• Le pseudo-complot sataniste des Illuminati — Deux siècles d’irrésistible mondialisation d’une mystification à la con (1797-2015). « Pense-bête
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    À l’origine de cette #légende, un #fait établi : l’Ordre des #Illuminati a bien été fondé en 1776 dans le duché de Bavière (à dominante catholique alors que l’Allemagne du Nord était luthérienne) par l’ancien élève des Jésuites & juriste à la Faculté d’Ingolstadt Adam Weishaupt (1748-1830). En soi, le phénomène n’a rien d’original. Depuis le début du XVIII siècle, à travers toutes les villes d’Europe, des universitaires, scientifiques, philosophes ou notables, épris d’un rationalisme « éclairé » et d’une quête éthico-spirituelle hétérodoxe, créent des sociétés et confréries plus ou moins secrètes pour propager leurs idées sans subir les interdits professionnels et autres emprisonnements arbitraires à la demande du clergé. Leur clandestinité répond d’abord à la brutalité répressive d’un ordre moral théocratique, même si chez certaines Loges de la franc-maçonnerie cette dissimulation obligée s’accompagne d’un goût ésotérique pour les rituels d’initiation, d’un cloisonnement pyramidal et de signes de reconnaissance symboliques.(...)

    C’est juste après les attentats du #11 _septembre_2001, que toutes les légendes démoniaques touchant à l’emprise mondiale d’une seule et même société secrète trouvent leur synthèse dans le méta-complot Illuminati. Côté évangélistes d’ultra-droite, via la caisse de résonance du Net ou des télés privées, leur propagande prend une ampleur considérable, s’appuyant entre autres sur les signes de connivences qu’échangeraient ces maîtres du monde ainsi que les images subliminales obscènes introduites jusque dans les dessins animés de Disney.

    Côté scène Hip Hop, on observe une prolifération d’une obnubilation similaire en rumeurs incontrôlables. La plus prégnante concerne le rappeur 2Pac (fils d’une militant des #Black_Panthers) qui aurait été assassiné en septembre 1996 par les sbires de ladite Loge satanique pour avoir projeté d’intituler son album Killuminati. Au milieu des années 2000, une mutation s’opère. Ce sont désormais des stars du Rap ou R&B qui sont accusées, via interviews ou réseaux sociaux, d’être les marionnettes manipulées par leurs maîtres restées dans l’ombre (autrement dit, des Noirs ayant vendus leur âme à l’élite « judéo-maçonnique » blanche, mais sans prendre ni le risque ni la peine de le dire, comprend qui peut…). A tel point que le mouvement des Five Percenters est lui-même suspecté d’être une confrérie à la solde de ses frères ennemies. Parmi les cibles privilégiées de ces règlements de compte en cascades : Jay-Z, Beyoncé ou Rihana, ceux-ci n’hésitant pas à mimer exprès certaines gestuelles sataniques pour faire le buzz… Comme si les bobards ad hominem n’étaient plus ici que le prétexte à mettre en scène leur rivalité et agrémenter leur showbizness d’un storytelling fort rentable. On objectera qu’il ne s’agit plus là que d’un storytelling ludique où les Illuminati jouent le rôle d’Anti-Héros de pacotille, à l’image de leur frères ennemis les Super-Heros des Comics Marvel.

    Il n’empêche, que des millions de jeunes groupies du monde entier se familiarisent avec cette forme de #scepticisme-là – une méfiance envers le discours dominant des médias aussitôt retournée en hypothèse complotiste –, fait froid dans le dos. Ces racontars juvéniles ont beau, la plupart du temps, être déconnectés de leur background idéologique d’origine, – une Secte « judéo-maçonnique » à l’emprise mondialisée –, cette coquille presque vide produit son effet dévastateur : le dévoiement de toute conscience politique, remettant en cause l’ordre social, la propagande de tel ou tel Pouvoir institué, par l’esprit a-critique d’une fixette paranoïaque.

    D’autant que la jonction entre les argumentaires de #conspirationnistes de l’#extrême-droite évangéliste et les dérivatifs Killuminati de la contre-culture Hip Hop est toujours possible. En puisant, par exemple, à la source des mêmes best-sellers, ceux de Dan Brown, de Anges et Démons (2000) à Da Vinci Code (2003), surfant sur l’ambigu fil du rasoir de l’authentique révélation documentée et de la pure fiction, pour brouiller les pistes et diffuser de pernicieuses contre-vérités historiques.

    Autre cas de jonction, plus alarmant encore, quand le scénariste animateur-radio Alex Jones, figure de proue du mouvement Tea Party et climato-sceptique accusant l’État fédéral de planifier un eugénisme à l’échelle planétaire, reçoit dans son émission-vidéo PrisonPlanet.com, diffusée sur le Web, le rappeur KRS-One, lui suggérant que le président Obama et lui aussi une « puppet of the New World Order », alias les Illuminati, thèse reprise par le Professor Griff de Public Ennemy ou par le chanteur américano-péruvien du groupe Immortal Technique. Jusqu’à ce que, par retour de flamme du délire paranoïde, ce même Axel Jones soit dénoncé sur la Toile comme un « #juif_caché » et « agent provocateur » manipulé par les Illuminati.

    Et la scène française n’a pas été épargnée par cette résurgence du message idéologique anti-« judéo-maçonnique » dans le phrasé a priori émancipateur dudit « rap conscient ». Il n’y a qu’à voir le véritable délire antisémite de la chanson « Illuminazi 666 », produite en 2008 par un ancien membre du groupe Assassin, sous son nouveau blaze, Rock’n squat, alias Mathias Cassel, frère de l’acteur et pote de Mathieu Kassovitz :

    « Ils sont tous impliqués dans ces sociétés secrètes / John Kerry, George Bush, Tony Blair, Elysabeth / Grande Patronne du trafic d’opium / Illuminazi 6.6.6., le mensonge démasqué dans mon mix, mix ,mix / Y a pas de guerres que des bénéfices, les bankers, les cartels 6.6.6. / Skulls & Bones pratiquent des rites sataniques / Vénèrent Jabulon le nom de diable pour les juifs, / Magog est le nom de George Bush dans leurs rites / c’est le nom de l’armée de Satan, aïe aïe y a un hic ! »

    Ce cas demeure sans doute assez isolé, mais le virus dormant de la rumeur peut aussi profiter à d’autres cinglés.

    Arrêtons-nous là, sous peine de surestimer le nombre des adeptes identitaires, d’où qu’ils viennent, de cette idéologie du soupçon ciblé (ou de sombrer comme P.-A. Taguieff dans le délire néo-complotiste contre le péril « gauchisto-islamiste »).
    Reste que la vigilance est plus que jamais nécessaire – comme le dossier « Complot partout, révolution nulle part », du journal CQFD de décembre 2014 le soulignait – face à la contamination de la pensée critique contemporaine par les pires #contrefaçons_du_discours_contestataires. Un dernier coup d’œil du côté du Street Art suffit à montrer comment la dénonciation orwellienne d’un Big Brother totalitaire d’hier & de demain peut virer, à son insu ou pas, du côté d’une imagerie ésotérico-fascisante.