ant1

(mastodon.iriseden.eu/@soler solertoyo.bsky.social https://twitter.com/SolerToyo) أنثوان

  • #propriété

    Serions-nous plus malheureux sans droit de propriété ?
    http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-cretois/121114/serions-nous-plus-malheureux-sans-droit-de-propriete

    Une société du partage, une société de l’accès, une société où l’accomplissement primerait sur l’appropriation apparaît aujourd’hui comme la seule soutenable et véritablement souhaitable. Parce qu’elle transformerait le rapport de chacun aux ressources qu’il cesserait peu à peu de voir comme des propriétés mais de plus en plus comme des vecteurs d’accomplissement partageables et gouvernables en commun.

    C’est pourquoi aujourd’hui plus que jamais il est nécessaire de promouvoir la valeur d’accomplissement humain contre le principe de l’accaparement privé des ressources. Ce dernier apparaît comme le versant morbide du capitalisme : le productivisme, le consumérisme et l’accumulation sans limite du capital et des objets que le système économique produit comme une fin en soi au mépris tant des producteurs que des consommateurs.

    Certains disent que la propriété est une constante anthropologique dont on ne pourrait se passer. Mais il faut le prouver. Que l’homme aspire au bonheur est évident. Pour ce faire, la propriété lui est-elle nécessaire ? Imaginons qu’un jour il soit possible de tout faire par la simple location des choses ou par l’achat de l’accès à certaines de leurs fonctionnalités sans pour autant les acquérir elles-mêmes, serions-nous plus malheureux ou privés de ce qui est nécessaire à notre bonheur ? Nous aurions accès au nécessaire sans pour autant être propriétaires. Cela prouve que l’on n’a pas besoin du droit de propriété pour s’accomplir et que, de ce point de vue, il peut être aboli car, comme l’écrit Rousseau, « le démon de la propriété infecte tout ce qu’il touche ».

    On nous objectera alors, à juste titre, que le droit de propriété n’est pas nécessaire à l’accomplissement individuel mais qu’il est nécessaire tant à l’organisation sociale qu’à la protection de l’individu contre l’interférence arbitraire des autres : il constituerait un principe d’ordonnancement permettant la délimitation et la coordination des intérêts des agents afin qu’ils n’empiètent pas sur leurs intérêts mutuels et que l’on puisse les départager en cas de conflit. D’ailleurs, parler de location, c’est bien parler des propriétaires bailleurs.

    Pourtant, imaginons un monde où personne ne serait propriétaire des choses en tant que telles mais seulement de certains droits sur les choses : le droit de les vendre (ou non), le droit de les détruire (ou non), le droit d’en jouir, le droit d’y passer, l’obligation de les conserver, de les entretenir, le droit d’en gérer les accès, le droit d’y accéder, le droit de les exploiter (ou non). Il n’y aurait plus alors de propriété au sens classique mais seulement des droits multiples permettant de régler les rapports sociaux quant aux choses.

    Imaginons maintenant que l’organisation des rapports sociaux sur les choses ne soit pas subordonnée à la pure et simple décision des titulaires individuels (comme c’est largement le cas aujourd’hui où les titulaires peuvent seulement voir leurs facultés limitées par la loi) mais à la destination de ces biens qui serait (dans notre société idéale) l’accomplissement des individus. Imaginons que des ensembles de biens soient mis au service de l’éducation, de la nutrition, de la santé, de la justice, de la communication, de l’habitation, de l’insertion sociale (par le travail et les échanges) – seuls, peut-être, les loisirs relevant de désirs plus individuels pouvant faire l’objet d’une offre plus libre (conforme à leur destination en terme de créativité et de diversité). La logique ne serait plus alors celle de l’accumulation individuelle du capital, mais de la subordination des ressources au service l’accomplissement des hommes. Ne serions-nous pas bien débarrassés des entraves aliénantes que la propriété privée impose actuellement à l’accomplissement humain privant les uns du nécessaire quand les autres croulent sous le superflu, menaçant la planète d’une hyper-production sans mesure et rendant les rapports humains de plus en plus prédateurs ?

    On nous objectera que ce serait une société qui écraserait l’individu (au nom de l’éternelle peur du communisme) : pourtant qui préfèrerait une école soumise à la prédation capitaliste plutôt qu’à l’ambition de l’égal accès de tous à l’éducation ? Qui trouve normal de laisser vacant un logement d’habitation dans une zone densément peuplée, c’est-à-dire d’en autoriser un usage non-conforme à sa destination sociale ? Qui trouve normal de laisser quelqu’un mourir de faim à côté d’une abondance à laquelle on lui refuserait l’accès alors qu’elle est inutilisée ou sous-utilisée ? Qui trouve normal de fermer une entreprise bénéficiaire au nom du droit de la société propriétaire d’accroître sa marge sans vergogne ? Si nous sommes tous d’accord sur les réponses à donner à ces questions, c’est que nous sommes tous peu ou prou favorables à une société de l’accomplissement qui, contre une société de l’accumulation privée, s’acheminerait peu à peu vers une abolition de la propriété privée au profit d’une autre forme de régulation des ressources plus conforme à leur destination.

    Je terminerais en rappelant cette belle formule de Marx tirée des Manuscrits de 1844 : « La propriété privée nous a rendus tellement sots et bornés qu’un objet est nôtre uniquement quand nous l’avons, quand il existe donc pour nous comme capital ou quand il est immédiatement possédé, mangé, bu, porté sur notre corps, habité par nous, etc. »