Monolecte 😷🤬

Fauteuse de merde 🐘 @Monolecte@framapiaf.org

  • Comment supporte-t-on les rames bondées ? - Métropolitiques
    http://www.metropolitiques.eu/Comment-supporte-t-on-les-rames.html

    Promiscuité imposée avec des masses d’inconnus plus ou moins bien disposés, l’expérience du métro est souvent dépeinte comme une épreuve. Moins connu, en revanche, est le travail peu visible et néanmoins fondamental que réalisent quotidiennement les voyageurs anonymes, en vue de maintenir entre eux les conditions minimales d’une cohabitation pacifique.

    #éthologie #transport

    J’avais remarqué quelques comportements intéressants dans ces compactages humains :

    Paris étouffe sous une cloche de chaleur épaisse quand je m’engouffre dans une station de la ligne 13. Les minutes s’égrainent, poisseuses, pendant que le quai ne cesse de se remplir et la rame d’oublier d’arriver. Quand le train daigne enfin venir nous cueillir, il est déjà plein jusqu’à la gueule et il est évident qu’on ne peut y glisser une feuille de Riz-Lacroix de plus. Et pourtant, portée par la foule compacte et décidée, j’entre dans le wagon bondé, m’enfonçant dans l’agglomérat de chairs soudées jusqu’à me retrouver bloquée par la triple barre de préhension située au beau milieu de la rame. Derrière moi, la poussée augmente et les corps continuent de s’agglutiner dans une Marabunta sauvage que même les lois les plus élémentaires de la physique ne peuvent endiguer. La fermeture des portes finit de vider mes poumons alors que la foule compacte se comporte comme un seul et unique matériau, lourd et incroyablement dense, amortissant chaque courbe et chaque à-coup du wagon. Nous baignons littéralement dans notre jus, nos sens saturés de toutes parts. Les odeurs fades et un peu grasses de toute cette humanité souffrante et surchauffée glissent mollement dans nos poumons comprimés pendant que chacun s’emploie vertueusement à fixer son regard sur une parcelle de matière inerte. La barre d’acier scie ma poitrine pendant que la colonne vertébrale d’une personne manifestement plus grande que moi tente de s’incruster dans mon dos. Scotché à ma fesse gauche par la chaleur et la pression, un gros type a l’air d’avoir oublié une Maglite dans sa poche et roule de gros yeux égarés. Un vieux chinois frêle comme une brindille concentre toute son énergie sur les trois doigts qu’il a pu accrocher à la barre de sécurité et tente manifestement de ne pas m’achever de sa pression dérisoire avec un petit sourire résigné. Toute cette promiscuité moite et compacte est une agression d’une violence incroyable, même pour les primates sociaux que nous sommes, et pourtant, personne ne se plaint ni ne fait mine de s’énerver. Chacun porte sa croix dans le silence et le stoïcisme pendant que je nous imagine, tous noyés dans le flot de notre propre sueur qui aurait rempli le wagon. J’aimerais autant éviter de caner, là, comme ça, fondue dans la masse, mon corps maintenu debout par la pression humaine dans un éternel présent compressif et liquide.
    Le supplice se prolonge d’une station à l’autre, les portes s’ouvrant parfois sur cet impensable puzzle en 3D :
    – Mais c’est pas vrai ! J’te jure ! On peut pas rentrer là-dedans ! Non, mais vraiment pas !
    On ne peut guère en sortir non plus, d’ailleurs. On ne peut qu’attendre, patiemment, la correspondance qui aspirera un peu de cette foule dehors et nous permettra, enfin, de toucher terre. Unis par l’inconfort qui dure et nous broie les côtes, les compagnons d’infortune parviennent à échanger quelques regards complices et compatissants. Je trouve assez d’air pour tenter une question.
    – C’est tout le temps comme ça ou c’est juste pour nous punir parce qu’il fait très chaud ?
    Le Chinois sourit franchement.
    – Non, je prends cette ligne tous les jours et je n’ai jamais vu ça.
    Une femme reprend la conversation au bond.
    – Le problème, c’est que la RATP est passée en horaires de vacances alors que ça ne commence réellement que dans deux jours. Du coup, ça ne marche plus du tout. Il y a toujours autant de monde, mais deux fois moins de rames et les touristes arrivent en plus.
    – Ha ouais ! Pas de chance, là ! Avec la canicule en plus, ça fait quand même beaucoup.
    – Manière, c’est toujours pareil sur la ligne 13.
    – Ha, je ne sais pas, je ne suis pas d’ici.
    – Ben vous pourrez le raconter en rentrant : la ligne 13 ne marche jamais comme il faut. Vous pourrez même dire que vous avez survécu à la ligne 13 !
    En fait, c’est pratiquement le problème de toutes les lignes. Le réseau a l’air totalement saturé, particulièrement quand on traverse les quartiers populaires et peuplés. Mais voilà, les forçats du métro ont trouvé là un point commun qui transcende toutes leurs différences et pendant que le wagon retrouve une taille normale au fur et à mesure des stations, les conversations se nouent, les visages se détendent et les corps s’affaissent quelque peu, dans une liberté spatiale chèrement reconquise.

    http://blog.monolecte.fr/post/2009/07/06/Je-ne-veux-pas-mourir-aux-cotes-d-un-lecteur-du-Figaro