Inutile
La technologie l’a rattrapée pour ses 55 ans. D’un seul coup, son métier n’existe plus.
Pourtant, ce n’est pas rien, un métier. Il faut souvent des années pour commencer à le maîtriser, entre la formation à l’école et celle sur le tas.
Son grand-père lui racontait que c’était l’œuvre d’une vie et, souvent, de plusieurs vies, comme une longue chaîne qui traverse le temps. Il tenait son métier de son père qui le tenait lui-même du sien. L’apprentissage commençait avant même de sortir de l’enfance et se poursuivait tout au long de la vie. Une histoire de famille.
Son père lui racontait qu’un métier meurt avec celui qui le maîtrise. Lui, il a vécu la mort des métiers, la fin de la transmission.
Mais pour elle, c’est trop tôt : voilà que son métier a disparu avant elle. Avant même qu’elle arrive au bout de sa vie de travail. D’ailleurs, il n’y a plus de métier, tout juste des carrières. Chacun cherche à jongler d’un métier à l’autre sans se faire rattraper par ce que l’on appelle aujourd’hui l’obsolescence. Pas celle des objets. Celle des gens. La sienne.
Elle n’a plus de métier. Elle devrait vendre ses compétences. Mais elle n’est pas vendeuse non plus.
Jusqu’à présent, vendre, c’était aussi un métier.