Les viols ont été expurgés du mythe. Tant que le mythe tiendra, les dissonances seront ignorées comme du bruit, à moins d’un historien exceptionnel armé de témoignages puissants pour le fissurer - et encore : la plèbe veut des héros, pas des victimes.
Au travers de la commémoration des victimes de l’époque tu dénonce la manière dont cette domination violente persiste aujourd’hui - un but fort louable mais, tout comme les dessinateurs plagistes, tu instrumentalises de manière biaisée un événement historique dans un but politique contemporain. En choisissant de dénoncer le viol tu spolies implicitement les autres victimes de la reconnaissance qui leur est due. La dénonciation de la violence peut-elle être sélective ? La sélectivité est-elle nécessaire pour que porte une voix qui serait inaudible dans une dénonciation générique de la violence ?
Vue ma consommation passée d’ouvrages concernant la Grande Guerre Patriotique, je sais bien l’ampleur des opérations génocidaires Allemandes à l’Est - nous avons un Oradour-sur-Glane alors qu’il y en a des milliers là-bas. Mais la vengeance Soviétique n’en est pas moins un cas intéressant par la place qu’y prend le viol, l’absence de réaction institutionnelle (aussi efficace que des encouragements) et l’amnésie quasi-totale qui a duré jusqu’à la fin de la Guerre Froide. Dans Ivan’s War, page 268, Catherine Meridale cite le témoignage de Leonid Rabichev, à l’époque jeune officier dans l’Armée Rouge : « Women, mothers and their children lie to the right and left among the route, and in front of each of them stands a raucous armada of men with their trousers down. The women who are bleeding or losing consciousness get shoved to one side and our men shoot the ones who try to save their children. Meanwhile a group of grinning officers stood nearby, one of whom was directing - no he was reulating it all. This was to make sure that every soldier without exception would take part ». Elle écrit après : « That night, Rabichev and his men were sent to sleep in an abandonned German shelter. Every room contained bodies : the corpses of children, of old men and women who had evidently suffered serial rape before their deaths. ’We were so tired’ Rabichev wrote ’that we lay down on the ground between them and fell asleep ». Là où les Allemands tuaient industriellement dans un but d’une certaine rationalité d’un point de vue Nazi, les Russes en Allemagne assouvissaient une vengeance dont le moyen était d’infliger de la douleur, afin de terroriser mais aussi sans aucun motif ultérieur. A partir d’Avril 45, la baisse générale du niveau de violence et de timides réactions de Stalin et Zhukov ont fini par atténuer le phénomène à des niveaux ’normaux’ mais l’échelle des viols qui a suivi l’entrée en Allemagne des Russes n’a à ma connaissance pas d’équivalent historique - le sac d’une ville antique ou médiévale suite à un siège rivalise en horreur mais à une échelle ponctuelle par rapport à une telle campagne.