Arsenine Lupiac

Venimeuse laideur de l’être

  • Le joueur

    Tous les samedis soirs, ça le dévore et ça l’entraîne en haut de la colline qui brille comme un phare dans la nuit.

    C’est plutôt comme le chant des sirènes. Une attraction solide comme un élastique tendu à la limite de la rupture. Il s’est déjà cherché des excuses et des raisons. Il a même pensé à se faire interdire de casino. Plusieurs fois. À chaque fois, en fait. Mais c’est plus fort que tout.

    Ce ne sont pas les lumières. Il les voit à peine. Ni le bruit de l’argent qui coule et des machines inlassables. Pas plus la foule indifférente et fébrile. Ce n’est surtout pas l’argent. Les autres pensent que c’est pour l’argent. L’argent n’est important que pour les banquiers et les propriétaires du casino.

    Non, il vient, fébrile, inlassable pour briser le hasard. Ce hasard absurde et aveugle qui gouverne sa vie et toutes les autres. Ce hasard stupide qui fait qu’on change de vie sans jamais le savoir, juste parce que ce jour-là, il pleuvait ou que cet autre, il avait envie d’aller au cinéma. Pour défier le destin. Pour cracher à la gueule de Dieu, éventuellement.

    Trouver la logique, la faille, la méthode. Repérer la machine qui va donner. Renifler les trajectoires invisibles de la chance. Anticiper la physique qui propulse la boule dans une case et une autre et encore une autre.

    Il vient surtout pour se prouver qu’on peut maîtriser sa vie. Ne pas subir, mais choisir, anticiper. Qu’il n’est pas un pion sur un échiquier trop grand pour lui, mais qu’il est la main qui distribue les points et ramasse les mises dérisoires de l’existence.