• Sur le livre de Lénine « Matérialisme et empiriocriticisme »
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    On objectera sans doute que Marx ne s’est jamais dit en désaccord avec la, doctrine exposée par Engels dans ses ouvrages philosophiques, qu’il a lu l’Anti-Dühring en manuscrit et l’a approuve ; mais cela signifie seulement que Marx n’a jamais pris le temps de réfléchir a ces problèmes assez pour prendre conscience de ce qui le séparait d’Engels. Toute l’œuvre de Marx est imprégnée d’un esprit incompatible avec le matérialisme grossier d’Engels et de Lénine. Jamais il ne considère l’homme comme étant une simple partie de la nature, mais toujours comme étant aussi, du fait qu’il exerce une activité libre, un terme antagoniste vis-à-vis de la nature. Dans une étude sur Spinoza, il reproche expressément à celui-ci de confondre l’homme avec la nature qui le contient, au lieu de les opposer. Dans ses Thèses sur Feuerbach, il écrit : « Le défaut principal de toutes les doctrines matérialistes qui ont été formées jusqu’à ce jour, y compris celle de Feuerbach, consiste en ce que le réel, le sensible, ne sont conçus que sous la forme de l’objet, de la contemplation, et non comme activité humaine sensible, comme praxis, d’une manière subjective. C’est pourquoi le cote actif a été développé, d’une manière abstraite, il est vrai, en opposition avec le matérialisme, par l’idéalisme – qui, bien entendu, ne connaît pas l’activité réelle, sensible, comme telle. » Bien que ces formules soient obscures, elles disent du moins clairement qu’il s’agit de faire une synthèse de l’idéalisme et du matérialisme, synthèse ou soit sauvegardée une opposition radicale entre la nature passive et l’activité humaine. À vrai dire Marx refuse de concevoir une pensée pure qui s’exercerait hors de toute prise de contact avec la nature ; mais il n’y a rien de commun entre une doctrine qui fait de l’homme tout entier un simple produit de la nature, de la pensée un simple reflet, et une conception qui montre la réalité apparaissant au ‘contact de la pensée et du monde, dans l’acte par lequel l’homme pensant prend possession du monde. C’est selon cette conception qu’il faut interpréter le matérialisme historique, qui signifie, comme Marx l’explique longuement dans son Idéologie allemande, que les pensées formées par les hommes dans des conditions techniques, économiques et sociales déterminées répondent à la manière dont ils agissent sur la nature en produisant leurs propres conditions d’existence. C’est de cette conception enfin qu’il faut tirer la notion même de la révolution prolétarienne ; car, l’essence même du régime capitaliste consiste, comme l’a montre Marx avec force, en un « renversement du rapport entre le sujet et l’objet », renversement constitué par la subordination du sujet à l’objet, du « travailleur aux conditions matérielles du travail » ; et la révolution ne peut avoir d’autre sens que de restituer au sujet pensant le rapport qu’il doit avoir avec la matière, en lui rendant la domination qu’il a pour fonction d’exercer sur elle.

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