• Blâmer la victime

    « Et, par un simple renversement des causes et des effets, on peut « blâmer la victime » en imputant à sa nature la responsabilité des dépossessions, des mutilations ou des privations qu’on lui fait subir. Entre mille exemples, dont les plus remarquables sont sans doute ceux qu’engendraient la situation coloniale, on retiendra une perle empruntée à Otto Weininger qui, dans une œuvre se réclamant de la philosophie kantienne, décrivait les Juifs et les femmes comme les incarnations les plus pernicieuses de la menace d’hétéronomie et de désordre à laquelle le projet d’ Aufklärung est exposé : tenant le nom propre et l’attachement à ce nom pour une « dimension nécessaire de la personnalité humaine », il reprochait aux femmes la facilité avec laquelle elles abandonnent leur nom et prennent celui de leur mari, pour conclure, que « la femme est par essence sans nom et cela parce qu’elle manque, par nature, de personnalité ». On a là le paradigme de tous les paralogismes de la haine raciste, dont on pourra trouver des exemples chaque jour dans les discours et les pratiques à propos de tous les groupes dominés et stigmatisés, femmes, homosexuels, Noirs, immigrés, dépossédés, ainsi déclarés responsables du destin qui leur est fait ou rappelés à l’ordre de l’ « #universel » dés qu’ils se mobilisent pour revendiquer les droits à l’universalité qui leur sont, en fait, refusés... »

    [Pierre #Bourdieu, "Méditations pascaliennes"]