• Shlomo Sand - JE NE SUIS PAS CHARLIE -
    13 janvier 2015
    http://www.ujfp.org/spip.php?article3768

    On fait valoir que Charlie s’en prend, indistinctement, à toutes les religions, mais c’est un mensonge. Certes, il s’est moqué des chrétiens, et, parfois, des juifs ; toutefois, ni le journal danois, ni Charlie ne se seraient permis, et c’est heureux, de publier une caricature présentant le prophète Moïse, avec une kippa et des franges rituelles, sous la forme d’un usurier à l’air roublard, installé au coin d’une rue. Il est bon, en effet, que dans la civilisation appelée, de nos jours, « judéo-chrétienne », il ne soit plus possible de diffuser publiquement la haine antijuive, comme ce fut le cas dans un passé pas très éloigné. Je suis pour la liberté d’expression, tout en étant opposé à l’incitation raciste. Je reconnais m’accommoder, bien volontiers, de l’interdiction faite à Dieudonné d’exprimer trop publiquement, sa « critique » et ses « plaisanteries » à l’encontre des juifs. Je suis, en revanche, formellement opposé à ce qu’il lui soit physiquement porté atteinte, et si, d’aventure, je ne sais quel idiot l’agressait, j’en serais très choqué… mais je n’irais pas jusqu’à brandir une pancarte avec l’inscription : « je suis Dieudonné ».
    (...)
    De plus, et sachant que tout texte s’inscrit dans un contexte, comment ne pas s’interroger sur le fait que, depuis plus d’un an, tant de soldats français sont présents en Afrique pour « combattre contre les djihadistes », alors même qu’aucun débat public sérieux n’a eu lieu en France sur l’utilité où les dommages de ces interventions militaires ? Le gendarme colonialiste d’hier, qui porte une responsabilité incontestable dans l’héritage chaotique des frontières et des régimes, est aujourd’hui « rappelé » pour réinstaurer le « droit » à l’aide de sa force de gendarmerie néocoloniale. Avec le gendarme américain, responsable de l’énorme destruction en Irak, sans en avoir jamais émis le moindre regret, il participe aux bombardements des bases de « daesch ». Allié aux dirigeants saoudiens « éclairés », et à d’autres chauds partisans de la « liberté d’expression » au Moyen-Orient, il préserve les frontières du partage illogique qu’il a imposées, il y a un siècle, selon ses intérêts impérialistes. Il est appelé pour bombarder ceux qui menacent les précieux puits de pétrole dont il consomme le produit, sans comprendre que, ce faisant, il invite le risque de la terreur au sein de la métropole.
    Mais au fond, il se peut qu’il ait bien compris ! L’Occident éclairé n’est peut-être pas la victime si naïve et innocente en laquelle il aime se présenter ! Bien sûr, il faut être un assassin cruel et pervers pour tuer de sang-froid des personnes innocentes et désarmées, mais il faut être hypocrite ou stupide pour fermer les yeux sur les données dans lesquelles s’inscrit cette tragédie.
    C’est aussi faire preuve d’aveuglement que de ne pas comprendre que cette situation conflictuelle ira en s’aggravant si l’on ne s’emploie pas ensemble, athées et croyants, à œuvrer à de véritables perspectives du vivre ensemble sans la haine de l’autre.

    Shlomo Sand
    (Traduit de l’hébreu par Michel Bilis)

    • Merci @loutre justement, je me demandais ce que Shlomo Sand pensait de tout cela. Et comme toujours, très clairvoyant. Il a justement la même réflexion que Dominique Vidal qui faisait remarquer que Charlie n’avait jamais (à ma connaissance du moins) caricaturé Moïse, mais plutôt le pape et les curés.

    • A retenir :

      Je reconnais m’accommoder, bien volontiers, de l’interdiction faite à Dieudonné d’exprimer trop publiquement, sa « critique » et ses « plaisanteries » à l’encontre des juifs. Je suis, en revanche, formellement opposé à ce qu’il lui soit physiquement porté atteinte, et si, d’aventure, je ne sais quel idiot l’agressait, j’en serais très choqué… mais je n’irais pas jusqu’à brandir une pancarte avec l’inscription : « je suis Dieudonné ».

    • Je suis en désaccord avec Shlomo Sand sur la question de Dieudonné.

      De toute évidence, les tentatives très médiatisées de #censure n’ont pas fait disparaître le personnage ni son expression du débat public, bien au contraire. Elles ont tout juste permis à Valls et autres opportunistes d’instrumentaliser la situation à leur profit, tout en l’exaspérant.

      Bilan net, d’une part, les « anti-système » voient parfois dans l’acharnement contre Dieudonné la preuve de l’"héroïsme" de ce triste pitre. « Si on l’attaque, c’est bien qu’il est gêne, non ? » Ben en fait non, c’est juste qu’en l’attaquant, on se fait mousser…

      D’autre part, les médias sont saturés de ce sujet hyperpolarisant : la (toute petite) porte de la réflexion est fermée quand nous sommes sommés de « choisir » entre Valls-le-chevalier-blanc et Dieudonné-le-naze.

      Le tout bien sûr en écrasant au passage le principe de #liberté_d'expression.