Supergéante

Retoquée profesionnelle.

    • Oui, c’est comme le 11 septembre, on se souvient où on était à ce moment là. Moi, j’étais place de l’Odéon, nous étions planqué entre deux voitures. Ce meurtre a été « puni » par de la prison avec sursis...

    • @reka C’est curieux que tu dises cela, cette histoire de là où on était au moment où ... Parce que je suis justement en train de travailler à un texte à propos de ces moments, donc pour l’année 1986, on a l’assassinat de Malik Oussékine, dont je copie-colle l’extrait de mon brouillon à l’état actuel. J’ai bien dit brouillon .

      1986 : C’est sans doute à cette occasion que les choses se sont le plus touché. Depuis la rentrée tout se passait comme dans une fête. J’avais toujours voulu être là. Aux Arts Décos. Et c’est même à cette occasion, à ce moment précis, la première fois que je me suis senti parmi mes semblables. Tout était à la fois travail, apprentissage de nouvelles façons de procéder et de déconnades, de rire beaucoup, et puis il y avait cette jeune femme fascinante. Une manière de colonie de vacances à laquelle on allait tous les matins en prenant le métro. Le ventre vide parce que naturellement on n’avait pas fait les courses, on apprenait que les courses ne se faisaient pas toutes seules, ni la cuisine d’ailleurs, ni la lessive, ni le rangement et le ménage. Mais le désordre que cela faisait dans le petit appartement de l’avenue Daumesnil, on s’en moquait un peu, et on se disait que de toutes manières on était un artiste qu’on vivait dans un atelier et du coup cela ressemblait, toutes proportions mal gardées, à l’atelier d’un Frank Stella dans une chambre de 12 mètres carrés. Les actualités, on s’en moquait pas mal, il y avait bien quelques étudiants des années supérieures qui lisaient le journal, presque tous Libération, ce qui n’avait rien d’étonnant, c’était à l’époque le seul journal qui avait une maquette, et on était étudiant aux Arts Déco, donc on savait ces choses-là, des photographies qui ressemblaient à des photos, des extraits de bandes dessinées, du graphisme un peu, bref c’était raccord avec ce que l’on percevait en première année de l’atelier de graphisme, mais soi-même, non, on ne lisait pas le journal et on aurait eu bien de la difficulté à savoir exactement ce qu’il se passait dans le Monde à cette époque. On savait que le gouvernement de droite d’alors était un repère de gens pas recommandables, mais aurait-on su l’expliquer dans le détail, ce n’est pas sûr. La catastrophe nucléaire de Tchernobyl avait impressionné plus tôt dans l’année et avait été l’occasion d’une toute première œuvre finalement, le bombage par gabarit d’un dessin représentant un masque à gaz que l’on peignait donc sur les portes grises des locaux électriques. A distance, pas sûr qu’on ferait différemment aujourd’hui, mais peut-être de façon plus réfléchie, moins chanceuse dans la réussite du truc. Alors quand ceux qui lisaient les journaux sont venus trouver les autres pour leur expliquer qu’il fallait qu’on se mobilise contre les lois Devaquet Monory, ce serait faux de dire qu’il fallait y voir de l’engagement politique, mais au contraire une occasion supplémentaire de s’amuser et de participer aux travaux collectif de l’ADADA (Assocication Des Arts Décos Actifs, un truc du genre).

      Et on n’a pas donné sa part au chien. On était dans tous les ateliers à la fois, aux ateliers de sérigraphie jusqu’à pas d’heure pour tirer des centaines d’affiches sur des rouleaux de papier qui avaient été gracieusement offerts ou détournés par ou aux imprimeries de Libération, aux ateliers pour découper les pochoirs et dans l’opération commando pour repeindre entièrement la station de métro Bréguet-Sabin. Et même on s’était fait pincer par des flics en patrouille dans la rue d’Ulm, en train d’essayer la belle séquence du type qui lance un cocktail Molotov. Bref une ambiance admirable une joie sans mélange, une fête permanente, la jeune femme fascinante avait ouvert ses bras et bien plus, je pense que je n’ai jamais été aussi heureux de toute ma vie qu’au tout début décembre 1986.

      La jeune femme fascinante vivait dans l’atelier déserté de son père qui avait longtemps été l’assistant d’un touche à tout de génie, un artiste photographe, mais aussi graphiste et cinéaste qui s’appelait André Vigneau et c‘était dans cet atelier en duplex qu’André Vigneau avait travaillé et qu’il avait un jour reçu la visite d’un tout jeune homme, Robert Doisneau, auquel il avait appris la photographie, notamment dans un laboratoire-photo qui existait encore tel quel avec un agrandisseur antédiluvien mais à l’irréprochable optique Zeiss. L’atelier était au fond d’une cour, rue Monsieur le Prince dans le cœur même de Paris, nous allions aux Arts Déco à pied.

      Au cœur de cet enchaînement de manifestations étudiantes, il y avait le soir les affrontements traditionnels entre les forces de police et les étudiants et très franchement, cela ressemblait vraiment au maintien d’une tradition. Sauf que.

      Sauf qu’un soir, la droite est redevenue ce qu’elle a toujours été, un repère de bandits autoritaires, des types de droite, au sommet desquels de gros types avaient historiquement trempé dans toutes sortes d’affaires pas très recommandables, comme l’OAS en Algérie. Le gouvernement de droite était sur le reculoir, les manifestations du 2 décembre avaient réuni plus d’un million d’étudiants sur le parcours Bastille, place de la Concorde en passant par le boulevard Montparnasse. Des manifestations d’ampleur comparable avaient lieu tous les jours, le souvenir de l’humiliation de la droite en mai 68 n’était pas si lointain, on donna donc la troupe. La troupe ce furent les voltigeurs, couple de policiers à califourchon sur une moto, l’un conduit la moto, l’autre la matraque, la moto peut passer sur les trottoirs, un bon coup de matraque dans les jambes en passant et ça calme la jeunesse. Eparpillement panique des manifestants depuis le haut du Boulevard Saint-Michel, des étudiants prennent la fuite dans la descente de la rue Monsieur le Prince, l’un d’eux mendie au gros concierge portugais de pouvoir se réfugier dans la petit cour du 22 rue Monsieur le Prince. Mais le concierge n’obtempère pas et ne donne pas à l’étudiant le code, le 9573, le jeune homme prend d’autant plus la fuite qu’une moto fonce sur lui, le voltigeur à l’arrière le fauche, le jeune homme tombe au numéro suivant, au 20, il y a désormais une plaque qui porte son nom à cet endroit, le jeune homme s’appelait Malik Oussékine.

      C’est très étonnant à distance pour moi de remarquer que ce nom ne dit rien à personne, sauf justement aux étudiants de cette année-là qui eux se reconnaissent souvent dans ce nom là au point parfois d’exagérer un peu et de s’appeler la génération Malik Oussékine.

      La droite est dans l’impasse elle retire son projet de loi, mais le mal est fait, la génération Malik Oussékine a mal, très mal. Une immense manifestation est organisée qui prend son départ à Denfert Rochereau pour aller jusqu’à Nation. En tête de ce cortège immense, des étudiants des Arts Déco se couchent à terre et d’autres viennent faire le relevé de ce corps allongé, façon scène de crime, à la peinture blanche, puis l’étudiant couché se lève, fait une vingtaine de pas et se couche à nouveau pour laisser l’empreinte de son corps couché à même la chaussée. Dans mon souvenir il y a une demi-douzaine d’étudiants qui se couchent, je suis l’un d’eux. Ce protocole est amplement photographié et filmé, j’apprendrais des années plus tard que ma mère a connu bien de l’émotion en me reconnaissant allongé par terre et entouré d’un cerne de peinture blanche au journal télévisé du soir.

      A l’époque je n’avais même pas le téléphone.

      Il y a quelques années j’ai perdu dans l’inondation de mon atelier-garage l’unique photo que je possédais de cet événement et qui avait été prise par mon ami Patrick L., qui entamait sa carrière de photo-journaliste. Et pour laquelle je pense qu’il avait un réel talent, et dans laquelle je l’avais en quelque sorte lancé en lui apprenant les rudiments de la photo dans son sous-sol. Cette carrière prometteuse a été interrompue un mois plus tard, Patrick est mort d’une overdose. Il était mon premier mort.

    • Merci Philippe d’avoir partagé ce brouillon. A la lecture, ds bribes de souvenirs me reviennent, mais c’est flou...

      De la place de l’Odéon, je me souviens que nous étions plus ou moins bien planqué derrière une voiture, ou une camionnette, mais nous sommes partis ensuite en direction du Jardin du Luxembourg par la rue Rotrou, nous avons contourné le théatre et remonté la rue Médicis du côté des immeubles. Il faisait nuit, je me souviens que j’avais peur. Nous avons vu les voltigeurs descendre la rue Médicis, venir vers nous. Dans mon souvenir, celui qui était derrière était debout sur ses pédales matraque à la main. Il y a en avait une dizaine, ils sont passés sans même nous regarder, et roulaient vers le théatre de l’Odéon, et, je suppose, vers la rue de Vaugirard et la rue Monsieur-le-Prince (Malik - comme la rue avait été renommée le lendemain du meurtre. j’avais une photo de la plaque « renommée », je ne la retrouve plus).

      Il était très tard et il faisait froid.

    • Si on revient sur le terme « Bavure policière » : je ne sais pas trop quel est la définition précise du mot « bavure » dans ce contexte, mais il me semble que, comme en cartographie, les mots sont importants :

      Des policiers, frappe un homme désarmé, bloqué dans le hall d’un immeuble et qui ne les menace pas. On est au delà de la bavure.

      Sans préjuger de l’intention des flics, c’est-à-dire l’"intention" de donner la mort qui qualifierait cet acte en meurtre, ou juste « neutraliser » un « suspect qu’ils jugent dangereux », il n’y avait aucune raison de frapper puisque les flics n’étaient pas menacés. Ensuite, les ordres, la chaine de commandement qui a mené à cette tragédie n’a jamais été vraiment éclaircie. Et le verdict du procès - prison avec sursis - très clément au regard des responsabilités.

    • Où était-on le 11 septembre 2001 ?

      Dans la série des « je me souviens... » Je ne sais vraiment pas pourquoi, mais depuis 2001, j’ai gardé ce billet d’avion. Il traine toujours dans un casier près de mon bureau, un peu comme si je devais l’envoyer pour me faire rembourser !

      https://dl.dropbox.com/s/iy5id7d77j1a85v/septembre-2001.jpg

      En route pour Kiev et Kharkov, puis Odessa, petit périple au cous duquel je devis rencontrer ds universitaires et scientifiques ukrainiens dans le cadre de la production d’un « atlas environnemental de la Mer Noire ». Départ de Paris vers 10:00 du matin, quatre heures de vol, Aéroport de Kiev Borispol, le temps de récupérer armes et bagages et sortir de l’aérogare pour prendre ce fameux bus violet pour un voyage de huit heures vers Kharkov... A travers une Ukraine de paysages encore très soviétique.

      En passant rapidement devant un bar, juste avant l’arrêt du bus, je vois une télévision, un avion qui s’écrase contre un gratte-ciel et je pense tout de suite que c’est pas très malin de montrer des films catastrophe holliwoodien à la télé dans un aéroport juste avant que les gens n’embarque.

      Dans le bus, à un moment particulier les gens s’agitent, et lors des pauses, ils sortent et s’engagent dans des conversations animées, en faisant des grands gestes dont je suppose qu’ils représentaient les crashs. Mais je ne comprenait ni le russe, ni l’ukrainien et personne ne parlait anglais. Le vieux bus violet traçait sa route dans la nuit, passant sur les nids de poules dans en faisant à chaque fois un vacarme effrayant.

      Arrivée à Kharkov très tard dans la nuit, passage sur la grande place sur laquelle Lénine tendant tours le bras bien loin et bien haut, pour arriver dans un hôtel toujours très soviétique, mais équipé d’un télé... sur laquelle je découvrais, complètement effaré, les images du 11 septembre qui tournaient en boucle sur toutes les chaînes.

      Quelques semaine plus tard, j’étais en mission au Mali. Mes potes, là bas, à Bamako, racontaient que le 11 septembre, ça les a intéressé une heure ou deux, mais une fois l’info passée, ils se sont remis à un truc assez essentiel, chercher de quoi bouffer - se sentant assez moyennement concerné par l’événement. Ils avaient aussi une blague : ils me racontaient qu’en Afrique il se sentaient en totale sécurité de ce côté là, le 11 septembre étant totalement impossible à planifier avev un compagnie comme Air Afrique (disparue aujoud’hui) dont les avions avaient toujours plusieurs heures ou jours de retard, quand toutefois ils arrivaient !