Arsenine Lupiac

Venimeuse laideur de l’être

  • Cantine
    C’est un hôtel-restaurant à l’écart des circuits touristiques et des pistes aux étoiles. Il est presque laid à force de banalité. Il se fond dans le voisinage anonyme et grisâtre, comme s’il était déjà oublié. Et pourtant, dans l’arrière-cour ne se pressent que de grosses cylindrées.

    Le #restaurant fait penser à une salle à manger des années 70, avec son papier peint à grosses fleurs et son gros buffet de bois sombre assorti à une table longue comme un jour sans pain. Entre les cuisines et la table unique, deux vieilles sœurs renfrognées et moustachues font la navette. Ici, pas de carte, ni de menu, pas même une ardoise du jour. Des hommes riches et puissants prennent la place qui leur est attribuée d’un revers de louche et attendent la ronde des plats en discutant à voix basse.

    Pas de service à l’assiette, mais des plats où chacun se sert sous l’œil sévère de la matrone. En fait de gastronomie de haut vol, une cuisine rustre quelque part entre la cantine et le dimanche chez les grands-parents. Celui qui ne finit pas sa macédoine mayonnaise se fait rudement rappeler à l’ordre, il est interdit de faire l’impasse sur la salade de betteraves qui colore l’urine en rose fushia.

    Après un café-filtre Melitta®, les plus sages auront un fruit macéré à l’alcool sorti d’un bocal au verre stratifié par des années de pêches et de remplissages. L’addition se règle à l’écart, comme une chose un peu honteuse et les hommes riches et puissants sont rendus à leur vie d’artifices et de domination, en attendant un nouveau rendez-vous secret avec les saveurs brutales et douces d’une enfance depuis longtemps disparue.