• L’Américain moyen consacre plus de mille six cents heures par an à sa voiture. Il y est assis, qu’elle soit en marche ou à l’arrêt ; il la gare ou cherche à le faire ; il travaille pour payer le premier versement comptant ou les traites mensuelles, l’essence, les péages, l’assurance, les impôts et les contraventions. De ses seize heures de veille chaque jour, il en donne quatre à sa voiture, qu’il l’utilise ou qu’il gagne les moyens de le faire. Ce chiffre ne comprend même pas le temps absorbé par des activités secondaires imposées par la circulation : le temps passé à l’hôpital, au tribunal ou au garage, le temps passé à étudier la publicité automobile ou à recueillir des conseils pour acheter la prochaine fois une meilleure bagnole. Presque partout on constate que le coût total des accidents de la route et celui des universités sont du même ordre et qu’ils croissent avec le produit social. Mais, plus révélatrice encore, est l’exigence de temps qui s’y ajoute. S’il exerce une activité professionnelle, l’Américain moyen dépense mille six cents heures chaque année pour parcourir dix mille kilomètres ; cela représente à peine 6 kilomètres à l’heure. Dans un pays dépourvu d’industrie de la circulation, les gens atteignent la même vitesse, mais ils vont où ils veulent à pied, en y consacrant non plus 28 %, mais seulement 3 à 8 % du budget-temps social. Sur ce point, la différence entre les pays riches et les pays pauvres ne tient pas à ce que la majorité franchit plus de kilomètres en une heure de son existence, mais à ce que plus d’heures sont dévolues à consommer de fortes doses d’énergie conditionnées et inégalement réparties par l’industrie de la circulation.

    Ivan Illich, « Energie et Equité », 1973

    • Dans un autre ordre d’idée mais lié à la voiture quand même, je me souviens d’une intervention de Baptiste Mylando au cours d’un colloque sur le temps de travail. Il avait calculé le temps de travail nécessaire à un ouvrier moyen pour s’acheter une voiture et les frais annexes et concluait qu’il préférait se lever moins tôt mais circuler à vélo.

    • @odilon l’ingénieur Dmitry Orlov s’était également penché sur la question

      Il est possible d’ériger une montagne virtuelle d’arguments rationnels, logiques et quantifiables contre les voitures et en faveur des bicyclettes. Un mode d’analyse des plus amusants implique de calculer leur vitesse moyenne effective relative2. D’abord, calculer le coût total de possession d’une voiture, incluant le prix d’acquisition, les coûts financiers, les coûts de maintenance, l’immatriculation, les péages, les amendes, et ainsi de suite. Maintenant, incluez tous les coûts externes : la construction et la maintenance des routes, les dommages à la santé causés par la pollution de l’air et de l’eau, la perte de productivité due aux morts et aux mutilations dans les accidents automobiles, les coûts légaux associés, et, bien sûr, les budgets militaires nécessaires pour équiper les forces armées pour se battre et défendre le pétrole.

      Maintenant, prenez le revenu moyen et les heures travaillées d’un conducteur, et trouvez combien d’heures de travail il faut pour couvrir tous ces coûts. Ajoutez à cela le temps effectivement passé à conduire. Maintenant prenez le nombre de kilomètres parcourus par le véhicule, et divisez-le par le nombre total d’heures passées à la fois à conduire et à gagner assez d’argent pour payer les voitures. Plutôt que de vous donner les réponses, je vous encourage à faire vos propres devoirs, mais je peux vous dire que le résultat final de cet exercice est toujours le même : la bicyclette est plus rapide que la voiture, et, selon les hypothèses, conduire est plus lent que marcher.

      http://www.les-crises.fr/le-despotisme-de-l-image

    • @odilon :

      Il avait calculé le temps de travail nécessaire à un ouvrier moyen pour s’acheter une voiture et les frais annexes et concluait qu’il préférait se lever moins tôt mais circuler à vélo.

      Ce serait pas « se lever plus tôt » non ? Ou alors il sous-entend qu’il faut travailler moins quitte à ne pas avoir de voiture ? Moi je veux bien mais quand on demande un temps partiel à un employeur on l’obtient rarement.

    • @alexcorp ce qu’il voulait dire c’est qu’il préférait travailler moins et se passer de voiture. Par rapport au temps de trajet, il y a beaucoup d’employés qui gagneraient du temps en prenant un vélo au lieu de rester coincés dans les embouteillages pendant les heures de pointe. Ensuite, oui, c’est un problème d’organisation du travail pour que les employés bosser à temps partiel.

    • @aude_v :

      mais comme tu ne bosses plus que 2/3 du temps (500 euros par mois en moyenne, une caisse) ou moins, tu libères du temps pour faire la grasse mat tous les jours.

      N’exagérons rien, j’ai une vieille voiture qui me coûte grand max 150 à 200€ par mois en comptant essence et réparations sur l’année.

      Par rapport au temps de trajet, mon dernier taf c’était 5 min en voiture, 20 min en vélo (avec grosse suée car la moitié de la route en pente) et à peu près idem en bus. Autant dire qu’il fallait quand même beaucoup de convictions pour le faire en vélo... C’est vrai que pour les grosses villes ça vaut souvent le coup le vélo, mais ailleurs c’est déjà plus délicat.

    • @aude_v merci !
      C’est un sujet auquel je ne m’intéresse que depuis peu et ces angles morts que tu cites sont vraiment à prendre en compte. Notamment la question étatiste.
      Sur la démocratie par liens locaux et spirales de dons je te suis tout à fait.
      Et je me note la réf du bouquin, merci aussi :-)

    • Une voiture, c’est 500 euros par mois en moyenne. Je trouve le chiffre effarant, c’est pas moi qui l’ai inventé !

      Si on achète une voiture neuve à 15000€, je veux bien te croire. Il est clair que beaucoup de gens mettent un fric monstre dans leur caisse. Mais si vraiment ma voiture me coûtait ce prix chaque mois, je ne pourrais plus que payer mon loyer sur le restant de mes pauvres 900€ mensuels et ensuite faire la manche pour bouffer. Je précise bien que je suis loin d’être pro bagnole à tout crin, j’ai vécu sans un bout de temps et ça se reproduira certainement mais en attendant, dans ma province un peu campagnarde, avoir une bagnole est aussi un sérieux atout pour trouver du boulot, voire pour y aller tout simplement.

    • @aude_v

      Ça passe par le rapport au territoire (« appréhendable », sensible, tiens c’est le sujet du prochain dossier) et par un redéploiement de la notion de responsabilité devant autrui.

      Oui je te suis à 100% là-dessus, ça me semble un truc tout à fait central. Il y a d’ailleurs eu une conf qui en causait un peu à Alternatiba.

      Il n’y a pas que Michéa qui en cause, je retrouve aussi cette idée chez Augustin Berque (son concept d’écoumène et ce qui tourne autour), et ça me semble aussi sous-jacent chez des mouvements comme reclaim the fields et tout ce qui tourne autour de la souveraineté alimentaire.
      Et sur la notion de responsabilité devant autrui, Simone Weil développe et intègre pas mal cette question (je trouve) à celle du rapport au milieu dans « L’Enracinement »

    • Il me semble avoir vu circuler des textes de Marcuse sur le regretté forum decroissance.info où était aussi @bug_in, mais j’avoue humblement qu’à l’époque ça m’avait semblé de prime abord un peu trop inaccessible.
      Comme on s’écarte un peu d’Illich (c’est de sa faute il nous emmène vers trop d’endroits à la fois) et comme ces éléments sur la théorie du don me rappellent quelques (vieilles) réflexions je poursuis ici : http://seenthis.net/messages/190256
      #logique_du_don

    • Merci pour toute ces incitations/reconnaissance (je suis sur-occupé ses derniers temps), bon, j’ai pas tout lu. Pour ce qui est de la théorie du don, je conseille la critique du don justement de Testart, parce que certain-e-s croient trop souvent a un aspect réciprocité obligatoire ou automatique, alors que... non.
      Par ailleurs, ça pose des problèmes aussi de pseudo-prostitution, par ex. dans un couple, une personne qui propose d’avoir des rapports intime qu’a condition que ceci-cela.
      Les propositions d’Illich sont tjs limité, comme nous l’avions critiqué a la rencontre de sortir de l’industrialisme entre autre, par un aspect que « culturel », qui dépasse le « sympa » gentil, mais n’a pas de moyen pratique d’application. C’est pour ça, entre autre, que j’ai rejoins des organisations politiques comme la CGA, parce que chercher des limites de seuil partout, et ne jamais pouvoir s’accorder clairement c’est un problème.
      Pour le livre d’Aurélien Berlan, je ne l’ai pas acheté et donc pas lu, parce que le peu que j’ai parcouru m’a semblé être une reprise de sa thèse ré-orienté grand public, mais sans trop de changement non plus, et du coup, c’était un peu trop indigeste pour mon petit cerveau.

    • @aude_v

      Je suis preneuse de retours.

      La discussion était bien, un peu trop survolante mais assumée comme telle, le projet est encore en construction. C’est pas si étatiste que ça dans ce qu’il en a présenté. En revanche les problèmes posés par l’organisation du travail actuelle ont été soulevés mais n’ont pas eu de réponse. Si tu auras l’occasion de le revoir sur Bordeaux et de lui en reparler il y aura peut-être réfléchi entre-temps.