• Critiques des machines
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    A propos de l’ouvrage de l’historien de François Jarrige, « Techno-critiques. Histoire des résistances au ’progrès’ technique’’ », La Découverte

    D’emblée, il en livre une vision débarrassée du clivage binaire entre technophobes et technophiles. « L’opposition au changement technique ne consiste pas dans un refus de la technique, elle vise à s’opposer à l’ordre social et politique que celui-ci véhicule ; plus qu’un refus du changement elle est une proposition pour une trajectoire alternative », écrit-il à l’orée de son ouvrage. Il serait possible, quoique l’auteur ne le fasse pas, de renverser la proposition. La technophilie apparente des puissants — dirigeants politiques et économiques — pourrait bien ne relever que du projet politique, économique voire financier que l’usage des techniques favorise et non d’un prétendu amour de la science ou des techniques. Alors que la technophilie de scientifiques et d’ingénieurs pourraient bien, elle, comporter une part décisive de sincérité. L’amour de la connaissance ou la fascination devant le pouvoir explicatif et opératoire des concepts des sciences de la matière et de la vie se muant en acceptation, voire en adoration sans nuance, de toutes les technologies qui ont pu en découler. L’utopie technologique, note Jarrige, frappe large, si nombre de scientifiques y succombent, les militants écologistes ne sont pas les derniers à s’illusionner devant panneaux solaires et éoliennes. Et Jean-Luc Mélenchon a le même problème avec la géothermie...

    La dernière période, depuis les années 1980, montre selon Jarrigue plusieurs modes d’approches critiques des technologies. Certaines, les « douces », visent une « régulation et une démocratisation » des choix techniques. Et d’autres, « radicales », affirment l’impossible « émancipation des hommes » avec les trajectoires technologiques actuelles. Les chercheurs en sciences humaines et sociales participent souvent aux premiers modes. Les tenants des seconds les accusant de se muer en « acceptologues » au service du projet technologique et politique des pouvoirs dominants. Jarrigue en fait une description précise et synthétique, très utile pour un lecteur néophyte en la matière.
    L’ouvrage permet d’ouvrir la réflexion sur le « non-usage » de technologies disponibles, premier pas vers la démocratisation des choix technologiques permettant de se débarrasser d’une approche fataliste pour qui toute technologie inventée doit être une technologie utilisée. L’histoire des techniques, montre t-il, est aussi celle de toutes ces technologies qui ont été abandonnées ou qui n’ont jamais été utilisées largement. Une manière de raconter l’histoire qui permet de prendre conscience de la possibilité de choix contre l’argument éculé de la fatalité et de l’univocité du développement des technologies.

    Toutefois, Jarrige ne dit rien de son autre volet, l’orientation de la recherche et des choix d’organisations sociales vers des technologies nouvelles, utiles voire indispensables à l’émancipation humaine. C’est là un trou noir de l’ouvrage, car il peut laisser croire que le seul choix possible en alternative à la course actuelle est celui du retour en arrière ou du non-usage. Or, c’est là courir un risque : promouvoir un statu quo technologique mortel pour cet objectif d’émancipation

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