« Le souvenir aime le jeu de cache-cache des enfants, écrit l’auteur du Tambour. Elle dissimule. Elle tend à la belle parole et maquille, souvent sans nécessité. Elle contredit la mémoire, qui se montre pédante et qui, querelleuse, veut avoir raison. Quand on lui pose des questions, le souvenir ressemble à un oignon, qui veut être épluché, afin que puisse apparaître lettre après lettre ce qui peut être lu : rarement univoque, souvent écrit à l’envers comme dans un miroir ou bien encore énigmatique. « Tout au long de son récit, Grass avance d’énigme en énigme, cherchant à éplucher l’oignon peau après peau, jamais sûr de bien comprendre les vraies raisons d’un aveuglement persistant. « Lorsqu’après mon onzième anniversaire à Dantzig et ailleurs les synagogues brûlèrent et les vitrines furent brisées, j’étais certes inactif, mais j’étais là en tant que spectateur curieux, j’observais comment une horde de SA mirent à sac, dévastèrent la synagogue de la Michaelisweg, non loin de mon école ». Cette passivité était l’expression d’une connivence profonde : « En tant que membre des Jeunesses hitlériennes, j’étais un jeune nazi. Croyant jusqu’à la fin. (...) Pour décharger le jeune homme et moi du même coup, on ne peut pas dire : On nous a séduits ! Non, nous nous sommes, je me suis laissé séduire ». Cette reconnaissance d’une responsabilité individuelle et collective est cruciale, et seule l’activité littéraire, enfin pleinement autobiographique - alors que jusqu’à présent Grass, dans ses œuvres, faisait miroiter certains aspects de sa vie et de sa personnalité -, seule l’activité littéraire est apte à déployer dans toute sa vérité et son authenticité cette part de responsabilité à laquelle ni l’enfant ni le vieillard Grass ne peuvent échapper. Dans ces conditions seulement, l’écrivain qui a fait de l’écriture une épreuve de vérité peut avoir le dernier mot.
Depuis hier, assurément ce que j’ai lu de plus pertinent sur le sujet.