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    Le texte de J.M. Keynes sur la nécessité d’une autosuffisance nationale se révèle d’une lecture étrangement actuelle et dérangeante. Aujourd’hui, comme en 1933, les raisons de mettre en doute le Libre-Échange s’accumulent. Les experts de la Banque Mondiale ont brutalement révisé à la baisse leurs estimations des “gains” d’une libéralisation du commerce international[1], alors même qu’ils sont calculés sans référence à de possibles coûts. Une étude de la CNUCED montre ainsi que le “cycle de Doha” de l’OMC pourrait coûter aux pays en voie de développement jusqu’à 60 milliards de dollars alors qu’il ne leur apporterait que 16 milliards de gains[2]. Loin de favoriser le développement, l’OMC pourrait bien contribuer à la pauvreté mondiale.

    Même les investissements directs étrangers, longtemps considérés comme la solution miracle du développement, sont aujourd’hui mis en cause[3]. La concurrence à laquelle se livrent nombre de pays pour tenter de les attirer a clairement des effets négatifs dans le domaine social et de la protection de l’environnement[4]. Dans ce cadre, les propos du Premier Ministre français, M. Dominique de Villepin sur le “patriotisme économique” durant l’hiver 2005-2006 n’apparaissent plus comme une aberration idéologique. Ils se révèlent en réalité étroitement proches de la pensée de Keynes en 1933.

    Le texte de Keynes doit se lire dans son contexte. Écrit dans les dernières semaines de 1932, situé entre deux ouvrages majeurs, le Treatise on Money et la General Theory, il correspond à un tournant dans la pensée de son auteur. On peut considérer que le Keynes des années 20, même s’il est parfaitement lucide quant aux limites de la théorie économique standard de son temps, en particulier en ce qui concerne la monnaie, reste un libéral[5]. Jusqu’aux désastreuses élections de 1924 qui voient l’effondrement du Parti Libéral il reste d’ailleurs affilié aux Whigs, dont il anime l’université d’été en 1923[6]. Son attachement au Libre-Échange est profond. Il n’entame une évolution intellectuelle radicale qu’à la fin des années 20, et cette dernière est loin d’être achevée en 1932-33. Par ailleurs, ce texte est destiné à une revue américaine, qui le publiera quelques mois seulement après la prise de fonction de F.D. Roosevelt. Keynes ainsi n’écrit pas seulement dans un moment de grand trouble économique et d’évolution personnelle. Il écrit aussi pour des lecteurs vivants au milieu d’une économie qui s’effondre, et qui doivent confronter leurs croyances les plus sacrées, en particulier dans les vertus du Libre-Échange, aux réalités tragiques de la Grande Dépression.

    L’argumentaire développé par Keynes mérite la plus grande attention. Il faut souligner qu’il ne discute pas simplement la question de protections tarifaires mais celle d’une autosuffisance nationale. De fait, on est ici aux limites de l’autarcie. Un second point important est que Keynes concentre son attention sur les mouvements de capitaux plus que ceux des biens. C’est par la question de l’internationalisation du capital qu’il aborde sa remise en cause de l’internationalisme économique. La démarche peut sembler étrange, car le protectionnisme est avant tout lié à la question des échanges de biens et services.

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