• Administration : silence vaut approbation sauf... dans la majorité des cas
    http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/11/12/administration-silence-vaut-approbation-sauf-dans-la-majorite-des-cas_452111

    Le principe « silence vaut accord », l’un des volets de la loi visant à simplifier les relations entre l’#administration et les citoyens, publié au Journal officiel du 13 novembre 2013, entre en vigueur ce mercredi 12 novembre pour l’#Etat et ses établissements publics. Il faudra attendre un an de plus pour qu’elle s’applique aux collectivités territoriales et aux organismes de #sécurité_sociale.
    C’est un renversement de logique par rapport au principe qui prévalait jusqu’alors : « silence vaut rejet. »

    Ce que dit la loi :

    « Le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation. »

    Plus d’exceptions que de règles
    D’emblée, la règle est restreinte ; il ne s’agit pas d’un principe général.

    1 200 procédures seront éligibles, comme l’inscription en première année de fac, les permis de construire ou encore l’homologation des ruptures conventionnelles, explique le gouvernement.

    La liste regroupant les #démarches facilitées (consultable ici en format .PDF) ne représente toutefois qu’un tiers des 3 600 procédures d’autorisations administratives prévues par la loi.

    De plus, même pour les procédures concernées par la simplification, la loi comporte des exceptions touchant à la forme des requêtes :

    S’il manque des pièces justificatives (le délai ne court qu’à réception de l’ensemble du dossier) ;
    Lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère d’une décision individuelle ;
    Lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif ;
    Si la demande présente un caractère financier ;
    ...

    Plus précis que Le Monde (l’article est ici in extenso car il n’est pas accessible en ligne) :

    La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 45, 10 Novembre 2014

    La nouvelle règle « le silence vaut acceptation » si rarement applicable
    Commentaire par Jean-Philippe Derosier
    professeur des universités à l’université de Rouen
    directeur de l’École doctorale Droit Normandie

    Dans le cadre du choc de simplification voulu par le président de la République, une nouvelle règle va gouverner les rapports entre l’administration et les administrés : le silence gardé pendant deux mois vaudra désormais acception. Cette règle entre en vigueur le 12 novembre 2014, pour l’administration de l’État et les établissements publics administratifs de l’État. Ce nouveau principe va connaître un nombre considérable d’exceptions, certaines étant prévues par la loi elle-même, d’autres par ses décrets d’application, particulièrement nombreux . Cela fait ainsi de cette révolution pourtant ambitieuse, une révolution profondément fastidieuse.

    Note :
    Silence ! L’administration décide... La règle de la décision administrative par effet de silence de l’administration est très ancienne, le principe étant que le silence gardé pendant deux mois vaut rejet de la demande formulée par l’administré. C’est un décret du 2 novembre 1864 qui l’avait introduite à l’égard des ministres statuant « sur un recours pour excès de pouvoir contre les décisions d’autorités qui leur sont subordonnées » (art. 7, on était encore sous l’empire du ministre-juge), avant que la loi du 7 juillet 1900 ne l’élargisse à toutes les décisions administratives (art. 3). La décision implicite de rejet était alors acquise après un délai de quatre mois. Cette règle a été reprise dans la loi du 7 juin 1956, relative aux délais de recours contentieux en matière administrative (art. 1er), puis par le décret du 11 janvier 1965. Le Conseil constitutionnel l’avait reconnue en tant que « principe général de notre droit » (décision n° 69-55 L du 26 juin 1969), tandis que « le Conseil d’État devait en juger autrement dès l’année suivante, de façon implicite mais certaine » (René Chapus, Droit administratif général, tome 1, LGDJ, Paris, 15e éd., 2001, n° 137). C’est enfin la loi du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (L. n° 2000-321 : Journal Officiel 13 Avril 2000) qui a confirmé ce principe, en réduisant le délai de silence de quatre à deux mois (art. 21).

    Ce principe est en train de subir une « forme de révolution ». Selon la volonté du président de la République, formulée lors de sa conférence de presse du 16 mai 2013 et sous couvert de simplification des « relations entre l’administration et les citoyens », une #loi du 12 novembre 2013 (L. n° 2013-1005, habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens : Journal Officiel 13 Novembre 2013) est venue réécrire l’article 21 de la loi du 12 avril 2000. Ce dernier dispose désormais en son « I » que « le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation » . Au principe selon lequel, en droit administratif, « qui ne dit mot, refuse », on substitue le principe, plus commun dans la vie courante, « qui ne dit mot, consent ».

    Cette règle nouvelle entre en vigueur à compter du 12 novembre 2014, pour les actes relevant des services de l’État (compétence des administrations de l’État ou des établissements publics administratifs de l’État) et un an plus tard, à compter du 12 novembre 2015, pour les services des autres administrations (pour les actes pris par les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ainsi que pour ceux des organismes de sécurité sociale et des autres organismes chargés de la gestion d’un service public administratif). Il s’agit incontestablement d’une révolution et même d’une révolution ambitieuse (1). Le résultat sera-t-il pour autant à la hauteur de l’ambition ? C’est peu probable et l’on risque plutôt d’assister à une révolution fastidieuse (2).

    1. Une révolution ambitieuse

    La remise en cause d’une règle vieille de presque un siècle et demi est, à elle seule, ambitieuse. À cela s’ajoute, en l’espèce, la volonté de créer une situation soi-disant plus favorable aux administrés, dès lors que l’inaction de l’administration emportera satisfaction de leur demande. C’est pourquoi, il n’est pas inutile de formuler deux remarques liminaires. D’abord, cette modification essentielle de notre droit administratif s’inscrit dans une démarche de simplification, ce qui sous-entend que la situation juridique antérieure devrait être complexe ou, à tout le moins, plus complexe que la situation juridique nouvelle. Or, cette règle ancienne avait, semble-t-il, produit bon nombre de résultats satisfaisants, tant en matière de réactivité de l’administration que de satisfaction des attentes des administrés. Ensuite, cette modification a été introduite par voie d’amendement présenté par le Gouvernement au Sénat, si bien que la nouvelle mesure n’a pas pu bénéficier de l’expertise du Conseil d’État à travers l’avis préalable au passage en Conseil des ministres ni de l’étude d’impact accompagnant tout projet de loi. Ces deux analyses administratives auraient pourtant été grandement utiles afin d’apprécier la portée réelle de la simplification attendue (par et pour l’administration) et les conséquences de cette révolution à l’égard des administrés et, surtout, de l’administration.

    La règle paraît simple, réformatrice et progressiste, il faut l’admettre. Tellement, qu’elle en devient démagogique (Bertrand Seiller, Quand les exceptions infirment (heureusement) la règle : le sens du silence de l’administration : RFD adm. 2014, p. 35). Elle est, toutefois, assortie de cinq cas d’exception , ce qui n’est pas exceptionnel, en droit, mais ces derniers sont, à eux seuls, tellement larges qu’ils permettent d’exclure de très nombreuses hypothèses . Ainsi, seules les demandes tendant à l’adoption d’une décision individuelle sont concernées par cette réforme, ce qui exclut donc toutes les demandes afférentes à des actes réglementaires, notamment (art. 21, I, 1°). Cependant, ces décisions individuelles ne sauraient concerner les relations entre l’administration et ses agents, celles-ci étant également exclues du champ d’application de la règle « silence vaut accord » (art. 21, I, 5°) : toutes les demandes s’inscrivant dans le champ de la fonction publique continueront donc à être régies par la règle précédente du rejet implicite. De même, cette nouvelle règle de l’accord implicite ne s’applique qu’à l’égard des demandes s’inscrivant dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire (art. 21, I, 2°), mais toute demande présentant le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif en est exclue . Enfin, cette règle nouvelle ne s’applique toujours pas si la demande présente un caractère financier , sauf dans les cas prévus par décrets, en matière de sécurité sociale (art. 21, I, 3°).

    Pour résumer ces quatre premiers cas d’exception, pour que la règle du « silence vaut accord » s’applique à une demande formulée à l’administration, il faut qu’elle concerne :
    – a) une décision individuelle ;
    – b) de quelqu’un qui n’est pas un agent s’adressant à son administration ;
    – c) qu’elle s’inscrive dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ;
    – d) mais qui n’ait pas le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif ;
    – e) et qu’elle ne présente pas un caractère financier, sauf si elle relève de la sécurité sociale et que le cas est prévu par décret.

    À ne se limiter qu’à ces seuls cas d’exception, on peut déjà noter que les hypothèses où la règle du silence vaut accord s’applique sont relativement restreintes.
    Les restrictions se poursuivent par deux dispositions tiroirs à l’effet dévastateur. Il est ainsi possible de prévoir, par décrets en Conseil d’État, que la nouvelle règle ne s’applique pas et que, par conséquent, le silence vaut rejet soit lorsqu’« une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l’ordre public » (art. 21, I, 4°), soit, tout simplement et généralement, « eu égard à l’objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration » . Ces nouvelles hypothèses d’exception possibles sont vastes et vagues... et il n’est donc point surprenant que le Gouvernement ait adopté, en Conseil des ministres le 23 octobre 2014, plus de quarante décrets d’application !

    Le nombre des exceptions au principe transforme ce dernier en principe exceptionnel
    Une révolution décidément ambitieuse qui, afin de simplifier, augmente en réalité le nombre de textes applicables et se transforme ainsi en révolution fastidieuse.

    2. Une révolution fastidieuse
    À peine entamée, la révolution annoncée est déjà écornée... la voilà donc fastidieuse, peinant à produire les résultats attendus, à triple titre : elle n’est que peu, voire pas, lisible, elle n’a que peu, voire pas, d’effets, elle n’est que peu, voire pas, utile.

    L’illisibilité était déjà dénoncée lors de l’entrée en vigueur de la loi, dont on a pu décrier le manque d’intelligibilité et d’accessibilité (Bertrand Seiller, Quand les exceptions infirment (heureusement) la règle, préc.). En effet, comprendre le sens exact des diverses exceptions relèvent d’une véritable prouesse technique : elles sont formulées tantôt de façon négative, tantôt de façon affirmative (art. 21, I, 2°), elles contiennent elles-mêmes des exceptions (art. 21, I, 3°), elles sont parfois très indéterminées (hypothèse du caractère financier, étant donné que de très nombreuses décisions peuvent avoir un impact financier sans avoir un caractère expressément financier). L’illisibilité est désormais confirmée avec l’entrée en vigueur (à ce jour) de quarante-deux décrets d’application, éparpillant le nombre d’exceptions au point d’en rendre la recherche, l’identification et, donc, la lecture particulièrement délicates. C’est d’autant plus le cas que ces décrets sont très hétérogènes : certains ne contiennent que quelques exceptions (quatre ou cinq, comme D. n° 2014-1267 ou D. n° 2014-1306 : Journal Officiel 1er Novembre 2014 et 18445), voire une seule (D. n° 2014-1268 : Journal Officiel 1er Novembre 2014), tandis que d’autres en contiennent plus d’une centaine (119 pour D. n° 2014-1277 : Journal Officiel 1er Novembre 2014), voire presque deux cents (199 pour D. n° 2014-1280 : Journal Officiel 1er Novembre 2014) ou même 235, le record (D. n° 2014-1273 : Journal Officiel 1er Novembre 2014). Il faut également prendre garde à les lire les uns après les autres car tous se suivent... mais ne se ressemblent pas, puisque certains ne prévoient pas de dérogations au principe du silence vaut acceptation, mais des dérogations au délai de la règle des deux mois pour l’acception implicite (il y a ainsi neuf décrets, dont on ne donnera ici que le numéro : 1278, 1281, 1284, 1287, 1290, 1293, 1297, 1300, 1305 et 1307).

    Comment admettre que la lecture et la compréhension du texte législatif, l’examen nécessaire de 42 décrets et 1125 exceptions, d’un nombre vraisemblablement exponentiel de jugements et arrêts des juridictions administratives puissent s’appeler de la simplification ?

    L’effet réduit de la réforme pouvait déjà être perçu à partir de la loi, ainsi qu’on l’a esquissé ci-dessus. Les décrets d’application rendent encore plus occasionnels les cas d’un silence valant acceptation puisqu’ils énumèrent plus d’un millier de cas dérogeant à ce nouveau principe (près de 1 125 après un premier comptage). Le nombre des exceptions au principe transforme ce dernier en principe exceptionnel. Certaines dérogations étendent même l’application des dispositions expresses de la loi : l’article 1er du décret 2014-1303 (Journal Officiel 1er Novembre 2014), tout en prenant pour fondement le II de l’article 21 (les cas où l’on peut déroger au nouveau principe simplement eu égard à l’objet de la décision ou pour une bonne administration) étend le 5° du I du même article (écartant la règle du silence vaut accord des relations entre les agents et leur administration) puisqu’il soustrait à ce principe, d’une part, les demandes émanant des ayants-droits ou ayants-causes d’un agent et, d’autre part, les demandes s’inscrivant dans une procédure d’accès à un emploi relevant de l’État ou de l’un de ses établissements publics administratifs. Autant dire, donc, que l’effet utile de la révolution est un effet réduit. Voire un effet inutile, tant sa portée est marginalisée. Mais ce n’est pas là la seule raison d’inutilité.

    La révolution se voulait utile car elle avait pour ambition de « simplifier les relations entre l’administration et les citoyens », ainsi que l’indique l’intitulé de la loi du 12 novembre 2014 et le rappelle le contexte de « choc de simplification » voulu par le président Hollande, dans lequel celle-ci s’inscrit. Il est possible d’admettre que la remise en cause d’une règle historique soit de la simplification : cela pourrait même s’appeler de la modernisation. Il est encore possible d’admettre que le retournement d’un principe – le nouveau apparaissant comme plus favorable aux administrés – soit également de la simplification. Mais pour les administrés, seulement, dans ce cas. Car, pour l’administration, il s’agit bien de complexification, celle-ci devant, désormais, rapidement et scrupuleusement instruire chaque demande, au risque, sinon, d’accepter implicitement une demande, emportant des droits acquis au profit des administrés (d’autant plus qu’il s’agit de demandes individuelles), de façon parfaitement légale puisque cela s’inscrira dans le cadre de cette nouvelle procédure, emportant ainsi une impossibilité de retrait et une abrogation encadrée et difficile.
    Cependant, comment est-il possible d’admettre que la lecture et la compréhension du texte législatif, l’examen nécessaire de quarante-deux décrets et 1 125 exceptions, d’un nombre vraisemblablement exponentiel de jugements et arrêts des juridictions administratives puissent s’appeler de la simplification ? Auparavant, il existait un texte et une règle simple : l’article 21 de la loi du 12 avril 2000, disposant qu’une fois une demande formulée à l’administration, après que celle-ci n’a pas donné de réponse pendant deux mois, la demande est rejetée. Désormais, il existe une loi avec une règle peut-être simple, mais assortie d’exceptions difficilement compréhensibles. À ce premier texte, s’en ajoutent plus d’une quarantaine d’autres posant un nombre considérable d’exceptions. La simplification du droit passerait donc par le renversement des principes bien ancrés, par l’augmentation du nombre de textes juridiques et par la multiplication des dérogations au principe nouveau. Cela s’appelle plutôt de la bonification : des textes juridiques et... des coûts, pour l’administration et les administrés. La première devra sans doute augmenter ses effectifs pour statuer sur les demandes avant l’expiration du délai de deux mois ou sur les recours contentieux, les seconds paieront d’autant plus cher les honoraires versés à leurs conseils juridiques qui devront examiner si leur demande s’inscrit, ou non, dans l’un des cas dérogatoires. Et ce n’est pas fini : l’an prochain, lorsque la loi entrera en vigueur à l’égard des collectivités territoriales et des autres services administratifs, d’autres décrets seront adoptés.

    Le choc de simplification est donc promis à un bel avenir : une simplification qui s’effondre dans une plus grande complexité. Et promet une prochaine et bien certaine nouvelle simplification. Simplifiez, simplifiez, il en restera toujours quelque chose... de complexe !

    Note : En réalité, la règle était déjà un peu plus complexe, car il existait un certain nombre de dérogations, tant au délai de deux mois, qu’au principe lui-même, le silence pouvant également valoir acceptation. Les exceptions étaient environ 400.

    #opacité_défensive #arbitraire #relations_de_pouvoir #droit