• Annie Collovald , Le « Populisme du FN ». Un dangereux contresens , Editions du Croquant
    http://www.cairn.info/revue-mouvements-2006-1-page-165.htm

    " Le Front national, soutiennent certains historiens, ne serait pas vraiment « fasciste » : il serait l’incarnation d’une « droite populaire autoritaire » qui aurait autrefois pris les traits du boulangisme et du poujadisme. De là à considérer que le danger ne vient pas des dirigeants de ce parti mais d’un peuple qui serait par nature xénophobe et raciste, il n’y a qu’un pas.

    « Quand on veut tuer son chien, on l’accuse d’avoir la rage » , dit le dicton. Quand on n’aime pas le peuple, explique Annie Collovald, on l’accuse de pervertir la démocratie. Les groupes populaires, nous dit-on, sont fascinés par l’autorité et aisément séduits par les démagogues. Ils votent mal : ils « protestent » plus qu’ils n’opinent et se laissent tenter par les « extrêmes ». Le Front national, « populiste », serait né de « trop de démocratie ». La solution est simple : il suffirait d’ôter au peuple ce pouvoir qu’il utilise si mal et de confier à d’autres, plus clairvoyants et plus raisonnables, le soin de décider à sa place. L’idée, teintée de mépris social, séduit aujourd’hui de plus en plus d’experts autoproclamés, prompts à dénoncer les comportements politiques des classes populaires et à en appeler à l’instauration d’une démocratie d’opinion. Annie Collovald a mené l’enquête pour comprendre comment l’idée selon laquelle le FN est un parti populaire a pu s’imposer aussi facilement. Elle a aussi interrogé le succès intellectuel et politique des diagnostics posés par les docteurs ès « malaise démocratique ». Ce travail, impressionnant par l’ampleur des sources mobilisées (historiographiques, philosophiques, sociologiques…) et la pertinence de ses questionnements, est aussi, à sa manière, une leçon de démocratie."

    « Le peuple , explique Annie Collovald, [devient ainsi] plus un problème à résoudre qu’une cause à défendre. » Qui me fait penser au rapport Terra Nova et son appel à l’abandon des classes populairs :
    "Mais l’exercice du pouvoir, à partir de 1981, oblige la gauche à un réalisme qui déçoit les attentes du monde ouvrier. Du tournant de la rigueur en 1983 jusqu’à « l’Etat ne peut pas tout » de Lionel Jospin en 2001, le politique apparaît impuissant à répondre à ses aspirations. Les déterminants économiques perdent de leur prégnance dans le vote ouvrier et ce sont les déterminants culturels, renforcés par la crise économique, « hystérisés » par l’extrême droite, qui deviennent prééminents dans les choix de vote et expliquent le basculement vers le Front national et la droite.

    La nouvelle coalition de la gauche n’a plus rien à voir avec la coalition historique : seuls les jeunes appartiennent aux deux. L’identité de la coalition historique était à trouver dans la logique de classe, la recomposition en cours se structure autour du rapport à l’avenir. La nouvelle gauche a le visage de la France de demain : plus jeune, plus féminin, plus divers, plus diplômé, mais aussi plus urbain et moins catholique . Elle est en phase avec la gauche politique sur l’ensemble de ses valeurs.

    L’électorat intermédiaire est divisé sur les valeurs : une partie le rattache à la gauche, l’autre à la droite. La grille de lecture pertinente oppose classes populaires et classes moyennes. Les classes populaires (ouvriers et employés) ont des valeurs socioéconomiques qui les rattachent à la gauche (Etat fort et protecteur, services publics, sécurité sociale) et des valeurs culturelles conservatrices (ordre et sécurité, refus de l’immigration et de l’islam, rejet de l’Europe, défense des traditions…). La division est inversée pour les classes moyennes (professions intermédiaires et classes moyennes supérieures) : des valeurs culturelles de gauche mais des valeurs socioéconomiques de droite.

    Il n’est pas possible aujourd’hui pour la gauche de chercher à restaurer sa coalition historique de classe : la classe ouvrière n’est plus le cœur du vote de gauche, elle n’est plus en phase avec l’ensemble de ses valeurs, elle ne peut plus être comme elle l’a été le moteur entraînant la constitution de la majorité électorale de la gauche. La volonté pour la gauche de mettre en œuvre une stratégie de classe autour de la classe ouvrière, et plus globalement des classes populaires, nécessiterait de renoncer à ses valeurs culturelles, c’est-à-dire de rompre avec la social-démocratie."

    La lepénisation des esprits
    Retour sur une histoire qui ne finit jamais.

    http://lmsi.net/La-lepenisation-des-esprits
    par Pierre Tevanian, Sylvie Tissot

    Le texte qui suit revient sur trente ans de lepénisation, qui ont abouti, cette année à une nouvelle percée du Front national – et sur cette notion de lepénisation qui, pour analyser la vie politique française, n’a hélas pas fini de servir.

    "une explication semble s’être s’imposée : le racisme se nourrit des effets de la crise économique - chômage, précarité, détérioration des liens sociaux et des conditions de vie dans les quartiers populaires. Une explication insuffisante, voire pernicieuse, que le concept de "lepénisation" permet de contester"
    #lepenisation_des_esprit #classe_ouvrière #démocratie_d'opinion #social_traitre #ps

    Jacques Ranciere, La haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005
    http://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2006-1-page-129.htm
    "« si la science n’arrive pas à imposer sa légitimité, c’est en raison de l’ignorance. Si le progrès ne progresse pas, c’est en raison des retardataires. Un même mot, psalmodié par tous les clercs, résume cette explication : populisme ».

    Reprenant à la racine (étymologique) cet épisode qui a été ressenti par les « élites » comme une apocalypse, c’est-à-dire comme un révélateur, Jacques Rancière s’engage dans l’étude des soubresauts tragi-comiques de l’intelligentsia « républicaine » française des vingt dernières années. Il y met en lumière la présence d’une « haine de la démocratie » qui se résume à un mot d’ordre simple : « il n’y a qu’une seule bonne démocratie, celle qui réprime la catastrophe de la civilisation démocratique »."