Penser la Commune « comme autre mesure de la richesse sociale » | Mediapart
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Henri Lefebvre, penseur largement ignoré en France aujourd’hui, mais lu abondamment en Amérique du Nord et en Amérique du Sud, croyait que la pensée ou la théorie d’un mouvement étaient générées uniquement avec et après le mouvement lui-même. En somme, la théorie est partie intégrante des énergies libérées par l’action politique.
Dans les discussions dans les cafés de Londres comme dans les pratiques mises en œuvre dans les montagnes du Jura dans les années suivant la Commune, nous voyons une méditation sur la forme communale que nous appelons aujourd’hui écologique et qui est une tentative de penser ensemble la commune insurrectionnelle – ce qui s’était produit ce printemps-là dans une grande ville européenne – et les vestiges des anciennes communes agraires de la campagne. Nous y voyons une refonte profonde de la pratique de la solidarité, non pas comme un comportement moral ou éthique mais comme une stratégie politique.
Et nous voyons le développement d’une vision de transformation sociale qui n’est servilement redevable ni à l’anarchisme ni au marxisme mais leur emprunte une vision que ses inventeurs, pour la plupart des anciens communards, appelaient le « communisme anarchiste ». À mon avis, ce type d’analyse politique qui unit plutôt qu’elle n’oppose la bataille politique contre l’oppression à la lutte économique contre l’exploitation, ne peut que résonner fortement dans les milieux militants aujourd’hui.
Lorsque le slogan « Vive la Commune ! » a commencé à résonner dans les réunions des travailleurs à travers Paris, pendant les dernières années de l’Empire, l’émotion et la charge affective attachées au mot « commune » dépassaient de loin toute signification associée au mot. Les travailleurs voulaient être libres d’organiser leur propre vie sociale selon les principes de l’association et de la coopération.
Ils voulaient substituer une organisation décentralisée et communale, c’est-à-dire une coopération directe de toutes les énergies et les intelligences, au gouvernement permanent. Le mot « commune », bien sûr, faisait écho à l’aspect le plus radicalement démocratique de la Révolution française. Et le mot exprimait aussi une forte volonté d’autonomie locale.
Chute de la colonne Vendôme (photographie de Franck).Chute de la colonne Vendôme (photographie de Franck).
Des concepts comme l’État et la nation étaient, bien sûr, absents de tout cela. Les communards ne voulaient pas former un État, mais plutôt une unité dans une fédération de communes qui serait au bout du compte internationale dans sa portée. L’imaginaire communal était profondément non national dans sa forme, opérant à une échelle à la fois plus petite et plus grande que celle de la nation. Selon les mots de l’un de ses participants les plus connus, Gustave Courbet, pendant la Commune, « Paris ne voulait pas être la capitale de la France ». Le Paris des communards voulait être une unité autonome dans une fédération internationale de communes
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