• #Jacques_Rancière : « La démocratie est née d’une limitation du pouvoir de la propriété »
    http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article1494

    Quelle place tient la critique de la propriété dans votre théorie de la démocratie ?

    Jacques Rancière : La démocratie est née historiquement comme une limite mise au pouvoir de la propriété. C’est le sens des grandes réformes qui ont institué la démocratie dans la Grèce antique : la réforme de Clisthène qui, au VIe siècle av. J.-C., a institué la communauté politique sur la base d’une redistribution territoriale abstraite qui cassait le pouvoir local des riches propriétaires ; la réforme de Solon interdisant l’esclavage pour dettes.

    Le principe démocratique, c’est l’affirmation d’un pouvoir de tous et toutes, d’un pouvoir des êtres humains « sans qualités » venant contrarier le jeu normal de la distribution des pouvoirs entre les puissances sociales incarnant un titre à gouverner : la naissance, la richesse, la science, etc. La démocratie est donc liée à une limitation du pouvoir de la propriété. Et il est clair que la démocratie est vivante là où elle est capable d’exercer cette limitation. Cela dit, il est également clair que l’idée démocratique ne porte pas en elle-même le principe et les moyens d’une suppression de la propriété. C’est pourquoi elle a été accusée d’être son simple alibi formel, et la « démocratie réelle » a été identifiée à la possession collective des moyens de production. On sait quel a été le destin de la « démocratie réelle » pratiquée dans les Etats soviétiques. Même pour ceux et celles qui n’ont jamais identifié contrôle collectif et dictature d’un « parti de classe », le contre-exemple de la dictature soviétique rend plus difficile de concevoir, dans le contexte d’une économie mondialisée, la forme que pourrait prendre un contrôle collectif sur les moyens de production et d’échange. Cela nous rend relativement démunis au moment où le pouvoir économique atteint les formes les plus radicales de son illimitation, où il s’identifie toujours plus au pouvoir des États et des grandes organisations interétatiques qui est, plus que jamais aussi, un pouvoir anti-politique, un appareil destiné à confisquer et à détruire la capacité collective. La critique de la propriété passe d’abord aujourd’hui par la lutte contre cette illimitation et cette fusion.

    Extrait de "la haine de la démocratie" paru aux éditions #La_Fabrique

    Les démocraties libérales ont un rapport ambigu vis-à-vis de la notion de démocratie. D’un côté, la démocratie est une notion revendiquée. Mais il s’agit d’un usage idéologique de cette notion dans la mesure où aucun régime ne peut être en réalité une démocratie. D’un autre côté, la notion de démocratie est critiquée. Ce qui est critiqué, c’est l’anarchie démocratique, c’est à dire justement le fait que personne ne soit fondé à avoir plus de compétence qu’un autre en matière politique. Par conséquent, la haine de la démocratie est en réalité une haine de l’égalité.

    Si nous ne vivons pas dans des démocraties et si la démocratie est anarchique, qu’est ce qu’alors une réelle démocratie ? Elle ne peut s’incarner dans aucune forme politico-juridique. Par conséquent, le régime représentatif, les élections au suffrage universel ne caractérisent pas la démocratie en soi. D’ailleurs, on le voit bien dans notre société puisque ces instruments peuvent être utilisés à leurs profits par les régimes oligarchiques.

    Il existe certes des règles qui permettent de rendre plus démocratique le système représentatif : « mandats électoraux courts, non cumulables, non renouvelables ; monopole des représentants du peuple sur l’élaboration des lois ; interdiction au fonctionnaire du peuple d’être représentant du peuple […] » (p.80). Mais rendre un régime plus démocratique ne signifie pas qu’il incarne en soi la démocratie.

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