Nidal

“You know what I did? I left troops to take the oil. I took the oil. The only troops I have are taking the oil, they’re protecting the oil. I took over the oil.”

  • Georges Corm, Pensée et politique dans le monde arabe : L’approche du monde arabe, coincée entre essentialisme islamophobe et essentialisme islamophile.

    Comme partout dans l’histoire moderne, c’est-à-dire celle dont le point de départ est la double révolution, industrielle et politique, de l’Europe, les contextes de l’histoire mondiale ont changé avec une grande rapidité, entraînant des changements socioéconomiques profonds, ainsi que des changements dans la façon de penser les changements eux-mêmes. L’histoire de la pensée dans le monde arabe ne fait pas exception ; elle n’est nullement figée dans un invariant anthropologique et culturel. Or, qu’il s’agisse de l’approche islamophile ou de l’approche islamophobe, on se trouve dans les deux cas face à un phénomène de « fascination/répulsion » de l’islam, essentialisé comme étant le seul dépositaire de l’identité individuelle et collective des Arabes.

    Les islamophiles veulent expliquer que la psychologie collective arabe contemporaine a été doublement violée, d’abord par le colonialisme européen, puis par les élites arabes « occidentalisées » qui lui ont succédé. C’est pourquoi, selon eux, les mouvements radicaux islamistes ne seraient que l’expression de la réaction quasi biologique des sociétés arabes, ainsi violées, à la recherche de leurs racines et de leur patrimoine, l’islam*. Les islamophobes, héritiers de la tradition d’Ernest Renan, se saisissant des actes terroristes commis au nom de l’islam ou dénonçant le rôle de soumission et de marginalisation auquel est soumise la femme musulmane, voient dans l’évolution violente récente du monde arabe la confirmation d’une dangereuse altérité islamique pour la civilisation et le progrès de l’humanité.

    Cette caricature de la pensée arabe et du contexte dans laquelle elle a évolué est évidemment démentie par la diversité et la richesse des œuvres produites par les intellectuels arabes depuis le milieu du XIXe siècle.

    *Pour les « islamophiles », les références en note :

    Voir Olivier CARRÉ et Michel SEURAT, Les Frères musulmans (1928-1982), Gallimard, Paris, 1983 ; Gilles KEPEL, Le Prophète et Pharaon. Les mouvements islamistes dans l’Égypte contemporaine, La Découverte, Paris, 1983 ; Olivier CARRÉ, Mystique et politique. Lecture révolutionnaire du Coran par Sayyed Qotb, Frère musulman radical, Le Cerf/Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1984 ; Olivier ROY, Afghanistan, islam et modernité politique, Seuil, Paris, 1985 ; Bruno ÉTIENNE, L’Islamisme radical, Hachette, Paris, 1987 ; Michel SEURAT, État de barbarie, Esprit/Seuil, Paris, 1989 ; François BURGAT, L’Islamisme au Maghreb : la voix du Sud, Karthala, Paris, 1988 (ainsi que L’Islamisme en face, La Découverte, Paris, 1995 ; et L’Islamisme à l’heure d’Al-Qaida. Réislamisation, modernisation, radicalisations, La Découverte, Paris, 2005).

     

    • La recherche académique française sur l’Orient arabe s’est donc considérablement appauvrie depuis les dernières décennies. Le vide créé par la disparition des grands orientalistes tels que Louis Massignon (1883-1962), Régis Blachère (1900-1973), Jean Sauvaget (1901-1950), Jacques Berque (1910-1995), Vincent Monteil (1913-2005) ou Maxime Rodinson (1915-2004) a été occupé par l’abondante et indigeste production sur l’islam politique, les Frères musulmans, les réseaux d’activistes islamiques radicaux. Littérature non seulement indigeste, mais surtout superficielle et répétitive, car elle occulte – comme nous venons de le voir – toutes les évolutions, en particulier les bouleversements socioéconomiques qui affectent le monde arabe et ignore les innombrables liens entre les sources géographiques et politiques du « radicalisme » islamique, notamment en Arabie saoudite et au Pakistan, et les principales puissances occidentales dont ces deux pays sont des alliés fidèles et respectés.

      En fait, qu’elle soit due à des chercheurs arabes, européens ou américains, la recherche académique concernant la pensée arabe est handicapée par deux problèmes majeurs. Le premier est le poids de l’approche anthropologique qui cherche à déterminer les structures et constantes de l’« esprit arabe » ou « musulman » afin de mieux mettre en valeur l’« altérité » de cette « mentalité », soit sa façon d’appréhender le monde par rapport à l’esprit européen. Le second est constitué des débats sans fin et souvent stériles sur l’authenticité de cette pensée ou sur l’impact que le postcolonialisme a pu avoir sur elle, qu’il s’agisse des mouvements féministes, des mouvances laïques et nationalistes ou bien sûr de celles de l’islam politique.