Reka

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  • Conscience et humanité noyées, par Olivier Favier. | Dormira jamais

    http://dormirajamais.org/mediterranee

    Via Aline Jobert

    Dormira jamais

    " Tout est près. Les pires conditions matérielles sont excellentes. Les bois sont blancs ou noirs. On ne dormira jamais." André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924.
    Conscience et humanité noyées, par Olivier Favier.

    Le 13 avril 2011, vingt jours après leur départ de la Libye, deux embarcations disparaissent en haute mer corps et biens. Elles portaient respectivement 335 et 160 émigrants érythréens à destination de l’île italienne de Lampedusa. Le 3 octobre 2013, un autre bateau coule au large de la même île avec à son bord 440 passagers, la plupart somaliens et érythréens. 155 sont sauvés, 111 corps sont repêchés sans vie le jour-même… le sort des autres ne laisse malheureusement aucun doute.

    L’écrivain et journaliste Léonard Vincent, qui a consacré un livre aux Érythréens (Rivages, 2012), s’interroge au matin du 4 octobre sur un réseau social : « Pourquoi l’épouvantable naufrage de Lampedusa fait-il la « une » aujourd’hui, mais pas les précédents, dont certains ont tué plus de fugitifs encore ? » En effet, pourquoi la presse du jour, cédant à un fugitif « emballement médiatique », répète-t-elle à l’envi la même erreur factuelle : « Ce naufrage est la pire tragédie de l’immigration de ces dernières années ».

    #migrations #asile #réfugiés #naufrage #lampedusa

    • Un #pont, pas un #cimetière

      Face à l’ampleur de la tragédie qui s’est jouée jeudi au large de Lampedusa – l’un des naufrages les plus meurtriers impliquant des immigrants tentant de gagner l’Europe –, les réactions effarées fusent. On retiendra celle du pape, qui, à Assise, a dénoncé l’indifférence à
      l’égard de ceux qui fuient l’esclavage et la faim, et trouvent la mort.
      Cet été, il s’était justement rendu sur cette île – qui, en vingt ans, a accueilli près de 200 000 migrants –, lors d’un voyage hautement symbolique où il avait demandé pardon pour les morts. En deux décennies, 20 000 à 25 000 réfugiés ont péri dans la Méditerranée en tentant de la traverser. Tous les naufrages ne sont pas aussi spectaculaires que celui qui fait la « une » ces jours, mais au fond, cette issue est devenue banale – une réalité terrible à reconnaître.
      Face à l’horreur, des responsables politiques européens s’émeuvent. Mais leurs larmes de crocodile et leurs discours de fermeté ne doivent pas tromper.
      Renforcer la lutte contre les passeurs ? Bien sûr. Mais l’Europe qui prétend cela est justement celle qui permet à ce business sanglant de prospérer en s’érigeant en une forteresse impénétrable. Car l’Europe déploie des moyens colossaux pour traquer l’immigration illégale et se barricader – hélicoptères, avions, radars et bientôt des drones. Elle a aussi confié à l’Afrique la mission de stopper le flux migratoire, en sous-traitant les violations des droits humains qui accompagnent ces politiques sécuritaires. Avec pour conséquence, également, un durcissement de la mobilité entre les Etats subsahariens et une déstabilisation des rapports au sein du sous-continent.
      Autre exemple de fermeture, les Etats européens sont allés jusqu’à refuser le dépôt de demandes d’asile dans leurs ambassades, à l’image de la Suisse récemment en votation. De quoi favoriser les traversées périlleuses et la traite humaine. Si des Syriens périssent en mer, c’est bien parce que l’Europe rechigne à leur délivrer des visas pour qu’ils puissent y demander asile.
      Comme le prouvent les morts qui s’accumulent, ces politiques sécuritaires n’enlèvent en rien l’attrait de l’Europe. Tant qu’il y aura des guerres, des catastrophes et de la pauvreté, aucune entrave ne sera assez dissuasive pour qui veut fuir les persécutions et la misère. Sans compter les signaux contradictoires de l’Europe, qui, hypocrite, a besoin de cette main-d’œuvre dans plusieurs secteurs (agriculture, construction...).
      Cet été, le pape avait appelé à ne plus voir dans les migrants une menace. Pour que la Méditerranée redevienne un pont entre deux continents et non plus une fosse commune, l’Europe doit ouvrir de nouvelles voies d’immigration légales.
      Mais il ne faut pas trop se faire d’illusions, car l’indifférence risque de très vite reprendre ses droits. En attendant, la Commission européenne promet de renforcer la surveillance de la Méditerranée afin de pouvoir mieux porter secours aux bateaux en perdition. Une autre hypocrisie puisque cette mer est déjà l’un des endroits les plus surveillés au monde.

      http://www.lecourrier.ch/115126/un_pont_pas_un_cimetiere