La Rotative

Site collaboratif d’informations locales - Tours et alentours

  • La Rabière, quartier populaire
    http://larotative.info/la-rabiere-quartier-populaire-839.html

    C’est le quartier où vivait Bertrand Bilal Nzohabonayo, tué par la police à Joué-lès-Tours le 20 décembre dernier. 64 hectares, à quelques minutes à pied du centre-ville. Catégorisé « Zone Urbaine Sensible ». On a demandé à un habitant et militant associatif du quartier de nous en parler.

    Il y a un « esprit village » qui s’est maintenu pendant assez longtemps. Dans les années 80-90, tout le monde se connaissait. On a commencé à perdre ça à la fin des années 90, début 2000, avec une population beaucoup plus brassée qu’avant.

    A l’époque, les populations les plus présentes dans le quartier étaient les Algériens, les Portugais, les Yougoslaves, les Cambodgiens et les Laotiens. Et dans mon souvenir, tout ce monde-là vivait dans une ambiance de petit village.

    (...)

    Dans les années 70, une étude avait été faite sur l’habitat collectif. C’était impressionnant, la diversité qu’il y avait dans une cage d’escalier. Tu pouvais avoir un prof, un militaire, un ouvrier... Le drame de ce quartier, mais aussi des autres quartiers du même type, c’est qu’on n’a pas su garder ces populations-là. Tous ceux qui pouvaient partir sont partis, ils se sont sauvés. A la Rabière, le départ des professions intermédiaires date du début des années 80.

    Et puis, avec l’entrée du Portugal dans l’Union Européenne, on a perdu des Portugais qui sont rentrés au pays. Michelin commençait à licencier, donc certains ont pris leur prime et sont rentrés aussi. D’autres sont sortis du quartier pour construire leur maison dans les quartiers alentours. On a donc vu le quartier se vider de certaines catégories sociales. Ne sont restées que les populations pauvres, massivement au chômage. Et on n’a jamais pu inverser la tendance. On a continué à s’enfoncer dans la précarité .

    (...)

    Dans les représentations, l’espace public est un lieu où les gens sont censés circuler ; quand il y a des éléments stagnants, c’est problématique. Or, le centre commercial et ses cafés constituent en quelque sorte une subsistance de l’esprit de village que je décrivais. C’est le centre du village, une sorte de place où l’on vient palabrer , alors que c’est quelque chose qui a disparu dans plein d’endroits en France. Sur le parcours du tram, c’est un élément qui détonne. Les voyageurs se demandent ce qui peut se tramer dans ces cafés où les habitants viennent passer du temps. Les jeunes au chômage ou les retraités ont du temps à revendre. Et cette façon de prendre son temps pour discuter, ça peut paraître suspect. Dans notre société, c’est vu comme suspect.

    Les cafés du centre commercial entraînent une cohabitation entre générations qui n’était pas possible à une époque. Mais cette cohabitation n’est pas pour autant une source d’échanges. Même entre jeunes, on n’a pas un groupe soudé, mais des sommes d’individualités qui galèrent ensemble. Chacun s’aménage un espace.

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    Parmi les jeunes, l’agglomération se fait autour de l’identité musulmane, parce qu’il ne reste plus que ça de constructeur sur le quartier. Si on s’attaquait à ça, qu’est-ce qu’il resterait ? Sur quelles bases les gamins se construiraient ? C’est presque criminel de ne rien laisser comme modèle de construction d’une identité. Il ne resterait que le deal, la figure de Scarface, même si la référence date. Et on sait les dégâts que ça fait.

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    Il existe, depuis plus de vingt ans, un mensonge concernant ce quartier : c’est l’insécurité. Les premiers responsables de ce mensonge sont les médias. Il n’y a pas d’insécurité dans ce quartier. Même si je ne nie pas qu’il puisse y avoir un sentiment d’insécurité, c’est un quartier qui a toujours été sûr. Tu peux te promener et demander de l’aide à n’importe quelle heure de la nuit, on viendra t’aider.

    (...)

    Les flics qui débarquent viennent surtout d’ailleurs. On leur décrit la population d’une certaine manière, avec une étiquette « zone sensible ». On formate les flics avant de les envoyer sur le terrain, ce qui fait qu’il n’y a pas de lien avec les habitants. La brigade anti-criminalité (BAC), c’est pire. C’est une police spécialisée pour les jeunes des quartiers. Ils se comportent comme une bande, faisant face à une autre bande. Leur attitude quand ils sortent de leur voiture, leurs codes vestimentaires sont ceux d’une bande. Ils sont sapés comme les mecs du quartier : crâne rasé, jean, baskets, sacoche.

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    Malgré tout, c’est un quartier où on vit bien. Les habitants sont contents de vivre là, et il existe des solidarités qu’il n’y a plus ailleurs. Les gens crèvent la dalle, mais ils sont solidaires. C’est le dernier rempart avant l’écroulement total : il y a encore de l’espoir, l’assurance de pouvoir compter sur la voisine pour un coup de main.

    #quartiers #précarité #mixité_sociale #police