Sombre

“When all are guilty, no one is; confessions of collective guilt are the best possible safeguard against the discovery of culprits, and the very magnitude of the crime the best excuse for doing nothing.” (Hannah Arendt) Laŭ la krio de la koko tuj spirito ĉiu, kie ajn li vagas, rapidas hejmen (L.L. Zamenhof)

  • « Le modèle allemand » ne fait plus recette en… Allemagne | L’Humanité
    http://www.humanite.fr/le-modele-allemand-ne-fait-plus-recette-en-allemagne-572408

    Athènes n’est pas seule face à l’intransigeance de Berlin et de l’Eurogroupe. De nombreux salariés allemands, la confédération syndicale DGB 
et son chef de file, Reiner Hoffmann, dans ces colonnes, contestent de plus en plus vivement les multiples impasses du système ordo-libéral.

    Le bien-fondé du « modèle allemand » d’orthodoxie budgétaire et de « modération » salariale est contesté jusqu’en Allemagne par la Confédération des syndicats (DGB). Interrogé par l’Humanité (page 6), son président, Reiner Hoffmann, s’insurge ouvertement contre l’intransigeance dont continuent à faire preuve Berlin et l’Eurogroupe pour conditionner l’octroi de la dernière tranche de 7,2 milliards d’euros du second plan d’aide à Athènes à la présentation d’une liste de réformes d’inspiration austéritaire.

    L’affaire illustre combien la messe est sans doute loin d’être dite entre Athènes et ses créanciers. En dépit d’un rapport de forces très défavorable au sein de l’Eurogroupe, les nouvelles autorités grecques se révèlent être bien moins isolées qu’il n’y paraît au sein d’une Europe où le potentiel des forces anti-austérité est considérable. Si le besoin d’alternatives s’exprime au cœur du pays, dont l’ordo-libéralisme fut célébré et même intronisé comme le modèle de référence européen, c’est que les salariés allemands ont pu mesurer dans leur chair le vrai caractère de ce «  modèle  ». Aussi empoisonné pour l’Europe et le projet européen qu’il l’est pour… les citoyens allemands.

    Les semelles de plomb de la pauvreté et de la précarité

    Les réformes de structure inscrites par Gerhard Schröder sur son fameux «  agenda 2010  » ont provoqué l’apparition 
d’un très large volant de salariés précarisés. ­
7 millions de personnes dépendent ainsi de minijobs à 400 euros et à couverture sociale au rabais. Selon le rapport de l’organisation sociale Paritätische Gesamtverband (EPG), rendu public fin février, le nombre de pauvres n’a jamais été aussi élevé outre-Rhin. 12,5 millions de personnes sont touchées et les chiffres sont en «  constante hausse depuis 2006  », relève Ulrich Schneider le président d’EPG. La déréglementation sociale, la levée de protections inclues jadis dans les contrats de travail, ont torpillé les acquis hérités du vieux système rhénan. Résultat : l’Allemagne éprouve les plus grandes peines à renouer avec un bon rythme de croissance en dépit d’une situation conjoncturelle favorable (baisses de l’euro et du prix du pétrole).

    Les hausses de salaire obtenues par les syndicats dans la dernière période qui ont stimulé la demande sur le marché intérieur constituent certes aujourd’hui «  le principal moteur de la croissance  ». Mais les réformes Schröder/Merkel n’en continuent pas moins de chausser l’activité de semelles de plomb. Car le nombre d’exemptions au droit social élémentaire a explosé, un salarié allemand sur deux n’étant désormais plus couvert par un vrai accord tarifaire (convention collective). Hormis la solidarité avec la Grèce et la nécessité de changer le cours de la politique européenne, le DGB a ainsi été conduit à mettre en avant parmi ses mots d’ordre, à l’occasion des prochains rassemblements du 1er Mai, ceux de la bataille qu’il a engagée contre la précarité, nous a confié le chef de file du DGB en marge de l’entretien qu’il nous a accordé. «  Une vraie revalorisation, précise-t-il, des droits et des rémunérations des salariés contraints de s’embaucher avec des contrats atypiques (partiels, intérimaires) est indispensable.  »

    Frein à la dette, 
frein à l’emploi 
et à la croissance

    Pierre angulaire du dogme de la rigueur ordo-libérale, le frein à la dette (Schuldenbremse) ou «  règle d’or  », inscrit dans le marbre de la Constitution allemande dès 2009 et transposé dans le traité budgétaire européen ratifié en 2012, produit aujourd’hui de terribles effets collatéraux outre-Rhin sur l’emploi, la croissance et les équilibres territoriaux. Il nourrit en effet un phénomène de recul sensible des investissements publics. Le frein à la dette impose une réduction du déficit public structurel des finances fédérales à moins de 0,35 % du PIB d’ici à 2017 et prévoit une interdiction pure et simple des Länder à souscrire de nouveaux emprunts à partir de 2020.

    Résultat : dans les réseaux de transport (routes, chemins de fer), l’État a investi bien moins que ce qui serait simplement indispensable pour faire face à l’usure des matériels. Des routes se couvrent de nids-de-poule. Des ponts, devenus trop dangereux, ont même dû être fermés.

    Une étude récente de la banque publique KfW (1) évalue à quelque 120 milliards d’euros les retards d’investissements pour les seules municipalités et collectivités locales. Faute d’entretien, il pleut parfois dans certains amphithéâtres d’universités ou dans des classes des écoles publiques. Ce qui accentue les tendances à l’émergence d’une éducation à deux vitesses avec des différences de plus en plus marquées entre des pôles de formation élitistes choyés et un «  tout-venant  » public dégradé.

    Marcel Fratzscher, chef économiste de l’institut de conjoncture de Berlin DIW, souligne dans un récent ouvrage que ce manque d’investissements entraîne «  l’économie allemande dans une impasse  » (1). Les problèmes sont si cuisants que Berlin vient de décider le lancement d’un plan de stimulation de ces investissements qui manquent à l’appel en recourant à une formule de « partenariat public/privé ». « Notoirement insuffisant et non sans menaces d’effets pervers aggravants  », ont réagi les députés de l’opposition (Die Linke et Verts) qui viennent d’examiner le texte au Bundestag.

    Un système malade 
de la financiarisation

    Les réformes de structure impulsées initialement par Gerhard Schröder ont enclenché la mutation du cœur du capitalisme rhénan. Sa caractéristique essentielle était d’être très peu dépendant aux financements boursiers et très soudé par un système qui assurait un lien très fort entre groupes bancaires et industriels. Cette organisation permit longtemps aux entreprises allemandes d’accéder à des crédits à long terme bon marché et contribua donc à la densité industrielle du pays. Cette imbrication banque/industrie était si forte que l’on évoquait souvent la société anonyme Allemagne (Deutschland AG) pour la caractériser. Après l’instauration en 2001 d’un nouveau dispositif fiscal, qualifié de «  big bang  » par la presse, les banques ont pu céder à très bon compte leurs participations au capital des groupes industriels. Pour se ruer sur l’eldorado de la finance mondialisée.

    Touché de plein fouet par le krach de 2007-2008, le système bancaire (privé comme public) ne s’est toujours pas remis de cette course vers le grand large anglo-saxon. La Deutsche Bank, ex-pilier de la Deutschland AG (société anonyme Allemagne) et toujours première institution bancaire du pays, vient ainsi d’être rattrapée par un nouveau scandale produit de ses pratiques spéculatives. La banque a écopé jeudi 23 avril d’une amende de quelque 2,3 milliards d’euros pour avoir manipulé les cours du Libor et de l’Eurolibor, deux taux d’intérêt interbancaires (taux auquel les banques se prêtent de l’argent entre elles pour se refinancer).

    Cet épilogue judiciaire intervient après de nombreux autres épisodes du même type. La Deutsche Bank a été ainsi impliquée en 2012 dans un autre retentissant scandale de manipulation des cours, cette fois sur le marché des titres d’émissions carbone, censé constituer un outil de régulation pour diminuer les rejets de gaz à effet de serre.

    Pendant ce temps-là, le financement de l’économie est devenu toujours davantage tributaire des aléas boursiers. Au total, cette financiarisation a contribué à un recul global de l’investissement (public et privé) qui n’atteint plus que 17 % du PIB en 2014 contre plus de 23 % en l’an 2000 (1). «  Ce qui, relève-t-on au DGB, n’est pas précisément un gage de développement de l’activité et de l’emploi.  »
    (1) Marcel Fratzscher, Die Deutschland Illusion (L’Illusion de l’Allemagne), Éditions Kindl, 16 euros