• RAGEMAG | Comment l’ennui engendre la haine, par Pier Paolo #Pasolini - RAGEMAG
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    Que s’est-il passé dans le monde, après la guerre et l’après-guerre ? La normalité.

    La #normalité, parlons-en. Dans l’état de normalité, on ne regarde pas autour de soi : tout, autour, se présente comme « normal », privé de l’excitation et de l’émotion des années d’urgence. L’homme tend à s’endormir dans sa propre normalité, il oublie de se penser, il perd l’habitude de se juger, il ne sait plus se demander qui il est.

    C’est alors qu’il faut créer, artificiellement, l’état d’urgence : ce sont les poètes qui s’en chargent. Les poètes, ces éternels indignés, ces champions de la rage intellectuelle, de la furia philosophique. Des événements ont marqué la fin de l’après-guerre : disons, pour l’Italie, la mort de De Gasperi. La rage commence là, avec ces funérailles, grandes, grises.

    L’homme d’état antifasciste et reconstructeur a « disparu » : l’Italie se conforme au deuil de la disparition, et s’apprête, donc, à retrouver la normalité des temps de paix, de vraie, d’oublieuse paix. Quelqu’un, le poète, au contraire, se refuse à cette adaptation.

    « Les poètes, ces éternels indignés, ces champions de la rage intellectuelle, de la furia philosophique. »
    Il observe avec détachement – le détachement du mécontentement, de la rage – les derniers actes de l’après-guerre : le retour des dentiers prisonniers, souvenez-vous, dans des trains sordides, le retour des cendres des morts… Et… le ministre Pella qui, triomphalement, scelle la volonté de l’Italie de participer à l’Europe Unie. C’est ainsi que recommence, dans la paix, le mécanisme des rapports internationaux. Les cabinets succèdent aux cabinets, les aéroports sont un continuel va-et-vient de ministres, d’ambassadeurs, de plénipotentiaires, qui descendent des passerelles d’avion, sourient, disent des mots vides, stupides, vains, menteurs...