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Craignosse, les turlutosses !

  • Richard #Pinhas et Gilles #Deleuze, « Le voyageur »
    http://www.youtube.com/watch?v=rR6RbNrJ5Zo


    Qui est par­venu ne serait-ce que dans une cer­taine mesure à la liberté de la raison, ne peut rien se sentir d’autre sur terre que voya­geur. Pour un voyage tou­te­fois qui ne tend pas vers un but der­nier car il n’y en a pas. Mais enfin, il regar­dera les yeux ouverts à tout ce qui se passe en vérité dans le monde. Aussi ne devra-t-il pas atta­cher trop for­te­ment son cœur à rien de par­ti­cu­lier. Il faut qu’il y ait aussi en lui une part vaga­bonde dont le plai­sir soit dans le chan­ge­ment et le pas­sage. Sans doute, cet homme connaî­tra les nuits mau­vai­ses où pris de las­si­tude, il trou­vera fermée la porte de la ville qui devait lui offrir le repos. Peut être qu’en outre, comme en Orient, le désert s’étendra jusqu’à cette porte, que des bêtes de proie y feront enten­dre leur hur­le­ment, tantôt loin­tain, tantôt rap­pro­ché, qu’un vent vio­lent se lèvera, que des bri­gands lui déro­be­ront ses bêtes de somme. Alors, sans doute, la nuit ter­ri­fiante sera pour lui un autre désert, tom­bant sur le désert, et il se sen­tira le cœur las de tous les voya­ges. Dès que le soleil mati­nal se lève, ardent comme une divi­nité polaire, que la ville s’ouvre, il verra peut-être sur les visa­ges de ses habi­tants plus de désert encore, plus de saleté et de four­be­rie et d’insé­cu­rité que devant les portes. Et le jour, à quel­que chose près, sera pire que la nuit. Il se peut bien que tel soit à quel­que moment le sort du Voyageur. Mais pour le dédom­ma­ger vien­nent ensuite les matins déli­cieux d’autres contrées, nés des mys­tè­res du pre­mier matin. Il songe à ce qui peut donner au jour entre le 10e et le 12e coup de l’hor­loge, un visage si pur, si péné­tré de lumière, de sereine clarté qui le trans­fi­gure. Il cher­che la phi­lo­so­phie d’avant midi.
    #Nietzsche, Humain, trop humain , I (§ 638)
    #musique