l’organisation, ce n’est pas une contradiction ; l’organisation à un moment donné est une concession subjective à l’histoire.

    LACAN – Vous voyez que vous en êtes déjà aux concessions, mon Dieu.

    X – Il s’agit, monsieur, la survie dans laquelle nous vivons pour le moment, n’a fait que vivre sur les concessions infligées aux individus. Il s’agit pour le moment de trouver une organisation sociale qui dépasse le point où on en est pour le moment, et qui satisfasse au fond, satisfasse le mieux…

    LACAN – Vous voyez, maintenant, vous en êtes au mieux, qu’est-ce que c’est ce mieux, un superlatif ou un comparatif ?

    X – C’est un dépassement vous comprenez ? Il ne s’agit pas de Jésus ou Dieu ou bien d’une situation, il ne s’agit pas d’absolu ou de, non c’est un dépassement, c’est ça l’histoire.

    LACAN – Qu’est-ce qu’il vous faut quand vous veniez de dire le mieux, il semble bien que c’est un superlatif.

    X – Le plus mieux, enfin. (rires).

    LACAN – Ah voilà, écoutez, vous êtes exactement mon vieux, vous êtes un appui précieux à mon discours, c’est justement là que je voulais en venir, c’est au plus mieux.

    X – Mais je vous écoutais déjà depuis cinq minutes, mais il ne me semblait pas que c’est de ça que vous causiez.

    LACAN – Mais si, je parle de ça, c’est du plus mieux qu’il s’agit.

    X – Il y a ici 300 personnes, vous êtes au départ d’accord avec moi, vous êtes d’accord que au fond, l’université en soi n’est pas là, comme tout le reste d’ailleurs, comme la cigarette gauloise, comme le pain de campagne ou comme vous-même, en tant qu’objet hein (rires) ; vous n’êtes là au fond vous ne pouvez vous justifier que par le fait même que vous êtes là ; il n’y a plus au fond, on n’en peut plus à un moment donné trouver de justification, par exemple à l’université ? Est-ce que quand vous êtes venu causer ici, vous avez dit que l’université est à détruire, à supprimer de fond en comble ?

    LACAN – Je n’ai pas dit ça.

    X – Nous sommes ici 500 personnes qui chacune, du fait qu’on est dans des situations précises, qui a chacune des talents divers, des situations privilégiées, il serait possible, étant donné que l’on partirait du postulat que l’on aurait envie de changer quelque chose, il serait possible de trouver ensemble une forme d’organisation qui puisse être une forme efficace. Est-ce que quand vous venez causer vous parlez de ça, ou bien est-ce que vous parlez d’autre chose, qui à ce moment-là ne fait que… vous parlez 3 heures, puis après on rentre, puis après bon, hein…

    PUBLIC – Tais-toi maintenant.

    LACAN – Bon, alors on continue quand même !

    PUBLIC – Oui.

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