James

Lit des bédés, chronique des chansons et met des noms sur la tête des gens

  • Le Smiley (Culture Pop’/Rubis sur l’Onde/Radio Prun)

    http://james.at.rezo.net/RSO/Le%20Smiley.mp3

    « Il faut toujours sourire quand on ne sait pas. Cela ne vous rend pas plus intelligente, mais c’est plus agréable pour ceux qui vous regardent. »

    Est-ce que vous savez d’où vient cette phrase ? Du film Nikita, écrit par Luc Besson en 1990.

    « Ouah, l’autre, il cite du Luc Besson ! »

    Ben oui, faut bien commencer par quelque chose. On se l’écoute dans sa version originale, c’est Jeanne Moreau qui nous l’explique : (...). C’est quand même plus classe.

    « Il faut toujours sourire quand on ne sait pas. » En voilà un bon conseil ! Tu ne sais rien faire ? Tu n’as pas de culture ? Tu ne sais pas quoi dire pour avoir l’air malin ? Tu cites du Luc Besson parce que tu n’as pas lu Bergson ? Souris !

    Le sourire, c’est important. Les animaux, enfin certains animaux, le savent. Chez les mammifères, pour commencer, le sourire sert à montrer qu’on a peur. Chez nos lointains cousins les singes, montrer les dents de la mâchoire supérieure marque l’intention de ne pas mordre. Chez les humains, un léger relèvement des commissures des lèvres vers le haut exprime généralement un témoignage de sympathie. Même nos ancêtres de l’époque préhistorique l’avaient compris. On trouve, dans certaines grottes, des traces, au sens propre, de figuration de sourires, déjà le sens de l’abstrait. Un des plus vieux masques, vieux de 9000 ans, exprime un sourire. Il est tout simple : 2 trous pour les yeux, une fente en forme de banane pour la bouche. On peut le voir dans un musée à Paris.

    Tiens, d’ailleurs, quand on y pense, un sourire, il n’y a rien de plus facile à dessiner : Avec un seul de tes doigts, tu fais trois traces dans le sable : 2 points, une courbe en dessous et tu exprimes une émotion, te voilà artiste, mieux que les australopithèques, mieux que Lucy.

    Au final, quand on y re-pense, dessiner deux points et une courbe, on fait ça depuis des siècles en trois gestes. La révolution qu’a été l’invention de l’imprimerie a fait de nous des paresseux, puisque grâce à Gutenberg, on peut faire ça en deux coups de tampons, aujourd’hui avec deux touches de clavier : un double-point, une parenthèse. Oui, je parle bien d’un smiley.

    Dans l’état actuel de nos recherches, on pense avoir trouvé le plus vieux smiley typographié dans un poème anglais du milieu du 17e siècle. Mais on a un doute, on ne sait pas si c’est volontaire ou s’il s’agit d’une coquille d’impression. Au 19e siècle, Marcellin Jobard, lithographe de son état, pour combler, selon ses dires, des lacunes de la typographie, utilise une association de caractères très élaborée pour figurer l’ironie dans un journal belge. Le visage tout rond apparaît ensuite au 20e siècle, il devient jaune dans les années 60 puis se démocratise. Une crapule opportuniste dépose une marque commerciale en 1972 pour le très spécifique truc jaune et souriant, ainsi que le mot « Smiley » lui-même. C’est finalement en 1982 que la proposition d’un universitaire est adoptée par la communauté des utilisateurs de l’Internet (parce que oui, Internet existait déjà en 1982, mais j’en parlerai peut-être une autre fois). Un petit tiret supplémentaire entre le double-point et la parenthèse débride l’imagination des Internautes et on commence à produire des suites de caractères pour exprimer, à distance, en mode texte, tout un panel d’émotions allant de l’hilarité à la colère en passant par la peine et l’étonnement. Quand les machines évolueront et que les terminaux informatiques deviendront graphiques, les programmes transformeront en image rigolote et parfois animée ce qu’on appellera de préférence « émoticône » pour ne pas abuser d’une marque commerciale déposée.

    Aujourd’hui, tout le monde comprend et utilise, librement, les émoticônes. Ce n’est donc pas étonnant que le Smiley soit considéré comme partie intégrante de la culture populaire. C’est une invention qui s’est propagée et enrichie avec le temps, par ses utilisateurs. Aucune compagnie financière n’a procédé à la banalisation d’un produit, aucune élite intellectuelle n’a conservé pour elle un mode de communication simple, transgénérationnel et international. Une parfaite illustration de la culture pop’.

    Alors, si un jour, chères auditrices, chers auditeurs, vous séchez comme des lamentables dans un diner mondain parce qu’on vous pose une colle et que vous ne savez pas quoi répondre, commencez par sourire. Ensuite, cherchez ce que la culture populaire nous enseigne. Au mieux, rappelez-vous ma petite histoire, au pire, citez du Luc Besson ! :-)

    #audio #son #shameless_autopromo