J’en ai marre d’être une femme.
Reçu un mail d’une copine qui me demande de faire passer ce texte.
J’en ai marre d’être une femme.
J’aurais du être autre chose, je n’aurais pas tout ces problèmes aujourd’hui.
Je ne me retrouverais pas à élever ma fille seule et à me dire que non non non je ne serais pas une victime consentante. Tant que tu n’en as pas conscience, ça passe encore, tu peux croire qu’il te suffit d’être toi même et de ne pas courber l’échine car c’est bien connu, la victime subit sa propre posture, elle n’a qu’à en redresser l’échelle des valeurs. Or, il ne suffit de décréter ce que l’on ne sera pas pour échapper au grand flot du patriarcat dans lequel on baigne, celui des autres mais aussi le sien. C’est pénible d’être éduquée en tant que victime et proie dès l’enfance, on passe son temps à se dire que c’est tout à fait normal de se faire abuser, sans pouvoir envisager qu’on l’a été, vu qu’on y a même pris du plaisir au final, salope. Ça doit surement être un réflexe qui se construit pour pouvoir survivre, on refoule tellement bien parfois, c’est pratique de se croire allié à ses agresseurs, au risque de se heurter à ne jamais pouvoir le penser, le dire, par peur de la honte. Et puis le jour où on commence à réaliser que cela n’était pas normal, jamais, que nous portions le poids de quelque chose qui n’était pas nous, on est victime sans vouloir l’être mais on le dit, et là le monde perturbé voudrait qu’aucune parole ne nous ait jamais été autorisée. bouuuhooo parler des affaires de sexualités, étaler son intimité et en plus comme si cela était politique, que là se jouaient les systèmes de domination, quel ridicule, le sexe c’est intime, ça ne s’étale pas, ça se vit, ça se subit, mais surtout ça se tait, franchement c’est nul d’être une victime, car sa parole est triste et sombre, vive les winners, vive les hommes.
Ainsi, si j’étais un homme, je profiterai des avantages qui me sont interdits, je passerai au statut de dominant sans la nécessité de me poser des questions, naturellement dominant, avec la liberté d’agir comme bon me semble, le bon droit avec moi, en bon père de famille, distribuant des bonbons à qui en veut, baisant avec autant de femmes qui me plaisent sans jamais me faire traiter de nympho. Je les enfilerai sur ma bite comme des perles et m’en vanterai aux copains admiratifs qui entre eux diraient que j’ai vraiment des couilles et de la chance. Les gens ne manqueraient pas l’occasion de tisser des liens avec moi, de me filer du travail et de m’aider à réussir dans ma vie. Aaaah, gagner de l’argent et tomber des nanas fait certes un peu parvenu, mais en bon soldat du capitalisme je ne ferais qu’appliquer les principes de consommation que chacun valorise.
J’ouvrirai un lieu pour que se sentent à l’aise les femmes libres, un truc anarchiste ou dans le genre, avec des soirées sympas et libertaires où je me ferais des tunes, genre je serai le chef, wééé. En plus l’éthique ça plait bien, très tendance, ça me valorise pas mal il est vrai de défendre la veuve et l’orphelin, l’égalité sociale c’est un bon créneau pour gagner la confiance.
Les femmes libres, ou celles qui veulent être nos égales, apprendront ce que signifie d’aimer le sexe en liberté, et le must c’est la féministe qui se croit libérée, la power woman, qui s’illusionne sur le sexe libre.
Les femmes ont été éduquées pour consentir à mon plaisir, franchement pourquoi me gênerais-je, ma place est plutôt confortable, et je les laisse se crêper le chignon entre elles pour savoir laquelle je baiserai ce soir.
Le mieux dans l’affaire c’est que je peux être le pire des connards, je n’ai même pas besoin de violenter des idiotes qui oseraient bouder ma queue. Ma queue, c’est un peu comme le centre du monde, et dans un lieu qui attire autant, avec tous ces fins stratèges politiques masculins, je peux aisément séduire des proies qui résistent quelques temps, c’est plus drôle, à réserver à ma consommation personnelle les soirs d’ennui, quand on ne parle pas de choses sérieuses. Dans tous les cas je fais en sorte qu’elles soient persuadées être consentantes, même si la façon dont je les baise ressemble à un viol et que je les insulte et les maltraite, elles ne diront rien, le principal est que je me concentre sur mon plaisir et n’ai pas à me préoccuper du leur. Il faut savoir les remettre à leur place, et tant pis si elles se sentent humiliées, elles ont bien cherché à être punies.
Oh bien sur, il y en aura toujours une pour aller se plaindre à ses petits copains et copines que je l’ai maltraité et que je suis un gros porc, elle n’a juste rien compris et de toute façon que vaut la parole d’une femme par rapport à la mienne ? Encore une coincée, qui se ridiculisera toute seule à parler en public de notre intimité, elle sait que c’est tabou et interdit, ok pour une société égalitaire mais bon, pas de trop quand même, on ne va pas changer les traditions machistes aussi vite. De toute façon, j’ai suffisamment de copines inféodées à mes partouzes régulières dans la cave pour lui faire comprendre qui est le maitre de cérémonie et la faire retourner à son silence. Et les copains trouveront bien de quoi noyer le poisson, une petite couche de solidarité avec l’accusatrice, puis retour à la normale, avec un couvercle bien verrouillé, parce que la politique c’est pas pour les gonzesses sans couilles, surtout dans un lieu collectif et militant si sympa. Et dans 6 mois, on sera de nouveau entre potes.
Ben en fait, je n’ai pas vraiment envie d’être un homme, (en tout cas pas celui-là) ni de gagner aucun pouvoir, j’avais juste envie que les choses avancent, qu’on grandisse vite, qu’on cesse l’omerta sur les rapports de domination planqués dans le sexe.
Ma conception de l’acte sexuel est profondément vivante et égalitaire, non pas devoir faire le deuil de soi, subir une punition, mais se mettre en joie à deux.
J’ai un âge où je ne cherche plus à être aimé et sympa en me masquant le fait qu’une relation hétérosexuelle est potentiellement une agression, qu’elle expose à la négation de mon intégrité et à l’abus. L’abus, c’est à dire la non reconnaissance en tant qu’être humain autonome, si encore j’ai la chance de conscientiser l’humiliation c’est que je ne suis pas encore totalement transformé en objet, même consentant. Il a fallu pour cette prise de conscience que je rebrousse le chemin d’apprentissage à la soumission qu’une femme doit suivre depuis sa naissance. Puis que je refuse la domination intrinsèquement masquée dans mes propres actes en distinguant ensuite mon propre désir et l’illusion de mon libre choix de tout le poids gigantesque qui s’abat avec le désir masculin.
Je n’ai plus envie de jouer au sexe puis de me persuader que tout va bien quand non, si je repasse le film, ce n’était encore qu’un pas de plus vers mon anéantissement au profit de la domination masculine. Et il faudrait en plus me taire, que je fasse taire, qu’on me donne les mots à dire même, que je comprenne les systèmes de domination en jeu en croyant que j’en sortirais indemne, c’est bon, j’ai compris comment ça marchait, et c’est pour ça que je voudrais bien parfois changer de rôle, échapper à ce prédéterminisme des genres si facile à utiliser pour le plein profit des hommes.
Parce que j’ose espérer qu’il existe des homme qui en ont pris conscience et qui tentent d’y échapper.
En attendant je suis MOI, et je tente d’échapper à « la femme » supposée supporter ce qu’on lui impose de vivre sans droit à un désir propre.
Je ne suis plus à même d’entrer dans cette danse de séduction où je réalise que ma position de générosité sexuelle se faisait surtout à l’encontre de mon jeune cul et de mon inexpérience, laminant ma capacité à voir le monde autrement que par les yeux d’une jeune femme téméraire. En vieillissant, je quitte le rayon frais du supermarché sexuel que je le veuille ou non, il n’y avait aucun libre choix pour moi, et j’ai surtout la chance d’échapper aux prédateurs et aux harcèlements multiples. Maintenant je peux le dire, j’ai cru baiser librement toute ma vie en pleine autonomie de mes choix mais je me suis surtout fait baiser, un terrible sens unique en forme d’impasse a fini par barrer mon chemin qui se voulait libre partage, et maintenant ça suffit et je dénonce les procédés mis en place pour faire taire les femmes et leurs désirs en imposant sournoisement celui des hommes dans lequel les femmes deviennent complices de leur propre domination.
Ça suffit les délires freudiens du viol recherché par les femmes, de la possession du phallus au centre du désir féminin, ça suffit d’être définies pour et par le désir des hommes. De se faire jeter parce qu’on ne correspond plus aux critères de la baise masculine ou qu’on les a assouvit. De se faire nier quand on prend son courage pour dénoncer des salopards. Misère mais y’a vraiment pas un autre moyen que l’abstinence ou l’onanisme pour échapper à cette violence qui s’instaure comme la norme ? Car cela réitère comme un disque rayé les dominations sociales sur les moins bien loties, les gueux, les miséreux, ceux et celles qui n’ont plus la force de se battre, ceux et celles qui ne rentrent pas dans le système de méritocratie, les « tu l’as bien mérité » ça suffit. Je n’ai pas à être punie d’être une femme, je ne veux plus encaisser la maltraitance et perpétuer cela par mon silence.
Je n’ai pas envie de cette chape de plomb qu’on voudrait à nouveau couler sur mes mots en m’expliquant que je ne suis pas victime mais accusatrice.