• The sexual politics of genius — Moon Duchin / Dec 2004
    http://mduchin.math.tufts.edu/genius.pdf

    @isskein me fait découvrir la mathématicienne Moon Duchin, qui vient conférencer à l’IHP à Paris vendredi sur la géométrie algébrique ; ce qu’elle écrivait il y a dix ans sur la manière dont la statue du "génie" est édifiée par les biographes, et souvent les mathématiciens et physiciens eux-mêmes, est très fort [ elle indique quand même sur son site : “note : juvenilia ! Not that I hate it.” ].

    Son site : http://mduchin.math.tufts.edu

    Et donc cet article, qui traite de l’éviction des femmes de l’histoire des génies : en fait, les femmes peuvent être géniales à condition qu’elles ne soient pas féminines, autant dire des hommes, et qu’elles soient validées par des hommes...

    Du coup quand on fait des listes de "grands mathématiciens" il y a rarement une mathématicienne dans le lot, ou alors une hommasse dont le caractère asexué ou les traits masculins sont bien mis en évidence (elle jure, elle a plusieurs amants, etc) ; ou alors, si elle est jolie et comme il faut, c’est en fait une élève d’un Grand Maître. De son côté, le physicien libidineux, lui, il en a, c’est pas pareil. Quand un physicien-génie est loué pour s’être rendu au chevet de sa femme physicienne malade une fois tous les 15 jours, on évoque à peine la physicienne qui a sacrifié sa carrière pour s’occuper de son mari-génie malade et de leurs enfants.

    L’article va au-delà de la question femmes&sciences, et offre une vraie analyse de la construction de la notion de "génie".

    Notamment :
    le génie est congénital, il ne s’acquière pas (pas besoin d’avoir des profs !) — on passera donc sous silence par exemple, le fait que Hermite et Galois aient eu le même prof, ou plutôt, c’est une anecdote sans intérêt.
    Le génie est évident, et donc le génie finira quoi qu’il arrive par être reconnu (pas besoin de faire l’effort d’aller vers des gens qui ne sont pas riches, blancs, occidentaux et hommes : la preuve, on a trouvé Ramanujan au fin fond de son trou paumé en Inde)
    Le génie se vit dans la solitude créative (pas besoin de collaborations, l’histoire des sciences est une succession d’"Eureka", la preuve Andrew Wiles a démontré tout seul le théorème de Fermat)
    Le génie est "géniteur", "séminal", masculin, donc...
    Le génie est hors-sol : tu peux être un gros connard qui s’essuie les pieds sur tout le monde (y compris et surtout ta famille), tant que tu as ton nom sur l’équation c’est tout bon.
    Le génie est jeune, surtout les Médailles Fields ; qu’un vieux de plus de 30 ans veuille s’intéresser aux maths, tu peux le dégoûter d’entrée de jeu… c’est prouvé qu’il ne trouvera jamais rien (en tout cas rien de "génial").

    Ce que montre l’article c’est comment ces raisonnements circulaires s’appliquent et se valident eux-mêmes au fil du temps. Avec comme conséquences le rejet de toutes les personnes non conformes à l’idéal-type, et la promotion à l’inverse des personnes conformes.

    In the old debates on evolutionary theory, the appeal to complex design was a favorite argument of creationists. Consider the eye, they entreated—an unimaginably complicated organ whose intricate design is appropriate for a seemingly irreducible purpose: vision. How could the eye possibly have evolved bit by bit, gradually improving towards its ultimate function? This implausibility becomes a persuasive argument for the role of divine creation of living organisms.

    Similarly, some works are of such profound originality and power that they emerge like an eyeball fully formed; an explanation no less holy seems to be demanded. How could the theory of gravitation be developed piecemeal, or the notion that infinities come in different rigorously definable sizes, or the idea that time runs slow from the perspective of a speeding body? The simplest explanation is that it is the insight, the ‘Eureka!’, of one agent with a direct tie to God.

    Le génie est un lien direct avec l’inspiration divine et oui : Eureka = "épiphanie", le mot qu’emploie tout startupeur qui a eu une idée en se rasant (non mesdames, s’épiler ne compte pas)

    (...)

    The subjects [of Genius stories] are often treated like the hero-architects in #Ayn_Rand novels—visionaries whose superiority is written on their entire lives, so that any who stand in their way are bitterly disappointed and self-loathing rivals or the committed enemies of truth and beauty.

    (...)

    “The mathematical life of a mathematician is short. Work rarely improves after the age of 25 or 30. If little has been accomplished by then, little will ever be accomplished. If greatness has been attained, good work may continue to appear, but the level of accomplishment will fall with each decade.”
    This youth fetish is concretely inscribed in mathematics by the means of its greatest prestige, the Fields Medal (...) The elite Bourbaki, too, had a formal enactment of the narrative preference for youth: one was compelled to leave the society on the occasion of turning fifty

    (...)

    the extremely broadly accepted idea that genius is not teachable (...) in combination with the premise that genius is unmistakable, its unteachability becomes a powerful justification for the insularity of intellectual society, since outreach and training become irrelevant

    (prochainement dans @vacarme me dit @isskein ; on attend ça avec impatience)

    #génie #mathématiques #biographie