diffractions

Un journal sur le net

  • Peut-on encore défendre la #démocratie ?
    http://diffractions.info/2014-05-17-peut-on-encore-defendre-la-democratie

    L’intitulé à ce texte n’étonnera que ceux qui sont sous l’emprise totale du discours dominant pour lequel le terme de démocratie est « l’emblème » de la société #politique contemporaine et qui,...

    #philosophie #citoyen #citoyenneté #Cornelius_Castoriadis #démocratie_radicale

    • Précisons qu’un tel mouvement ne conduit nullement à considérer l’expérience démocratique grecque comme un modèle. Castoriadis la voit comme un germe, insistant sur « le processus historique instituant » qu’elle représente : « l’activité et la lutte qui se développent autour du changement des institutions, l’auto-institution explicite (même si elle reste partielle) en tant que processus permanent » se poursuit sur près de quatre siècles 13. Ainsi le pouvoir (kratos) était-il entre les mains du dèmos, du peuple, compris maintenant comme l’ensemble des citoyens 14. Ce qui ressort de la considération de cette première expérience historique d’organisation démocratique, c’est bien qu’elle manifeste la volonté d’autonomie politique puisque tout est fait pour que le peuple soit effectivement en mesure de gouverner 15. On peut parler de démocratie directe, dont trois aspects, qui sont autant de refus, doivent retenir l’attention.

      Il y a tout d’abord le refus de la représentation. C’est là une caractéristique essentielle de l’autonomie de la Cité qui « ne souffre guère la discussion » 16. Sur ce point, Castoriadis suit clairement Rousseau dont il cite souvent le célèbre passage du livre trois du Contrat social brocardant les anglais et que l’on peut considérer comme matrice de toute critique de la représentation politique 17 : « La “représentation” est, inévitablement, dans le concept comme dans les faits, aliénation (au sens juridique du terme : transfert de propriété) de la souveraineté, des “représentés” vers les “représentants” » 18. Il est certes évident que le peuple comme tel ne peut être consulté chaque fois qu’une décision le concernant doit être prise ou même simplement débattue, et que l’on ne saurait se passer de délégués ou de “représentants”. Mais, dans la mesure où, comme le remarque Bourdieu, « l’usurpation est à l’état potentiel dans la délégation » 19, il convient de poser en principe la révocabilité ad nutum, sans quoi la représentation revient à se lier les mains. Autrement dit il s’agit d’éviter qu’il ait permanence, même temporaire, de la représentation dans la mesure où alors « l’autorité, l’activité et l’initiative politiques sont enlevées au corps des citoyens » 20.

      Le deuxième principe fondamental de la démocratie directe est le refus de l’expertise politique. « L’expertise, la technè au sens strict, est liée à une activité “technique” spécifique, et est reconnue dans son domaine propre », si bien qu’il ne saurait y avoir d’experts politiques : « l’idée dominante qu’il existe des “experts en politique”, c’est-à-dire des spécialistes de l’universel et des techniciens de la totalité, tourne en dérision l’idée même de démocratie » 21. Position qu’il faut rapporter à un principe central chez les Grecs qui veut que le bon juge du spécialiste n’est pas un autre spécialiste mais l’utilisateur : ce n’est pas le forgeron qui peut juger de la qualité d’une épée, par exemple, mais le guerrier. Pour ce qui est des affaires publiques, le peuple seul peut juger 22.

      Le troisième et dernier principe à retenir est le refus d’un État compris comme instance séparée de la société. Non seulement « la polis grecque n’est pas un “État” au sens moderne du terme », note Castoriadis, « mais le mot d’“État” n’existe pas en grec ancien ». Aussi peut-on comprendre que cette idée « d’une institution distincte et séparée du corps des citoyens eût été incompréhensible pour un Grec » 23. Et s’il va de soi que la communauté politique en tant que telle existe hors de la présence concrète et effective de ses membres, que « par exemple, les traités sont honorés indépendamment de leur ancienneté, la responsabilité pour les actes passés est acceptée, etc. », cette “personne morale” n’est pas à comprendre comme un État. De même s’il existe une administration – « mécanisme technico-administratif » comme dit Castoriadis –, elle ne saurait être comprise comme « appareil d’État » 24. Précisons avec Castoriadis que l’abolition de l’État ne représente nullement la suppression du pouvoir : « L’État est une création historique que nous pouvons dater et localiser : Mésopotamie, Est et Sud-Est asiatiques, Méso-Amérique précolombienne. Une société sans un tel État est possible, concevable, souhaitable. Mais une société sans institutions explicites de pouvoir est une absurdité, dans laquelle sont tombés aussi bien Marx que l’anarchisme », assure-t-il avec force et constance 25.