odilon

artiste aux mains pleines de doigts - visionscarto.net - Autrice de Bouts de bois (La Découverte)

  • Le nouvel ordre mural | jef klak
    http://jefklak.org/?p=2107

    Après des millénaires durant lesquels les graffitis faisaient partie du paysage urbain, le XIXe siècle a inauguré leur criminalisation : les transformations urbanistiques de Paris sous le préfet Haussmann ont développé une forme d’architecture préventive, renouvelée au XXe siècle en réponse à l’explosion des #tags. Si la lutte #anti-graffiti était initialement liée à la traque de l’écrit « subversif », depuis la fin du XXe siècle elle réfute toute considération d’ordre moral, associant désormais systématiquement cette pratique au vandalisme et à la pollution visuelle. Seul un caractère esthétique lui ouvre parfois les portes d’une reconnaissance, bien souvent intéressée.

    La première apparition du mot graffiti dans la langue française date de 1856 : il est né du travail sur les fouilles de Pompéi, pour qualifier des #écritures murales en dehors de celles des institutions reconnues (clergé, instances publiques).

    Cette identification sert à mieux mettre en valeur les écrits officiels, elle est alors imprégnée d’un certain mépris : le graffiti est le fait de groupes marginaux, un autre reflet de la « décadence » de l’Empire romain (au côté du nombre élevé de bordels et de fresques érotiques, ayant interloqué les XVIIIe et XIXe siècles). La création du nouveau mot se relie aussi à son contexte historique, marqué par une prolifération et une diversification impressionnante des écritures de rue.

    Le street-art joue à cet égard un jeu trouble : la création du terme constitue elle-même une nouvelle charge lexicale dépréciant l’écrit de rue, et si cet « art » parvient à acquérir une légitimité et une reconnaissance dans l’espace public, c’est le plus souvent en investissant une paroi recouverte de graffitis et de tags plus free-style. Des artistes peuvent se voir ainsi attribuer un emplacement7 délimité sur un mur : une fresque servant à repousser les inscriptions sauvages.

    Cette institutionnalisation du #graffiti suggère donc la dépossession de l’œuvre réalisée à la bombe au profit « d’artistes », exécutant dans un cadre précis une réalisation d’ordre esthétique, signée. La captation des tracés acryliques permet de présenter la ville comme parcourue d’espaces de liberté et, par-delà, à légitimer l’effacement des suites de lettres éparses non autorisées. Le #street-art enrichit ainsi le catalogue monnayable de l’art contemporain, qu’il soit officiel ou sauvage, avec des intentions lucratives ou désintéressées. Il suscite une concurrence accrue sur les murs, et précipite encore plus le simple graffiti dans le registre de la souillure occasionnée par des groupes marginaux.