• Rapport sur l’état de nos forêts et leurs devenirs possibles
    par des habitants du plateau de Millevaches - novembre 2013
    http://juralib.noblogs.org/files/2015/03/BrochureForetTelechargement.pdf

    Nous avons cherché à comprendre l’histoire humaine qui se cache sous les dehors faussement naturels du paysage, à déchiffrer les intérêts, les conceptions et les discours qui s’incarnent dans une « futaie régulière » de Douglas, une coupe rase ou un puy recouvert, sans ordre apparent, de feuillus dits « de qualité médiocre ». Il nous est alors apparu que notre plateau, prétendument si éloigné de tout, était traversé jusqu’en son cœur par la dynamique actuelle du capitalisme. En témoigne le simple fait que plus de la moitié des volumes de bois exploités sur le plateau partent en trituration pour l’usine de pâte à papier de Saillat ; une usine qui appartient au plus grand groupe papetier mondial, International Paper, dont le conseil d’administration accueille, entre autres financiers planétaires, l’ancien directeur général de la banque Goldman Sachs. Quant au bois qui ne part pas en trituration, les principaux acteurs de la filière savent s’entendre pour se partager la ressource et en fixer le cours.
    En vérité, c’est tout un paysage qui nous est devenu plus lisible. Là où le lobby forestier a tendance à ne voir que des arbres plantés dans un désert humain, et où nous autres habitants avons tendance à envisager notre vie comme se déroulant sur le fond d’une « nature » immuable, nous avons découvert que l’état de la forêt, au fil de l’histoire, ne faisait qu’exprimer la façon dont le plateau était habité. L’état de la forêt est le reflet fidèle de notre rapport au territoire

    Les grandes étendues « nordiques » qui sont la toile de fond et la beauté de notre vie quotidienne sur ce plateau, se révèlent à une étude approfondie guère plus poétiques que les champs de maïs industriels qui occupent l’horizon dans les grandes plaines de Charente.
    Au fil des générations l’enrésinement a entériné la fin des communaux et des sectionnaux, et avec eux, de toute la vie sociale paysanne qui faisait leur raison d’être. La « désertification » rurale a fait le reste, dissociant de plus en plus propriété foncière et habitants. On compte aujourd’hui 40 000 habitants sur le périmètre du PNR, et 20 000 propriétaires forestiers, dont l’écrasante majorité ne compte plus parmi les dits habitants du plateau.
    En l’espace d’à peine quatre générations, on ne peut que constater cet effet de balancier malheureux qui a vu la propriété foncière passer d’un régime féodal (domaines des nobles locaux et communaux hérités du Moyen Âge) à la petite propriété paysanne, pour repasser presque aussi sec à une propriété d’ « actionnaires distants » ; de lointains héritiers de paysans, ou des investisseurs dé-territorialisés qui ont un rapport à leurs propriétés foncières et forestières équivalant au mieux à un livret A, au pire à un portefeuille d’actions.
    Nous autres, les habitants anciens et nouveaux, nous retrouvons dans le statut peu enviable de gardien de parc, à vivre au beau milieu d’un territoire capitalisé par des propriétaires absentéistes. Un environnement sur lequel nous n’avons aucune forme de pouvoir.

    Ce qu’il s’agit aujourd’hui d’amorcer, c’est le retour de la question de la forêt dans l’idée que nous nous faisons d’habiter un territoire. Qu’on l’envisage comme « cadre de vie », « ressource locale en énergie bois », « ressource locale pour l’éco-habitat », « gage d’autonomie énergétique pour le plateau et ses habitants », « diversité paysagère », voire simplement comme « forêt d’agrément » ou comme « milieu propice tant à la chasse qu’à la cueillette », la défense de cette richesse commune est un élément essentiel sur le chemin d’une reprise de pouvoir sur nos existences.
    Cette reprise de pouvoir à laquelle nous appelons, peut entre autre passer par la diffusion d’une culture populaire de la forêt parmi les habitants et propriétaires forestiers, comme y travaillent déjà certaines structures

    Par-delà telle ou telle initiative concrète, ce qui est en jeu ici, c’est une mutation de notre rapport à ce qui nous entoure. Là où existe une véritable « culture de la forêt », on ne traite pas des parcelles plantées en vue de leur seule valorisation marchande sur un mode standardisé, on prend soin quasi-individuellement de chaque arbre, en vue d’en faire un bel arbre, beau à couper comme à voir. De la même manière, si près de 40% des forêts du plateau appartiennent à des propriétaires qui ne s’en occupent guère, c’est que cette propriété est moins affaire d’appât du gain qu’une façon pour des héritiers citadins attachés à leurs racines de conserver symboliquement un pied sur le territoire et dans la société paysanne dont ils sont issus. Il faut partir de la sincérité d’un tel attachement et faire comprendre à ces absents que le pays dont ils veulent le bien pourrait bien crever de leur négligence et du conformisme avec lequel ils laissent exploiter leurs parcelles. Nous voulons tous un plateau où il y ait des truites dans les rivières, des cèpes dans les sous-bois, de l’eau potable dans les robinets, du bois pour se chauffer, des forêts mélangées comme des jardins où l’on ait plaisir à se promener et où la faune abonde. Nous voulons que le bois qui pousse ici enrichisse le territoire lui-même et non l’ex-PDG de Goldmann Sachs. Nous voulons un plateau vivant, et il ne le sera que par l’insoumission à la logique actuelle qui régit nos forêts

    #forêt #écoumène #communs #autonomie
    #privatisation #enclosures #déménagement_du_territoire

    • « Promouvoir la gestion durable de la forêt » : La charte PEFC (anciennement Pan-European Forest Certification, aujourd’hui Program for the Enforcement of the Forest sChemes) se contente ainsi de répéter ce que dit la loi, elle ne parle de contraintes qu’au conditionnel, et permet finalement de cautionner autant les coupes rases que la monoculture et l’emploi de produits chimiques. L’adhésion à PEFC n’est qu’une simple formalité administrative sans aucune vérification sur le terrain, à tel point qu’il a été possible à un forestier facétieux de faire labelliser PEFC la pompe à essence du supermarché d’Eymoutiers !