RastaPopoulos

Développeur non-durable.

  • Le 15 novembre dernier, Catherine Vidal est venue faire sa conférence sur les cerveaux des femmes et des hommes à Bordeaux, invitée par le Collectif Bordelais pour les Droits des Femmes.

    « Le cerveau a-t-il un sexe ? » conférence/débat avec Catherine Vidal / Bordeaux 33000
    http://gironde.demosphere.eu/rv/4087

    Malheureusement, le seul résumé que j’ai trouvé pour l’instant est celui fait par E&R Aquitaine. Génial. Je vous évite le lien. J’ai moi-même pris quelques notes mais je ne suis pas très fort en résumé, surtout un mois après (c’est tout moi ça).

    ## Résumé

    Sa conférence est à peu près toujours la même, donc pour celleux qui l’avaient déjà vu, en vrai ou sur internet (pas le TEDx mais les confs complètes), il n’y a pas d’immenses changements sur le fond. Mais je remarque qu’à chaque fois, au fil des années, elle met à jour ses diapositives et ses informations en se servant des nouvelles études, ou de certaines actualités.

    Pour une bonne partie de la conférence, elle prend une théorie en vogue (toujours en vogue), elle remonte le temps pour trouver d’où vient cette théorie (de quelle étude, souvent unique), puis elle compare avec des études plus récentes, qui ne confirment pas cette hypothèse. Ce qui est fou c’est que pas mal de théories sont issues de très peu voire d’une unique étude très vieille, et pourtant persiste malgré la non-reproductibilité ultérieure.

    J’ai pu poser une question (qui me paraissait un peu moins attendue que les autres) à laquelle j’ai eu une moitié de réponse bateau et une autre moitié très intéressante (cf plus bas).

    ## Notes

    – Oui, il y a des différences de naissance entre les deux sexes : dans les régions qui contrôlent la reproduction sexuée. L’hypothalamus, par exemple.

    Théorie des femmes multitâches. Si ma mémoire est bonne, il s’agit de dire que les femmes ont plus de filaments qui relient les deux hémisphères, qui dialoguent donc mieux, ce qui fait d’elles des multitâches. Provient d’une étude de 1982, qui a étudié les filaments de 20 cerveaux. Oui 20. Une compilation de statistiques faites avec IRM entre 1997 et 2008 n’a montré en fait aucune différence.

    Théorie des deux cerveaux. Cette théorie date de 1968 (yeah) et parle en gros de cerveau gauche pour le langage et de cerveau droit pour l’orientation. Une méta-analyse compilant des résultats entre 1995 et 2009, avec un total d’environ 2000 personnes, a montré qu’il n’y avait pas de différences dans les aires du langage chez l’ensemble des individus.

    – Entre 6 mois et 2 ans, le cerveau des enfants est sensible aux nombres et à l’orientation. Entre 4 ans et 5 ans, il est sensible au langage et à la manipulation des nombres. Les activités que l’on fait faire aux enfants de ces deux tranches d’âge influent énormément sur la suite.

    Menace du stéréotype. Il s’agit d’un concept de psychologie qui explique certains échecs par un stéréotype pré-établi que les sujets ont intégré. Je n’arrive plus à comprendre les chiffres que j’ai noté :D mais elle parlait d’une étude de 2006. L’article de WP a l’air assez complet sur le sujet :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Menace_du_st%C3%A9r%C3%A9otype

    – Dans l’embryon, les cellules se multiplient jusqu’à atteindre 100 milliards de neurones. Mais à la naissance, il n’y a que 10% des connexions (par rapport au nombre de connexions observées à l’âge adulte). Il y a donc 90% des synapses qui se forment après la naissance (10^15, on est loin des ordinateurs).

    Développement de la vision. Si je ne me trompe pas cela se fait dans les 5 premières années. Mais cela ne se fait qu’avec une interaction permanente avec l’environnement. Le cerveau développe les connexions nécessaires à la bonne marche des yeux, la coordination, l’envoi des infos, etc. Si pas d’interaction, même si les yeux n’avaient pas de problèmes, on serait plus ou moins aveugle.

    Étude de la capacité à jongler. Pendant 3 mois on a étudié des personnes apprenant à jongler à au moins 3 balles. On constate un épaississement des régions correspondant à la coordination. Moins amusant : on constante aussi un rétrécissement de ses régions lorsque la fonction n’est plus sollicitée. On constate la même chose pour des personnes âgées apprenant à jongler. C’est plus difficile, mais leur cerveau continue de se modifier suivant les apprentissages. C’est un exemple de plasticité cérébrale.

    – La capacité cognitive permettant d’identifier une différence entre le féminin et le masculin se situe à partir d’environ 2 ans et demi.

    L’IRM est un cliché à un moment donné, un instantané. Cela ne veut pas dire que ça ne va pas bouger ensuite. On ne peut donc pas se baser uniquement sur des études qui diraient « l’IRM a montré ceci ».

    La théorie des connexions verticales et horizontales. Bien présente en 2014. Une étude a montré des différences très nettes entre les cerveaux d’hommes et de femmes dans le « câblage » des différentes zones du cerveaux. Les hommes auraient un câblage plutôt vertical, les femmes horizontales. Tout d’abord, ce ne sont en fait pas de vraies connexions physiques observées, mais uniquement des probabilités calculées par ordinateur. Mais par ailleurs, les conclusions issues de cette étude, par les auteurs mêmes (et relayées entre autre par Sébastien Bohler d’après ce que je vois, qui a déjà été amplement critiqué par Odile Fillod), sont complètement abusives !
    == il n’y a pas de rapports entre structures et fonctions, on peut être « câblé » autrement et avoir les mêmes capacités
    == les auteurs n’ont aucune prise en compte de la plasticité cérébrale, notion éminemment importante, qui est maintenant connue depuis plusieurs décennies, et qui montre que le cerveau est modelé depuis la naissance :les auteurs privilégient donc uniquement une cause « inné », comme si ce câblage allait forcément être comme ça suivant le sexe, et non suivant la plasticité.

    – La question des hormones. Elle a parlé du concept d’organisation-activation, qui a 50 ans d’après mes notes, mais je ne sais plus pourquoi. :D

    Hérédité des caractères acquis. Il n’y a pas d’expérience là-dessus ou vraiment pas assez.

    La question des hormones bis. Pour les animaux, oui, en période de rut et d’accouplement, les hormones jouent un rôle majeur, indéniable et observé. Mais pour les humains, il y a une dissociation complète entre sexualité et reproduction (et ce n’est pas récent). On n’observe notamment absolument aucune différences hormonales chez les homosexuels (celleux ne subissant aucun traitement bien entendu). De même, chez les délinquants, on n’observe pas plus de testostérones.

    ## Ma question et sa réponse

    Durant les questions, j’ai pu prendre le cro-mi pour lui demander ce qu’elle pensait de l’ambivalence des outils complexes comme l’IRM.

    En effet il permet de confirmer des hypothèses sur la plasticité et sur la construction sociale, ce qui est important et qui nous aide (donc qui est « bien ») dans une perspective d’émancipation. Mais dans le même temps, il sert à comprendre en détail comment manipuler le cerveau, soit pour l’augmenter (transhumanisme), soit pour le contrôler (police des populations). J’ai notamment évoqué le cas de la clinique-recherche Clinatec à Grenoble.

    Catherine Vidal a un peu éludé la partie sur l’ambivalence en répondant un peu « bateau » sur le fait que les scientifiques doivent vulgariser leur domaine afin que la population ait les clés pour décider politiquement. Elle n’a rien dit sur les techniques.

    MAIS par contre, sur le transhumanisme, sa réponse a été très intéressante. Ma question l’a effectivement poussé à parler pendant de longues minutes (je dirais entre 5 et 10min ce qui était long par rapport au reste) du transhumanisme devant une salle pleine à craquer, ce dont je suis assez content. Elle a confirmé que ce n’était plus du tout un groupuscule minoritaire, mais que c’était un mouvement de fond très puissant, avec d’énormes moyens financiers et des relais dans la presse. Elle a mis en garde tout le public sur ce sujet.

    (Au passage, après-coup, cette réponse coupe court à certaines des critiques d’Escudero que j’ai pu lire, et qui disaient qu’il fantasmait sur les transhumanistes, que ce n’était pas un truc puissant, etc. Le point de vue interne d’une neurobiologiste féministe confirme que c’est bien le cas. Son ton alarmant n’était pas feint.)

    #genre #femmes #cerveau #Catherine_Vidal #neurobiologie #féminisme #transhumanisme #IRM #vulgarisation (#critique_techno un peu)